Vers un traité contraignant relatif aux sociétés transnationales et autres entreprises commerciales

Vers un traité contraignant relatif aux sociétés transnationales et autres entreprises commerciales

Des travailleurs de l’entreprise Palmas del Cesar African Palm Company, à Minas, en Colombie, transforment la noix de palme en huile destinée à l’exportation. Les syndicats lancent un appel en faveur de l’adoption d’un instrument fort et légalement contraignant qui oblige les sociétés transnationales à respecter les droits humains de par le monde.

(Carlos Villalon/Solidarity Center)

La semaine dernière, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a examiné le deuxième rapport du Groupe de travail intergouvernemental (GTIG) sur les entreprises transnationales (ETN) et autres entreprises commerciales.

En juin 2014, le Conseil des droits de l’homme a adopté la Résolution 26/9 et mis sur pied le GTIG, en vue de l’élaboration d’un instrument international légalement contraignant pour réguler, dans le cadre du droit international humanitaire, les activités des entreprises nationales et autres entreprises commerciales.

Le mouvement syndical international, qui a depuis longtemps été aux devants des efforts visant à une régulation internationale des entreprises multinationales, a été activement engagé dans le processus d’élaboration d’un traité significatif sur les entreprises et les droits humains.

Quel type de traité contraignant voulons-nous donc ? Les possibilités en termes de forme et de contenu sont nombreuses. Certains promoteurs ont prôné ce qu’ils nomment une approche « douce » qui consisterait dans la présentation de rapports non financiers par les ETN, cependant que d’autres ont défendu un traité étendu prévoyant des recours en justice civile et pénale dans des tribunaux nationaux et internationaux.

Les syndicats sont favorables à un traité fort et contraignant, capable de réaligner de façon effective l’asymétrie normative entre les règles légalement applicables qui protègent les intérêts des entreprises au travers de clauses de règlement des différends investisseur-État (Investor-State Dispute Settlement, ISDS) et de tribunaux d’arbitrage, ainsi que de mesures juridiques non contraignantes afférentes aux obligations des ETN à respecter les droits humains.

Il est, toutefois, important que tout traité de ce genre soit fondé sur le Cadre des Nations Unies relatif aux entreprises et aux droits de l’homme, adopté en 2008, et les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU, adoptés en 2010. Tout processus visant l’élaboration d’un traité contraignant ne peut se convertir en prétexte pour que les gouvernements ou les entreprises manquent d’appliquer les principes directeurs.

Inclusion des normes internationales du travail

Le modèle commercial existant – qui dépend majoritairement de chaînes d’approvisionnement mondiales dans des marchés à bas coût et hautement compétitifs – signifie que les emplois créés par les ETN ne répondent souvent pas aux critères du travail décent. Manifestement, les chaînes d’approvisionnement mondiales ne pourront être et ne seront durables à moins qu’elles ne soient fondées sur les principes du travail décent. Un traité contraignant doit, dès lors, inclure l’ensemble des droits humains reconnus internationalement, y compris les droits fondamentaux des travailleurs et syndicaux, tels que définis selon les normes du travail internationales pertinentes.

À ce propos, le mouvement syndical international a également été engagé dans un processus parallèle au niveau de l’Organisation internationale du travail (OIT) ayant pour objectif l’établissement d’une norme internationale relative au travail décent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Si une telle norme voyait le jour, il pourrait en découler des recoupements importants avec un traité contraignant. Il pourrait, néanmoins, s’avérer que ces processus parallèles et intrinsèquement liés soient complémentaires et se renforcent mutuellement.

L’OIT a, elle-même, appelé le GTIG à veiller à ce que son action se fonde clairement sur les normes internationales existantes relatives aux droits de l’homme et aux entreprises commerciales, y compris les normes du travail internationales, et n’y porte aucunement atteinte.

Un autre élément important est que le traité contraignant doive s’appliquer aux ETN et à toutes autres entreprises commerciales. Bien que la Résolution 26/9 couvre les ETN et les autres entreprises commerciales, une note de bas de page en préambule du traité désigne les « autres entreprises commerciales » comme celles revêtant « un caractère transnational ». Bien qu’il y ait lieu de saluer l’importance accordée aux responsabilités des ETN, cela ne doit pas impliquer que les sociétés – y compris les entreprises publiques et les entreprises locales, qui peuvent, elles aussi, avoir une incidence sur les droits de l’homme – doivent être exclues.

Pour éviter d’éventuelles failles en matière de responsabilité, un traité contraignant devrait s’appliquer à toutes les entreprises commerciales, indépendamment de la taille, du secteur, du domaine d’activité, de la propriété et de la structure. Ceci cadrerait aussi avec les Principes directeurs de l’ONU et d’autres instruments internationaux comme les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.

Diligence raisonnable en matière de droits humains dans les chaînes d’approvisionnement mondiales

Le mouvement syndical international veut aussi voir un traité contraignant qui oblige les États à adopter des dispositions réglementaires en vertu desquelles les entreprises soient tenues d’adopter et d’appliquer des politiques et procédures de diligence raisonnable en matière de droits humains.

Bien qu’on ait récemment vu une tendance croissante chez les entreprises multinationales à présenter des rapports attestant d’une diligence raisonnable en matière de droits humains, un traité contraignant devrait aller plus loin et élaborer les dispositions devant être prises par les entreprises aux fins de remplir leurs obligations en matière de diligence raisonnable, de même que stipuler qu’une violation de ces obligations est passible de poursuites civiles, pénales ou administratives.

À cela s’ajoute le fait que le droit international n’est pas bien équipé pour répondre aux violations transfrontalières des droits humains par des entreprises. Ceci se doit essentiellement au fait que l’ordre juridique international a traditionnellement été fondé sur le principe que les États souverains tiennent les auteurs de violations de droits humains légalement responsables à l’intérieur de leurs frontières nationales.

D’autre part, la doctrine de l’entité juridique distincte a, de fait, eu pour effet de convertir les ETN en réseaux d’entités nationales, dont chacune est protégée par le voile de la personnalité commerciale.

Les entreprises locales sont souvent sous-capitalisées, ce qui a essentiellement pour effet de les mettre à l’abri d’un jugement. Il n’existe généralement pas de recours juridique effectif au niveau de la maison-mère contre une firme locale, ni à l’étranger contre une maison-mère qui aurait contribué à une violation. Les ETN sont généralement exonérées de toute responsabilité juridique quand une atteinte est causée par un fournisseur.

Un traité contraignant devrait, pour autant, refléter la complexité et la nature corrélée de l’économie globale d’aujourd’hui, y compris les structures des ETN et leurs chaînes d’approvisionnement, aux fins de pallier aux failles de responsabilité eu égard aux obligations en matière de droits humains. Cela sous-entendrait la reconnaissance de la nécessité d’une application extraterritoriale pour tout accord contraignant.

À l’heure actuelle, le droit international permet uniquement aux États de se livrer à un exercice modéré de leurs compétences eu égard à la conduite de leurs entreprises dans d’autres États. Un traité contraignant devrait explicitement obliger les États à exercer leurs compétences extraterritoriales.

De fait, l’obligation de l’État de garantir l’accès à un recours juridique dans le pays du siège de l’ETN pour des violations de droits humains survenant dans un pays d’accueil a d’ores et déjà été reconnue dans les Principes directeurs de l’ONU et est étayée par de nombreuses recommandations des Organes de suivi des traités des Nations Unies.

Mécanismes d’application efficaces

Finalement, un traité contraignant doit prévoir l’accès à un mécanisme international complémentaire pour le contrôle de la conformité. Ce mécanisme public devra être plus ambitieux qu’un protocole facultatif accompagnant un traité contraignant et être assorti des dispositifs habituels relatifs aux plaintes individuelles et collectives.

Ce qu’il faut c’est un tribunal international qui puisse statuer sur des cas de violations de droits humains par des entreprises par delà les frontières internationales. Ce tribunal développerait une jurisprudence spécifique dans ce domaine sans, toutefois, se substituer au rôle des tribunaux nationaux.

En plus de garantir l’accès à un forum juridique indépendant pour permettre aux personnes affectées d’obtenir justice en cas d’atteintes à leurs droits humains, cela contribuerait à faire contrepoids au système de justice privée pour les entreprises, créé par des instances comme la Cour permanente d’arbitrage.

Outre les éléments essentiels qui doivent constituer la base de tout traité contraignant, diverses autres questions devront être prises en considération par le GTIG. Et en tout premier lieu, la question de savoir si un traité contraignant devrait imposer des obligations directes aux entreprises. Alors que les avis sont tranchés entre chercheurs et praticiens du droit quant à la question de savoir si les entreprises peuvent être assujetties au droit international, il est largement admis que les droits humains ne sont ancrés dans aucun agent en particulier, y compris l’État. Ces obligations des entreprises devront être traitées en sus et non au lieu des obligations de l’État.

Il va sans dire qu’il reste encore énormément de chemin à parcourir dans le processus d’élaboration d’un traité contraignant. Alors que les réunions initiales du GTIG étaient consacrées à l’exploration des possibilités en termes de contenu, de portée et de caractère global de l’instrument proposé, la troisième réunion, du 23 au 27 octobre 2017, sera centrée sur les éléments-clés et/ou un projet de texte. Le mouvement syndical international se tiendra à la disposition du GTIG et des États, en particulier lorsqu’il s’agit des droits des travailleurs. Les gouvernements et les milieux d’affaires devront également participer de manière effective à la réunion de l’année prochaine et y apporter des contributions significatives et constructives aux fins de permettre au GTIG d’élaborer un traité contraignant.

Une version de cet article a paru dans le journal International Union Rights, Volume 23, numéro 4

Cet article a été traduit de l'anglais.