Fidji : La démocratie chamboulée

Opinions

 

L’archipel des Fidji, qui pour beaucoup d’entre nous évoque une destination de vacances paradisiaque, s’est converti en un foyer de pratiques contraires aux principes démocratiques consacrés par le droit international.

Le dernier exemple en date en est le récent décret promulgué unilatéralement par le gouvernement militaire du Fidji (arrivé au pouvoir en 2006 suite à un coup d’État) concernant l’enregistrement et la conduite des partis politiques.

Il est désormais extrêmement difficile pour les partis existants de progresser, et pour cause. Pas plus tard que cette semaine, le gouvernement a, de fait, aboli d’une volée 14 des 17 partis politiques des Fidji.

Il s’agit manifestement d’une démarche délibérée.

Les conditions liées à l’enregistrement des partis, telles qu’énoncées dans le nouveau décret gouvernemental, sont extrêmement inhabituelles et restrictives comparées à d’autres pays du monde.

En vertu des normes internationales de la démocratie, les États doivent se garder de rendre inutilement lourdes et fastidieuses les procédures afférentes à la constitution d’une association politique.

Or le nouveau décret oblige les partis à réunir les signatures et les cartes d’électeurs de 5 000 citoyens répartis entre quatre régions différentes du pays et à s’acquitter d’une redevance de plus de 5 000 dollars. Ce qui représente une multiplication par quarante du quorum de 128 signatures exigé auparavant.

Avec une population estimée à 870 000 habitants, les ressources nécessaires pour satisfaire à de telles conditions s’avèrent quasiment prohibitives pour la majorité des groupes d’opposition et disproportionnées pour la population.

Rien que la vérification des signatures serait pratiquement impossible, vu que les partis ne sont pas autorisés à accéder à la liste des électeurs.

Le dépassement du délai imparti a conduit à la mesure la plus draconienne pouvant être prise contre un parti en vertu des normes internationales : La radiation totale.

Dans le cadre des procédures électorales en vigueur à l’échelle internationale, il est généralement reconnu qu’une telle mesure ne doit être prise qu’en dernier recours, en cas d’infraction grave.

Cette transgression est de surcroît aggravée par le fait que l’État procède à la saisie des avoirs du parti radié, et ce dans un système où les partis ne bénéficient pas d’un financement public mais survivent grâce aux contributions privées.

 

Interdiction

Ce qu’il y a de plus frappant et d’extraordinaire c’est l’interdiction liée à l’appartenance à un parti.

Il n’est pas inhabituel que des pays interdisent aux fonctionnaires du gouvernement et aux personnels des forces armées d’accéder à certaines formes de participation politique.

Le décret n’échappe pas à cette règle. Il va, cependant, beaucoup plus loin en interdisant à des citoyens sans aucun lien avec le gouvernement d’exercer une fonction au sein d’un parti, d’y être affiliés ou simplement de parler en sa faveur.

Plus spécifiquement, le décret interdit de fait à toute personne occupant une fonction au sein d’un syndicat ou d’une fédération, d’un congrès, d’un conseil ou d’une fédération syndicale ou d’une association d’employeurs de prendre part à la vie politique sous quelque forme que ce soit.

C’est du jamais vu. En vertu des normes démocratiques internationales, l’affiliation à un parti et l’engagement politique sont encouragés et non réprimés.

La logique qui pousse certains pays à exclure les personnels de la fonction publique et des forces armées de la vie politique tient d’une volonté de préserver une image de neutralité de la part du gouvernement et des personnels militaires pour ce qui a trait aux résultats des élections.

On pourrait aller jusqu’à affirmer qu’il en va de l’intérêt public.

Mais en quoi l’exclusion de citoyens qui participent à l’activité syndicale peut-elle bien servir l’intérêt public ? Il n’y a rien qui puisse le justifier dans une société réellement démocratique.

De fait, l’interdiction de la participation des syndicalistes à la vie politique ne semble guère relever d’une décision arbitraire.

Elle vise manifestement à affaiblir le mouvement syndical en tant que force politique agissant en défense des droits des travailleurs et à faire en sorte qu’une partie des militants les plus engagés soient empêchés d’opposer le régime en place à travers le processus démocratique fondamental que constituent les élections.

Il semble peu probable que la promulgation du décret quelques jours seulement après l’annonce par la Fiji Trades Union Conference de son intention de constituer un nouveau parti politique soit pure coïncidence.

Le fait de disposer de partis politiques robustes garantissant une pluralité d’opinions est essentiel pour une démocratie florissante et est reconnu comme tel dans les instruments de droits humains depuis des décennies.

Ils représentent un véhicule important permettant aux citoyens d’avoir voix au chapitre, y compris dans l’opposition.

Ce concept a été complètement chamboulé à Fidji.