Vietnam et les différends fonciers : les réseaux sociaux se mobilisent

Vietnam et les différends fonciers : les réseaux sociaux se mobilisent

Pagoda of Lien Tri, near Ho Chi Minh (formerly Saigon) city centre, April 2016. The Buddhist monk Thick Khong Tanh, who for years ignored the orders of the Ho Chi Minh City Council to take away his pagoda, was removed by force and the temple was demolished to leave the way clear for a new financial district.

(Eric San Juan)

En avril dernier, le Vietnam a connu un épisode singulier. Des dizaines d’habitants du district de My Duc, dans la banlieue de Hanoi, ont pris en otage 38 policiers et fonctionnaires pour protester contre l’action des autorités pendant une expropriation de terres qui leur appartenaient depuis 26 ans.

Ils se sont retranchés dans leur quartier pendant une semaine et bloqué les accès avec des troncs d’arbres et des pierres, disposés à repousser toute intrusion policière jusqu’à ce que les négociations avec le maire de Hanoi finissent par aboutir à un accord. L’appropriation d’un terrain de 50 hectares au profit de la société de télécommunications Viettel (propriété de l’armée) sera réévaluée et ceux qui ont participé à la mutinerie ne feront l’objet d’aucune sanction.

Ces événements, à la fois spectaculaires et exceptionnels, surtout à la lumière de leur résolution sans violence policière, illustrent un problème que le Parti communiste du Vietnam, légalement propriétaire de toutes les terres du pays, n’a pas su résoudre.

Dans un État où les voix dissidentes sont muselées par l’emprisonnement et l’intimidation, où la presse est contrôlée par le Gouvernement et où la politique est une question secondaire en dépit du lent réveil de ces dernières années, les conflits liés à la terre ont constitué l’un des rares motifs d’agitation sociale.

La forte croissance économique du dernier quart de siècle entraîne l’affectation de plus en plus de terres à des complexes industriels et commerciaux ou encore à de nouveaux logements. Le Gouvernement et les investisseurs se distribuent les bénéfices et les perdants sont souvent les Vietnamiens vivant dans les zones rurales qui, lorsqu’ils cèdent leurs terrains, perdent à la fois leur logement et leur moyen de subsistance. Par ailleurs, ces derniers reçoivent des compensations économiques très inférieures à celles fixées par le marché.

Dans une enquête réalisée en 2015 par le Programme des Nations Unies pour le développement, un quart des citoyens interrogés déclaraient être préoccupés par les conflits fonciers et la moitié des répondants assurait que rien n’est fait pour remédier à ce problème.

Un très vieux problème

Avant l’incident de My Duc, l’un des cas les plus notoires a été celui de Doan Van Vuon, un homme qui en 2012, avec des armes de sa propre fabrication, avait tenu tête aux autorités dans le but d’empêcher qu’on lui retire sa maison. Il fut arrêté et condamné à cinq ans de prison, bien que son expulsion de son logement ait été déclarée illégale par le Premier ministre de l’époque, Nguyen Tan Dung.

Cette même année, la police réprimait par la force une manifestation de centaines de paysans d’une province du nord contre une autre expropriation forcée. D’autres ont tenté d’user de la résistance pacifique, comme c’est le cas du moine bouddhiste Thich Khong Tanh qui pendant des années avait ignoré les ordres du Conseil municipal d’Hô Chi Minh-Ville (l’ancienne Saigon) l’intimant de quitter sa pagode, jusqu’à ce qu’il fasse l’objet d’une expulsion manu militari au mois d’août de l’année dernière et que le temple soit rasé afin de laisser la voie libre à un nouveau quartier financier. Tous les habitants du quartier avaient été expulsés plusieurs années auparavant et leurs maisons avaient déjà été englouties par les bulldozers de l’entreprise de construction.

Tran Thao est une femme de 60 ans qui a dû abandonner le quartier où elle avait vécu toute sa vie: 

« Nous avons dû aller vivre à plus de dix kilomètres, dans des appartements que le Gouvernement nous a proposés, mais avec les indemnisations qu’il nous avait données, nous n’avons pu acheter qu’un petit appartement alors qu’auparavant, nous vivions dans des maisons à plusieurs étages. »

« Certaines familles de 7 ou 8 personnes vivent dans des appartements de 57 mètres carrés. Certains ont tenté de résister, mais cela n’a servi à rien, car ils ont été contraints de partir, » déclare-t-elle à Equal Times

Le Gouvernement a tenté d’améliorer la transparence et de rapprocher les indemnisations des prix du marché avec une nouvelle loi adoptée en 2014, mais l’une des causes profondes des conflits reste inchangée : les terres appartiennent à l’État, qui accorde des concessions pour leur utilisation et permet aux autorités locales de fixer les prix en cas d’éviction.

« Avant 1980, la loi reconnaissait les différentes formes de propriété de la terre, mais depuis lors, il a été stipulé que la terre appartenait à toute la population, » explique Phan Xuan Son, professeur à l’Académie vietnamienne de politique, dans un article de la revue Political Theory.

L’expert avertit que « dans de nombreux cas, l’État joue le rôle de soutien inconditionnel à l’égard des investisseurs » et il affirme que le caractère assez vague de la Loi relative à la gestion du territoire permet aux autorités locales de l’interpréter « à leur manière ».

John Gillespie, un chercheur à l’Université de Monash (Australie), soutient dans un article sur le portail East Asia Forum qu’avec la nouvelle norme, « les autorités locales continuent à fixer des montants d’indemnisation trop bas ». Dans une analyse récente du portail The Diplomat, Toan Le, un collègue de Gillespie à la même université, pointe du doigt « les possibilités illimitées dont disposent les fonctionnaires de l’État pour s’emparer des terres de manière non transparente ».

L’espoir suscité par les réseaux sociaux

Toutefois, ces deux experts reconnaissent que la résolution pacifique de l’incident de My Duc démontre que les citoyens disposent d’un nouvel allié pour tenir tête aux autorités : les réseaux sociaux. Comme c’est souvent le cas dans les affaires qui embarrassent le Parti communiste, les médias traditionnels n’ont que très peu relayé cette information et se sont rangés du côté du Gouvernement.

Et pourtant, cela n’avait plus aucune importance : les habitants eux-mêmes du quartier et certains militants ont profité de l’occasion pour engager une guerre d’attrition avec le Gouvernement en filmant des vidéos des événements et en prenant des photos des barricades et de la résistance qui se sont répandues comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. En particulier sur Facebook, qui compte plus de 35 millions d’utilisateurs au Vietnam.

Pour Toan Le, la diffusion d’informations à travers ces canaux a constitué un élément crucial pour la résolution négociée du conflit et l’absence de représailles à l’égard des mutins.

« Les réseaux sociaux sont certainement en train d’affaiblir la capacité du Gouvernement à contrôler la relation des événements ainsi que l’opinion publique,» dit-il.

« Cela apparaît clairement dans le changement qui s’est opéré : d’une approche répressive à une approche plus douce et conciliante, » affirme-t-il. Pour sa part, Gillespie met en garde contre le risque qui découle d’une exagération de l’importance des réseaux sociaux, mais il affirme aussi que leur utilisation « permet à des personnes aux compétences journalistiques et techniques minimales de diffuser sur le Web des textes et des images qui réactivent l’opposition et présentent des descriptions des événements alternatives à celles fournies par le Gouvernement ».

Anh Chi, un militant et blogueur qui suit les affaires d’expropriation foncières depuis plusieurs années, connaît d’expérience la capacité des réseaux sociaux à propager des informations inconfortables, mais ils ne s’attendaient pas à ce qu’ils puissent contraindre le Gouvernement à adopter une issue négociée dans le cadre d’un conflit tel que celui de My Duc.

« Cette affaire a été surprenante à plus d’un titre ; après avoir séquestré des policiers et des fonctionnaires, les habitants du quartier ont pu négocier d’égal à égal avec le gouvernement local. Il s’agit d’un grand changement, » souligne-t-il à Equal Times.

Il ne sait pas si ce précédent marquera les conflits à venir, mais il est convaincu qu’ils ne doivent pas relâcher la pression : « L’opinion publique peut faire pression, car le Gouvernement a peur d’éveiller la colère de la population ».

This article has been translated from Spanish.