De soif et de faim : au Venezuela, la crise de l’eau menace la sécurité alimentaire

De soif et de faim : au Venezuela, la crise de l'eau menace la sécurité alimentaire

A woman fills a container with water from a spring in the centre of Caracas, the capital of Venezuela, one of many regions affected by water shortages.

(María de los Ángeles Graterol)

Le Venezuela est le neuvième pays au monde sur le plan des réserves d’eau douce. Pourtant, l’État, qui assure l’approvisionnement en eau du pays, ne garantit pas la disponibilité et la qualité de cette ressource naturelle à ses habitants. De fait, c’est tout le contraire : l’aggravation de la crise de l’eau, qui touche 90 % de la population, pousse les Vénézuéliens les plus vulnérables au bord de l’insécurité alimentaire.

Dans ses derniers rapports, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies souligne que le manque d’eau potable entrave l’accès à la nourriture dans de nombreuses communautés de ce pays d’Amérique du Sud où, selon l’ONG Agua Sin Fronteras, 82 % des habitants sont exposés à la consommation d’eau insalubre en raison de l’inefficacité des stations d’épuration des eaux.

En 2000, le pays disposait de systèmes d’adduction d’eau capables de produire et de distribuer 160.000 litres d’eau par seconde. Aujourd’hui, ce chiffre n’est plus que de 55.000 litres par seconde. Pourquoi ? À cause d’un manque d’entretien et d’investissement dans le secteur. Un rapport de l’organisation locale Monitor Ciudad, qui se consacre à la défense du droit à l’eau comme un droit humain, le confirme : seuls 34,2 % des 6,426 milliards de dollars (5,908 milliards d’euros) approuvés entre 2002 et 2015 pour des plans et des améliorations par l’entreprise publique Hidrológica de la Región Capital (Hidrocapital) ont été exécutés. Hidrocapital est responsable des services de distribution de l’eau potable et d’assainissement dans trois grands États vénézuéliens : Distrito Capital, Miranda et Vargas, qui regroupent 20 % de la population vénézuélienne totale. « En fait, 70 % des ressources ont été perdues », a déclaré Jesús Armas, directeur de Monitor Ciudad.

En 2014, Nicolás Maduro a rendu officiel le rationnement de l’eau dans le cadre du « Plan d’approvisionnement ». À l’époque, les fonctionnaires de son administration avaient justifié cette mesure en invoquant les niveaux de précipitations « critiques » qui maintenaient le pays en situation de sécheresse. Aujourd’hui, même si ces conditions ont changé, les interruptions de service restent en vigueur.

Parallèlement, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a reconnu en 2018 que le changement climatique, qui constitue une grave menace pour les systèmes agricoles, a eu « un fort impact sur l’agriculture vénézuélienne, affectant la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la population ». Cette reconnaissance n’excuse pas la mauvaise gestion de l’eau par le gouvernement, car dans tous les contextes, l’eau est fondamentale pour garantir la sécurité alimentaire.

La nutritionniste Marianella Herrera, présidente de l’Observatoire vénézuélien de la santé, a expliqué à Equal Times qu’un lien étroit relie les régions du Venezuela les plus touchées par l’insécurité alimentaire et celles qui, à leur tour, signalent de graves problèmes d’approvisionnement en eau.

« En l’occurrence, nous ne disposons d’aucune étude sur l’insécurité alimentaire en relation avec le manque d’eau en particulier. Or, on constate [dans les données recueillies par les observatoires vénézuéliens des services publics et de la santé] une relation importante entre la faiblesse des services publics et l’insécurité alimentaire, qui est plus importante dans la région sud et dans des États comme Sucre, Apure et Falcón, qui ne disposent pas non plus de services publics optimaux et ne peuvent donc pas utiliser les aliments de manière appropriée (…) Si vous ne pouvez pas cuisiner, comment préparez-vous un paquet de haricots ? Vous ne pouvez pas les manger crus. Donc, le fait de posséder un kilo de haricots, mais de ne pas le consommer vous place quand même dans une situation d’insécurité du point de vue alimentaire », a également précisé la chercheuse du Centre d’études sur le développement (Cendes).

En 2019, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies a réalisé une évaluation de la sécurité alimentaire au Venezuela qui a établi que 92 % de la population vénézuélienne souffrait d’insécurité alimentaire, ce qui en faisait l’une des 10 pires crises alimentaires à l’échelle mondiale cette année-là. À partir de l’année suivante, en 2020, l’agence des Nations unies n’incluait cependant plus ce pays dans ses rapports sur la nutrition en raison d’un manque d’informations. Le rapport de 2022, intitulé Les points chauds de la faim – alertes précoces sur l’insécurité alimentaire aiguë de la FAO et du PAM, mentionne seulement que la sécurité alimentaire du pays risque de se dégrader.

Depuis presque dix ans, il n’existe pas de chiffres officiels sur la disponibilité des denrées alimentaires dans le pays. L’opacité qui entoure ce sujet nuit à l’élaboration de politiques publiques à même de remédier efficacement aux effets graves des disparités extrêmes en matière de consommation d’aliments, ont déclaré des experts tels que Mme Herrera.

Cette docteure en médecine, qui est également membre du conseil d’administration de la Fondation Bengoa pour l’alimentation et la nutrition, a souligné que parmi les questions prioritaires à traiter figure celle de la qualité de l’eau. Dans les villages et les zones rurales à faibles revenus du Venezuela, l’eau ne répond pas aux critères minimaux de sécurité, ce qui, selon elle, augmente non seulement le risque de consommer de l’eau contaminée, mais aussi la prolifération des maladies gastro-intestinales infectieuses.

La pénurie d’eau a également entraîné une modification des régimes alimentaires axée sur l’économie de l’eau.

Mario Figuera, un habitant de Las Lluvias, une communauté de l’État côtier septentrional de Vargas, a expliqué à Equal Times que sa famille doit payer 10 dollars par mois (9,19 euros) pour de l’eau de source, car cela fait plus de quatre ans que sa maison n’est plus alimentée par le réseau de distribution d’eau. « Nous la stockons dans des récipients en plastique, nous remplissons les bidons et nous nous limitons à préparer des repas comme du riz et des pâtes, denrées qui consomment le moins d’eau. Nous avons arrêté de faire des soupes, par exemple », a-t-il déclaré.

Ces adaptations qui se sont produites spontanément dans les cuisines régionales vénézuéliennes, a déclaré Mme Herrera, empêchent « la pratique de la cuisine d’une manière sûre et saine, sans affecter la sécurité des aliments ».

Quels sont les moyens mis en œuvre pour résoudre le problème ?

Face à la pénurie d’eau et à l’absence de réponse de l’État, des organisations non gouvernementales travaillent ensemble et de manière concrète pour guider et éduquer la population sur la manière de faire face à la crise de l’eau et d’en atténuer les effets.

Des organisations humanitaires telles que Caritas Venezuela ont mis en place des ateliers sur l’utilisation correcte des systèmes de collecte des eaux de pluie, distribué des filtres à eau artisanaux et des brochures d’information sur l’eau en tant que droit humain. Elles ont organisé des conférences afin d’enseigner aux gens comment se protéger des parasites transmis par l’eau et les méthodes de purification de l’eau. En pleine pandémie de Covid-19, les cours sur l’assainissement de l’eau ont été dispensés virtuellement et plus de 350 personnes les ont déjà suivis.

Parallèlement, l’agence des Nations unies pour l’éradication de la faim développe, par l’intermédiaire de ses agents de liaison dans le pays, l’installation de panels communautaires agroclimatiques (PCA) dans les communautés rurales vénézuéliennes. Celles-ci sont constituées de personnel technique d’organismes publics et privés liés au secteur agricole et de familles de ces villages. Leur objectif est de développer des programmes qui conduisent à une « augmentation de la production agricole, de la souveraineté et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ».

L’essai pilote a été réalisé dans des États andins tels que Mérida, Trujillo et Portuguesa, mais la promotion du projet dans d’autres régions n’est pas exclue. Il convient de souligner que toutes ces activités sont financées par l’Union européenne, la FAO se chargeant d’administrer les ressources.

« Les PCA sont indispensables pour que les familles d’agriculteurs soient préparées à la gestion des risques de catastrophes agroclimatiques afin d’éviter les dommages et les pertes de leurs cultures et de leur bétail, de garantir la durabilité de la production agricole et de protéger leurs moyens de subsistance », lit-on sur le site Web de la FAO au Venezuela.

Alors que la FAO insiste sur la possibilité pour le pays de transformer ses systèmes agroalimentaires et de les rendre plus efficaces grâce à ces panels, Juan Marrero, chercheur en sécurité alimentaire et en droit agraire à l’Institut d’économie agricole, estime qu’il conviendrait également de créer une politique d’État qui envisage la gestion des ressources hydriques autres que les précipitations, par l’utilisation des eaux souterraines, des aquifères ou des réservoirs.

M. Marrero a clairement déclaré que la réhabilitation et la conservation des structures hydrographiques étaient une priorité, car « la relation entre l’eau et la sécurité alimentaire est directe » ; le liquide est nécessaire à l’agriculture, qui consomme 70 % de l’eau mondiale dans les processus d’irrigation.

« La gestion de l’eau connaît des problèmes. La question du changement climatique se pose, certes, mais nous aurions dû nous préparer depuis longtemps pour que les conséquences du changement climatique ne nous affectent pas autant en cas de mauvaise saison des pluies [principale source d’eau] pour l’agriculture vénézuélienne, considérée comme pluviale », a déclaré l’ingénieur agronome, diplômé de l’Université centrale du Venezuela (UCV), à Equal Times.

Dans le monde, 1,2 milliard de personnes vivent dans des zones agricoles confrontées à de graves problèmes liés à l’eau. La FAO recommande à ces régions de commencer à réutiliser les ressources en eau douce, d’augmenter l’utilisation sûre des eaux usées et d’investir dans la collecte des eaux pluviales.

« Cela n’empêchera pas les sécheresses de se produire, mais cela peut contribuer à éviter qu’elles ne provoquent des famines et des perturbations socio-économiques », insiste la FAO.

M. Marrero, qui est également membre de l’Observatoire du droit à l’alimentation pour l’Amérique latine et les Caraïbes, partage l’avis de la FAO sur ce point. « Dans la situation actuelle d’altérations climatiques, si aucun système de stockage n’est mis en place, les producteurs vénézuéliens éprouveront de grandes difficultés et la production alimentaire diminuera », affirme-t-il.

Par ailleurs, il souligne que la précarité générale du secteur agricole fait qu’il n’est pas possible de recourir au forage de sources d’eau fiables ou à l’utilisation de motopompes pour acheminer l’eau des lagunes ou des cours d’eau vers les cultures afin de résoudre le problème. La plupart des agriculteurs n’ont pas les moyens financiers de faire face à tous les coûts engendrés.

Malgré la rareté de l’eau, et en raison des problèmes de canalisation, une partie de la quantité limitée d’eau distribuée est gaspillée. Parallèlement, et en relation avec la perte d’eau, le gaspillage alimentaire est également notoire : rien qu’en 2020, le chiffre mensuel s’élevait à 60.000 tonnes dans tout le pays, un gaspillage lié, entre autres, à l’absence de « politique publique rationnelle et cohérente » en matière de résilience agricole — analyse M. Marrero — et, très concrètement, aux difficultés que rencontrent les agriculteurs pour distribuer leur nourriture (en raison d’un manque de carburant, par exemple).

Les Nations unies prévoient que la population mondiale atteindra 10 milliards de personnes d’ici 2050, ce qui implique une augmentation de la demande alimentaire et, par conséquent, de la demande en eau. L’adoption d’une gestion résiliente des ressources en eau est essentielle pour accroître l’efficacité et la durabilité des pratiques agricoles afin d’éviter les sécheresses qui détruisent des récoltes entières et aggravent la malnutrition.

Par conséquent, à l’instar du reste du monde et compte tenu des données, le Venezuela devrait s’efforcer de réduire son empreinte hydrique et de modifier ses habitudes de consommation, ce qui pourrait se traduire par une réduction du volume d’eau gaspillée en raison des pertes ou des déchets alimentaires.

Le pays a encore le temps de contribuer à la réalisation des Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 en lien avec l’éradication de la faim et l’accès à l’eau potable, propre et abordable à tous. Mais il convient de procéder aux interventions nécessaires pour renforcer la résilience des communautés agricoles, surmonter les contraintes liées à l’accessibilité et à la demande en eau, et sensibiliser au rôle de l’eau dans la chaîne de valeur alimentaire.

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis