Une usine de cellulose sème la discorde entre l’Argentine et l’Uruguay

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Après plus de dix années de pollution et de dégradation environnementales, la construction d’une usine de pâte à papier sur la frontière entre l’Argentine et l’Uruguay vient raviver une vieille blessure entre les pays voisins.

Le 27 septembre 2013, José Mujica, président de la République Orientale de l’Uruguay a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision Bloomberg qu’il autoriserait l’usine de cellulose de la multinationale finlandaise UPM (ex-Botnia) à accroître sa production de cellulose en échange d’améliorations en matière de protection environnementale de la part de l’entreprise.

En 2002, Montevideo autorise deux sociétés européennes - l’espagnole ENCE et la finlandaise Botnia – à construire une usine dédiée à la production de cellulose dans la ville de Fray Bentos, en Uruguay, située juste en face de la ville de Gualeguaychú, en Argentine.

Les deux villes sont séparées par la frontière naturelle formée par le fleuve Uruguay et reliées par le pont international General Libertador San Martin.

Dès l’annonce de la nouvelle, du côté argentin, l’Asamblea Ciudadana Ambiental (Assemblée citoyenne chargée de la protection de l’environnement) s’est mobilisée pour empêcher l’installation des usines de pulpe à papier.

Cette organisation citoyenne – dont le principal acquis a été la relocalisation de l’usine espagnole – a marqué la mémoire collective par ses fameuses marches de protestation appelées Abrazos al Río Uruguay (littéralement Embrassades sur le fleuve Uruguay) et diverses actions qui ont bloqué le trafic routier sur le pont transfrontalier et entraîné des tensions dans les relations entre les deux pays.

Aujourd’hui, comme hier, les militants argentins soutiennent que les fumées industrielles et les déchets produits par l’usine de cellulose UPM et déversés dans le fleuve depuis le rivage uruguayen provoqueraient une contamination environnementale nuisible pour la santé et qui affecterait, de surcroît, l’industrie du tourisme de Gualeguaychú, ville célèbre pour son carnaval, le principal du pays.

En réaction à la décision de Mujica, le gouvernement argentin de la présidente Cristina Fernandez de Kirchner entend introduire une requête contre l’Uruguay à la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye pour non-respect du Traité des limites (1961) et du Statut du Fleuve Uruguay (1975), deux instruments qui régulent la gestion binationale du fleuve à travers la Commission administrative du fleuve Uruguay (Comisión Administradora del Río Uruguay, CARU).

Déjà interpelée par l’Argentine en 2006, la CIJ rendait un jugement définitif en 2010 où, bien qu’elle reconnût une violation uruguayenne pour n’avoir pas informé l’État voisin à propos du projet de construction, elle considérait néanmoins que la production de cellulose pourrait se poursuivre en l’absence de preuves concluantes attestant de la pollution du fleuve par l’usine en question.

Marco Brunitto, chercheur auprès du Centro Argentino de Estudios Internacionales (CAEI) spécialisé dans le droit et le commerce international a déclaré à Equal Times que « la Cour n’a pas pu établir de lien entre les activités de l’usine de cellulose et les niveaux de contamination du fleuve dès lors qu’il y avait aussi des déchets en provenance d’autre usines et d’autres villes des deux côtés du fleuves. »

« Par son jugement, la Cour – souligne Brunitto – a voulu ménager un compromis entre deux perspectives différentes : D’une part, le développement économique et social de l’Uruguay et, de l’autre, la nécessité pour l’Argentine de prendre sous sa tutelle la protection du milieu naturel et de l’écosystème fluvial. »

La sentence de 2010 et la création conséquente de la Commission scientifique binationale sous le contrôle de la CARU semblait avoir tourné la page d’une controverse qui a accaparé – et occasionnellement mis en échec – maintes audiences d’organismes régionaux, de commissions binationales et de médiations internationales.

Aujourd’hui, ce différend vieux d’une décennie vient une fois de plus semer la discorde et envenimer les relations entre les deux pays voisins.

Tant et si bien que le 30 septembre dernier, en Argentine, le président Mujica et la présidente Fernandez de Kirchner n’ont pas tari de critiques en sous-main, y compris durant la présentation de « Francisco », le ferry nommé en hommage au Pape, qui reliera Buenos Aires à Montevideo.

Le 6 octobre dernier, les membres de l’assemblée citoyenne argentine avec à leur tête Juan Jose Bahillo, intendant de la ville de Gualeguaychú, ont participé à une marche sur Fray Bentos dans le but de solliciter une audience avec les autorités uruguayennes sur la fermeture et la relocalisation de l’usine UPM.

Le déploiement à la frontière de soldats de l’armée uruguayenne et le fait que seul l’intendant Bahillo et une petite délégation furent autorisés à traverser la frontière ont conduit les protestataires argentins à retourner à Gualeguaychú pour préparer d’autres actions de contestation, y compris le blocage du pont international, comme ce fut le cas par le passé.

Le 9 octobre, à l’occasion d’une conférence de presse à la Casa Rosada, siège du pouvoir exécutif argentin à Buenos Aires, le ministre argentin des Affaires étrangères, Hector Timerman et le gouverneur de la province d’Entre Rios, Sergio Uribarri ont présenté un rapport sur la pollution provoquée par UPM.

L’étude réalisée par des scientifiques argentins relève que la multinationale finlandaise déverse dans le fleuve des effluents à haute température comportant, non seulement, des teneurs élevées de phosphore – comme le soutient le Département national de l’environnement de l’Uruguay (Dirección Nacional de Medio Ambiente, DINAMA) – mais aussi de pesticides, de chrome et de phénols.