Droits d’auteur des journalistes: un luxe nécessaire

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Les récentes critiques formulées par les syndicats d’écrivains, d’acteurs et de scénaristes sur les dérives potentielles de l’intelligence artificielle sur des contenus protégés par les droits d’auteur relancent le débat sur l’importance pour les créateurs, et notamment les journalistes, de connaître leurs droits et d’en protéger l’utilisation.

« Quand mon ancien employeur m’a parlé de mes droits d’auteur, j’avoue que je n’y ai même pas prêté attention », confie Fleur D., une journaliste française qui a longtemps travaillé comme freelance avant d’être employée en CDI, qui souhaite rester anonyme.

Cette réaction est loin d’être isolée lorsque l’on interpelle les journalistes sur leurs droits d’auteur.

« Je ne m’en suis jamais soucié, mais j’avoue que c’est bien là le problème », admet Natalia Q., une journaliste indépendante espagnole.

Pourquoi un tel désintérêt?

D’abord, une méconnaissance d’un sujet assez technique. Entre « droit moral », « droit patrimonial », « cession », « licence », « exclusivité » ou « non-exclusivité » et autre jargon, les droits d’auteur ne donnent souvent pas envie qu’on s’y intéresse.

Ensuite, un sentiment d’impuissance, face à des contrats souvent non-négociables (quand ils existent), où les parties sont loin de peser le même poids. D’un côté, l’employeur et son contrat validé par une équipe de juristes, de l’autre le ou la journaliste, souvent solitaire.

Enfin, et c’est paradoxal, une connaissance qui n’est pas aussi répandue que lorsqu’il s’agit des droits des autres créateurs. Demander l’autorisation pour utiliser une photo ou une vidéo sur Youtube semble en effet aller plus souvent de soi pour nombre de professionnels des médias que lorsqu’il s’agit d’un texte.

« Al Arabiya avait organisé un atelier sur les droits d’auteur pour nous sensibiliser aux droits des autres créateurs », se souvient Nouredin Lafridi, chef du bureau Al Arabiya à Bruxelles. « Mais c’est la première fois en plus de 30 ans de carrière que l’on me parle de droits d’auteur des journalistes », confie-t-il.

Le droit d’auteur est un luxe dans une profession soumise à de fortes pressions économiques, et où celles et ceux qui travaillent comme indépendants cherchent avant tout à joindre les deux bouts dans la majeure partie du globe.

Un gage qualité et de professionnalisme

De Buenos Aires à Sydney, en passant par Dakar, les bureaux régionaux de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) sont unanimes et catégoriques: les droits d’auteur ne sont pas un sujet crucial pour les syndicats de journalistes quand la précarité contractuelle, l’insécurité, les intimidations et les violences sont des défis quotidiens. Sans parler des arriérés de salaire, un problème récurrent. Seule la Fédération européenne des journalistes, le groupe européen de la FIJ, place le sujet dans ses priorités.

Pourtant, le fait de créer une œuvre originale (un article, une photographie, un reportage audio) octroie bien à son auteur, qu’il s’agisse d’un journaliste indépendant ou salarié, des droits. Ce sont les droits moraux et patrimoniaux, les fameux droits d’auteur. « Le genre de l’œuvre est indifférent », précise l’Association des journalistes professionnels (AJP) de Belgique sur son site. « On peut donc être bénéficiaire de revenus de droits d’auteur sur un édito, une critique, un reportage, une brève, etc. »

Être reconnu comme auteur ne devrait donc pas être uniquement l’apanage des écrivains, notamment dans un contexte de fake news où la signature par le ou la journaliste est un gage de qualité et de professionnalisme.

Pouvoir signer un reportage et s’opposer à des modifications imposées par différents « partenariats » ou exigences des actionnaires d’un groupe de média devrait être un droit.

C’est d’ailleurs ce que sous-tend le droit moral, la partie non-pécuniaire du droit d’auteur qui lie l’auteur à son travail.

Le droit de recevoir un complément de rémunération quand l’exploitation d’un reportage dépasse son utilisation dans le média commissionnaire devrait s’imposer naturellement, notamment lorsqu’il est réutilisé dans différents médias d’un même groupe, ou vendu à des tiers. Il s’agit ici de la partie économique du droit d’auteur, ce que l’on appelle dans le jargon le « droit patrimonial ».

Au Kenya d’importants groupes de presse tels que le Nation Media Group et The Standard ont été largement critiqués par leurs journalistes et leurs représentants syndicaux pour avoir utilisé leurs articles dans d’autres médias du groupe sans rémunération supplémentaire.
En Australie, même constat. « Les journalistes indépendants, qui sont théoriquement titulaires de leurs droits d’auteur, les cèdent souvent en pratique à leurs employeurs, qui exigent cette cession avant de les employer », affirme Adam Portelli, directeur général-adjoint du Media Entertainment and Arts alliance, l’affilié australien de la FIJ.

Comment les employeurs s’octroient-ils ces droits ? Par le biais de contrats types prévoyant une cession totale des droits d’auteur, pour une durée illimitée, et sur tout support. Ainsi, il devient impossible de revendiquer le versement d’une rémunération supplémentaire pour une nouvelle utilisation du travail.

Législation et conventions collectives pour plus de protection

Une solution originale pour protéger les journalistes travaillant en presse écrite a cependant été lancée en France en 2009 dans le cadre de la législation dite « Hadopi ». Les droits sont cédés via des accords d’entreprise ou de branche aux différents médias pour une période de référence déterminée par un accord collectif. Cette période correspond généralement à la durée d’exploitation normale d’un article dont l’utilisation a pour seule contrepartie le salaire. Au-delà, une rémunération est due aux journalistes.

Une législation protectrice est la meilleure garantie de voir s’appliquer des contrats justes qui tiennent compte du déséquilibre contractuel. Mais lorsqu’une telle loi n’existe pas, les conventions collectives peuvent également pallier le problème en insérant des dispositions protectrices pour les journalistes.

Comment savoir si son contrat respecte les droits d’auteur? L’AJP fournit sur son site quelques conseils utiles. « Le contrat doit (...) comprendre expressément, pour chaque mode d’exploitation, la rémunération, l’étendue et la durée de la cession ».

Il serait également judicieux de s’informer auprès de ses collègues sur le contenu de leurs contrats et notamment la teneur des clauses relatives au droit d’auteur et vérifier si elles emportent une cession illimitée des droits.
Difficile en effet d’agir seul pour renégocier une clause qui s’est généralisée dans toutes les pratiques d’une rédaction. En parler à son syndicat afin que le sujet soit traité de manière collective, sans isoler de journaliste, sera plus efficace et susceptible d’aboutir à un véritable changement contractuel.

This article has been translated from French.