Vingt ans d’un accord néfaste pour les travailleurs

 

Au Mexique, au Canada et aux États-Unis, les travailleurs et les syndicats commémorent le vingtième anniversaire d’un accord commercial qui a largement servi de modèle pour la mondialisation de l’économie.

Il ne s’agit pas d’un joyeux anniversaire, comme en témoignent les défilés et les manifestations qui auront lieu le 31 janvier 2014, qui rappellent que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a porté préjudice aux emplois, aux droits et au niveau de vie des travailleurs de ces trois pays.

Il est prévu de reproduire ce modèle à plus grande échelle, dans le cadre du Partenariat trans-Pacifique (TPP), actuellement en cours de négociation entre douze pays du Pacifique, dont les partenaires initiaux de l’ALENA.

Pour Richard Trumka, le président de l’American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (Fédération américaine du travail et Confédération des organisations industrielles – AFL–CIO), l’ALENA « n’est que le premier accord d’une série d’accords commerciaux qui mettent en péril l’emploi de millions d’Américains de la classe moyenne et affaiblissent nos structures démocratiques.  »

Le Partenariat trans-Pacifique va selon lui « accroître le pouvoir des entreprises et les bénéfices de leurs dirigeants, tout en faisant baisser les salaires et en limitant les opportunités de tous les autres citoyens. »

Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération Syndicale Internationale (CSI), met en garde contre les partisans du Partenariat, qui «  chercheront à tout prix à démanteler les protections sociales qui unissent nos collectivités et nos sociétés.  »

 

Pertes d’emplois aux États-Unis

Aux États-Unis, les pertes d’emplois dues à l’ALENA ont été enregistrées pendant des années, conformément à une disposition de la loi américaine garantissant une prolongation des allocations de chômage aux travailleurs en mesure de démontrer que leur employeur a délocalisé leur emploi au Mexique. Le ministère du Travail des États-Unis a conservé ces signalements.

Cependant, lorsque les pertes d’emplois se sont élevées au-delà de 500.000, le président américain George W. Bush a ordonné au ministère du Travail de cesser de recueillir ces statistiques gênantes.

« En 2010, les déficits commerciaux avec le Mexique avaient fait disparaître 682.900 emplois stables aux États-Unis, en grande partie (60,8 %) dans le secteur de la fabrication », déclare Robert E. Scott, de l’organisme Economic Policy Institute.

« Des emplois dans les secteurs de l’automobile, de l’électronique, de l’habillement et d’autres produits manufacturés ont été déplacés au Mexique, ce qui a accéléré les pertes d’emplois aux États-Unis, en particulier dans la région du Midwest, où ces produits étaient fabriqués. »

Jeff Faux, l’ancien directeur de l’Economic Policy Institute, ajoute par ailleurs que « l’ALENA a permis aux employeurs des États-Unis d’obliger les travailleurs à accepter des salaires plus bas et des indemnités moins avantageuses. »

En 1997 (trois ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA), Kate Bronfenbrenner, professeur à Cornell University, a découvert qu’un employeur sur dix qui se trouvait confronté à des revendications syndicales a annoncé qu’il délocaliserait son entreprise au Mexique. En 2009, Kate Bronfenbrenner a signalé que 57 % des employeurs concernés par une élection syndicale dans leur entreprise avaient menacé de fermer leur site de production.

Au Canada, la situation des travailleurs n’est guère plus enviable.

L’accord « n’a manifestement pas répondu aux attentes », a conclu Bruce Campbell, du Centre canadien de politiques alternatives. « Il est temps de réétudier l’ALENA pour voir s’il est contraire au bien-être des travailleurs canadiens (et des travailleurs des trois pays de l’ALENA). »

 

Conséquences désastreuses pour les travailleurs et les agriculteurs mexicains

Le fait de lier l’économie des États-Unis et celle du Mexique a eu un effet dévastateur pour les travailleurs mexicains.

Lorsque la récession actuelle a débuté aux États-Unis, quelque 400.000 employés des maquiladoras – ces usines situées à la frontière mexicaine qui fabriquent des produits destinés au marché américain – ont perdu leur emploi, d’après Martha Ojeda, de l’organisation non-gouvernementale Coalition for Justice in the Maquiladoras.

L’ALENA incite le gouvernement mexicain à empêcher toute augmentation des revenus, et ce afin d’encourager les entreprises à investir dans les usines de fabrication de produits d’exportation.

« Les fonctionnaires et les chefs d’entreprise cherchent à vendre le Mexique en le présentant comme un géant de l’exportation, mais cela n’a pas résolu le problème des faibles salaires ou de l’inégalité sociale », souligne Arturo Ortiz Wadygmar, de l’Institut pour la recherche en économie à l’Université nationale autonome du Mexique.

« Au lieu de cela, les bénéfices sont concentrés dans les mains de 500 entreprises transnationales, qui vantent la compétitivité du coût du travail au Mexique, mais c’est seulement une manière élégante de dire qu’il est bon marché. »

Vingt ans après la signature de l’ALENA, les protections mexicaines du travail sont fragilisées. L’ancien président Felipe Calderón a imposé des « réformes du travail » pour légitimer le travail précaire et affaiblir les droits des travailleurs.

Les syndicats qui se sont montrés hostiles à l’égard de ces mesures ont été malmenés par le gouvernement et les employeurs.

Le dirigeant du syndicat mexicain des mineurs, Napoleón Gómez Urrutia, a dû partir au Canada après avoir qualifié « d’homicide industriel » l’explosion qui s’est produite dans une mine appartenant à l’une des familles les plus riches du Mexique.

Pour citer un autre exemple, 44.000 travailleurs mexicains de l’électricité ont été licenciés et l’entreprise publique pour laquelle ils travaillaient a été dissoute.

Le président actuel, Enrique Peña Nieto, a fait passer en force une « réforme de l’énergie » qui conduit à privatiser les industries nationales dans le secteur du pétrole et de l’électricité.

Dans les zones rurales du Mexique, les répercussions de l’ALENA sont encore plus graves.

Fernando Ortega, du Front des paysans démocrates du Chihuahua, accuse l’ALENA d’avoir obligé les petits agriculteurs à entrer en concurrence avec de gigantesques entreprises agroindustrielles du Mexique, des États-Unis et du Canada, qui sont toutes largement subventionnées.

Cette situation a poussé près de huit millions de Mexicains à émigrer aux États-Unis pour trouver du travail.

Néanmoins, les tentatives d’opposition à l’ALENA et à ses conséquences ont rassemblé des travailleurs et des syndicats des trois pays.

Maria Elena Durazo, la secrétaire exécutive de la fédération syndicale californienne Los Angeles County Federation of Labor, insiste sur le fait que la «  solidarité internationale actuelle va au-delà des syndicats et des organisations de travailleurs. Il s’agit désormais d’un mouvement du peuple ».

 

Cet article a été traduit de l'anglais.