Bill de Blasio: le maire de la cause ouvrière ?

 

Le 1er janvier 2013, Bill de Blasio, un démocrate progressiste, assumera les fonctions de maire de New York, la plus grande ville des États-Unis et la capitale financière de la nation.

Sa promesse de s’attaquer aux inégalités économiques fait naître l’espoir d’un possible retour en scène politique pour la classe ouvrière organisée.

Après tout, s’il est arrivé au pouvoir, c’est aussi grâce au soutien du Working Families Party, d’affiliation ouvrière, et du puissant syndicat des employés de la santé United Healthcare Workers East (principale organisation affiliée au Service Employees International Union).

C’est d’autant plus significatif que l’écart de richesse représente l’un des problèmes les plus pressants de la ville.

D’après des statistiques récentes, le revenu moyen du cinquième inférieur de la population de New York s’élève à 8993 dollars, contre 222871 dollars pour le cinquième supérieur.

À Manhattan, arrondissement le plus central et le plus célèbre de la ville, l’écart de revenu est à égalité avec celui du Sierra Leone, de la Namibie et du Lesotho.

Si les classes laborieuses réussissent à pousser de Blasio vers des politiques de logement à prix abordable et de salaires dignes, cela prouvera que des politiques similaires peuvent fonctionner ailleurs aux États-Unis.

La grosse difficulté pour les syndicats du secteur public réside au niveau du règlement des conventions, dès lors que les 60 syndicats de la ville fonctionnent depuis trois ans sans conventions collectives.

Par conséquent, les employés de la ville n’ont pas obtenu la moindre augmentation salariale au cours de cette période.

Certains syndicalistes craignent toutefois que, malgré ses promesses d’une collaboration plus étroite avec les syndicats du secteur public que son prédécesseur Michael Bloomberg, de Blasio sera légalement tenu par son mandat aux restrictions budgétaires en vigueur, et ce jusqu’à l’annonce d’un nouveau budget à l’été 2014.

« Il a indiqué qu’il négocierait avec les syndicats », signale James Parrott, économiste en chef auprès du Fiscal Policy Institute, organisme indépendant qui a le soutien du mouvement syndical. « Cela pourrait marquer une rupture avec le passé ».

 

Paie rétroactive

Un problème qui prend cependant le pas sur le reste est la question de la paie rétroactive.

Compte tenu du fait qu’aucune nouvelle convention n’a été signée depuis trois ans, les syndicats estiment que les travailleurs sont en droit de percevoir les augmentations salariales qui leurs sont échues pour cette période.

Le fait qu’il n’y ait pas eu de reprise de négociations avec le maire Bloomberg était dû, en partie, à son rejet de toute paie rétroactive pour les travailleurs. La stratégie syndicale a donc consisté, du moins en partie, à appuyer un candidat démocrate qui serait plus susceptible d’agir sur cette question.

Cependant, rien n’indique que les syndicats obtiendront un paiement rétroactif intégral dans le cadre des conventions à venir.

Le budget négociable dont dispose la ville est limité et un rehaussement de la rétroactivité pourrait se traduire par des concessions forcées sur les augmentations salariales ou les prestations de santé futures.

Même John Liu, candidat démocrate à la mairie de New York qui se situait à la gauche de de Blasio et bénéficiait d’encore plus de soutien syndical a admis que le paiement rétroactif intégral serait impossible à atteindre.

« Je doute fort qu’il y ait encore des gens parmi la classe ouvrière qui croient qu’on dispose de tout un tas d’argent », a signalé Arthur Schwartz, avocat du droit du travail et militant du Parti démocrate à New York.

« Il y aura un réel effort concerté pour régler ces problèmes au plus vite et éviter que tous ces syndicats se mobilisent. La tâche est colossale ».

À titre d’exemple, les relations entre la fédération des enseignants (United Federation of Teachers, UFT) et le maire Bloomberg se sont envenimées quand la ville – à l’instar de beaucoup d’autres villes aux États-Unis – a cherché à privatiser le système public et à affaiblir les protections pour les enseignants.

Ce syndicat se distingue aussi par le fait qu’il a été dépourvu d’une convention collective depuis l’automne 2009, plus longtemps que tous les autres syndicats publics de la ville.

Les observateurs espèrent que de Blasio, qui en sa qualité de membre du conseil municipal avait plaidé la cause du syndicat des enseignants, œuvrera en collaboration étroite avec celui-ci, pas seulement au plan de la négociation collective, mais qu’il l’inclura aussi dans la formulation de la politique d’éducation.

Dans des propos attribués au président de l’UFT Michael Mulgrew au moment d’écrire ces lignes, celui-ci aurait déclaré approuver le choix des candidats au poste de chancelier au département de l’éducation proposé par de Blasio.

« De Blasio traitera l’UFT comme un partenaire et considérera les enseignants comme des gens qui contribueront réellement au processus, qui auront quelque chose à apporter à la table des négociations », a affirmé Schwartz.

 

Autres enjeux

Divers autres enjeux économiques retiendront l’attention des syndicats.

Sous Bloomberg, les défenseurs des droits des travailleurs et autres associations pour la défense de la justice économique se plaignaient de la facilité avec laquelle la ville accordait des exonérations fiscales aux promoteurs immobiliers.

Ces allègements fiscaux ont non seulement stimulé des chantiers de grande envergure qui ont favorisé de façon disproportionnée les locataires et acheteurs aisés mais ont également privé la ville de recettes fiscales dont elle avait cruellement besoin.

D’après des propos diffusés sur une chaîne de radio locale : « De telles incitations aux entreprises risquent, cependant, de susciter plus de scepticisme sous l’administration de Blasio. Pendant la campagne, de Blasio s’est insurgé contre les subventions et a promis de supprimer un programme qui, d’après lui, économisera 250 millions de dollars à la ville ».

Toutefois, en dépit des cris alarmistes qui ont émané des organes de presse réactionnaires durant la campagne électorale, qui accusaient de Blasio d’être un croisé en lutte contre le libre-marché (le New York Post, propriété du magnat Rupert Murdoch, a publié une manchette où sa photo apparaissait flanquée du marteau et de la faucille, faisant allusion à une visite effectuée en Union Soviétique), le nouveau maire élu n’a pas lésiné sur les efforts pour dissiper toutes craintes qu’il aurait pu susciter à Wall Street ou auprès des promoteurs immobiliers.

Ainsi, il n’a pas hésité à se présenter devant les milieux d’affaires représentés par l’Association for a Better New York en déclarant qu’il remplirait ses fonctions tel un « conservateur fiscal ».

De Blasio s’est également réuni avec les cadres supérieurs de Wall Street pour discuter de politique économique.

Bien que les syndicats et la gauche ouvrière aient affirmé qu’ils « veilleront à ce que de Blasio honore ses responsabilités », personne à l’intérieur du mouvement n’a suggéré autre chose que des rassemblements et des manifestations.

Si de telles actions contribuent à faire couler de l’encre dans la presse, elles ne constituent pas un levier politique conséquent.

Un recours auquel ils pourraient éventuellement avoir accès est celui du défenseur public, une instance municipale relativement inoffensive qui fait office d’ombudsman pour les autorités municipales.

Nouvellement élue à ce poste, Letitia James est une militante engagée dans la justice économique. Elle est aussi la première femme afro-américaine à occuper un poste à l’échelle de la ville de New York.

Au lieu de braquer leurs espoirs sur de Blasio, les syndicats et autres associations de défense des droits pourraient s’organiser avec le bureau de Letitia James pour lancer des campagnes d’opposition internes contre le maire si et quand ses propositions économiques accordent trop de concessions à Wall Street et aux promoteurs immobiliers.