Ghouta, en Syrie : sous le siège, la survie

Le tableau de la Ghouta orientale, jadis grenier agricole de Damas, est sombre. Très sombre. Plus de 240 civils ont été tués dans des bombardements massifs en cinq jours début février 2018. De plus, l’ONU et des organisations humanitaires affirment qu’entre 346 et 366 civils sont morts dans des bombardements aériens depuis dimanche.

Les bombes s’abattent, ininterrompues, sur des bourgades qui ont déjà subi la pire attaque chimique du conflit syrien en août 2013, laquelle avait failli précipiter une réponse militaire américaine et s’était finalement soldée sur un plan de destruction des armes chimiques de la Syrie après l’intervention de la Russie.

La résolution alors votée par le Conseil de sécurité de l’ONU prévoyait qu’en cas de récidive, le recours à la force pourrait être employé. Or, les attaques chimiques n’ont pas cessé. Début 2018, les médecins de la Ghouta orientale recevaient encore des patients ayant les symptômes de bombardements au chlore.

Et les bombes au chlore ne sont que l’un des instruments de mort employés par le régime syrien contre la population de cette enclave rebelle située aux portes de la capitale.

Une prison géante

Le manque d’accès aux soins en est un autre, plus pernicieux. Car depuis octobre 2013, la Ghouta orientale est assiégée par l’armée syrienne.

Dans un rapport publié en septembre 2017, l’ONG Syrian American Medical Society (SAMS) évoquait les conséquences macabres du siège, qui empêche l’entrée de médicaments dans la Ghouta : « Des milliers de patients souffrant de conditions cardiovasculaires, de diabète, d’insuffisance rénale, d’asthme ou d’épilepsie risquent la mort faute de pouvoir suivre un traitement ».

Les maladies contagieuses comme la typhoïde, la salmonelle ou la tuberculose se répandent à cause des conditions de survie misérables provoquées par le siège.

Mohamad Katoub, membre de SAMS, chiffre le nombre de patients de la Ghouta nécessitant une évacuation médicale d’urgence à 765. Début février, il annonçait la mort de Zuhreih Kadado, le 24e patient sur cette liste mort faute de soins.

Osama Nassar vit à Douma, la capitale de la Ghouta orientale. Là, il a participé à la création des premiers comités de coordination locaux, nés du mouvement révolutionnaire de 2011. Détenu à deux reprises, il a vécu de l’intérieur le système carcéral syrien.

Dans un article publié sur Al-Jumhuriya, il n’hésite pas à comparer la vie des prisonniers à celle des civils assiégés de la Ghouta, « pas simplement une région assiégée, mais plutôt un camp de concentration, une prison géante qui contient un demi-million d’êtres humains ».

Ravitaillée tant bien que mal depuis des tunnels partant de Qaboun et Barzeh, la Ghouta est devenue totalement coupée du monde en février 2017, quand l’armée syrienne a remis la main sur ces deux bourgades.

Des tunnels que les groupes armés locaux, Jeish el-Islam et Faylaq el-Rahman, contrôlaient souvent au détriment de la population civile, comme le décrit Majd el-Dik dans « À l’Est de Damas, au bout du monde ».

Un univers extraordinaire

Livrés à eux-mêmes, les habitants de la Ghouta ont créé ce qu’Osama Nassar décrit comme « un univers extraordinaire par ses inventions et ses alternatives : électricité et réseau aquifère alternatifs ; hôpital alternatif, combustible alternatif, alimentation alternative, un lieu de vie et une famille alternative ».

Giath Alddin Zeen, président de l’ONG Ghiras el Nahda, revient, depuis la Turquie où il est réfugié, sur les premiers pas qui ont débouché sur l’éclosion de cet « univers extraordinaire » : « À partir d’octobre 2013, plus rien ne passe par la route vers la Ghouta. Jusqu’ici, nous distribuions des kits alimentaires et médicaux. Nous débutons alors des projets de développement, à partir des ressources présentes sur place. L’achat de chèvres et de moutons et le soutien à la production laitière par exemple, ainsi que les projets agricoles ».

À l’origine, la Ghouta est une terre agricole et ses habitants ont la main verte. Mais avec la multiplication des bombardements aux barils de TNT, aux roquettes à sous-munitions et aux armes chimiques, ainsi qu’avec l’explosion du prix du carburant provoquée par le siège, il devient presque impossible aux agriculteurs de maintenir leurs cultures vivrières.

Giath Alddin Zeen explique : « Nous avons créé sur place un centre de recherche composé de médecins et d’ingénieurs. Ils ont développé la technique du biogaz, afin de créer de l’électricité à partir de déchets naturels comme le fumier des animaux. Et pour pallier au manque de nourriture, nous avons décidé de développer la culture du champignon. Riches en protéines et en vitamine D, les champignons ont aussi l’avantage de pousser en intérieur ».

« Le projet n’a pas été facile », poursuit M. Alddin Zeen. « Le centre de recherche a été bombardé, mais un an plus tard, nous avons finalement mené l’expérience à son terme, jusqu’à produire 2,1 tonnes de champignons. Actuellement, nous formons 180 personnes à la culture du champignon, afin de diffuser cette pratique ».

Pas de solution

Activiste originaire d’Alep, Marcell Shehwaro fait partie d’un groupe de plaidoyer sur la situation de la Ghouta dont chaque membre tente d’améliorer le quotidien d’une famille qui vit sous le siège.

Depuis Beyrouth, elle se désole que l’émoi provoqué par le siège d’Alep Est fin 2016 se soit mué en indifférence sur celui de la Ghouta. « Pourtant, l’inventivité des gens pour survivre sur place force l’admiration », assure-t-elle, décrivant notamment l’initiative de « Beyt el mouné » (« la maison du mouné »), une technique de conservation traditionnelle des aliments, que le groupe distribue ensuite aux familles les plus pauvres de la Ghouta.

L’activiste dénonce aussi l’insuffisance de l’aide humanitaire : « Le problème est le manque de suivi. Les convois humanitaires ne parviennent qu’exceptionnellement à pénétrer dans les villes assiégées, avec de la nourriture en quantité insuffisante et sans les médicaments adaptés aux cas urgents. Les ONG internationales disent qu’ils restent à Damas pour faire pression sur le régime, mais cela n’a objectivement pas de résultats ».

Le 14 février, un convoi de l’ONU et du Croissant rouge syrien de neuf camions a enfin délivré de l’aide humanitaire dans la Ghouta. Le dernier convoi remontait à novembre 2017.

Pas de quoi pallier les besoins criants de médicaments. Employée du centre de l’ONG féministe Women Now de la Ghouta, Nivin raconte à Equal Times : « Même les médicaments les plus basiques sont rares. Nous achetons à prix d’or des anti-inflammatoires périmés depuis trois ans ».

Le 6 février, l’ONU a réclamé une trêve humanitaire d’un mois en Syrie pour « permettre la distribution d’aide humanitaire, l’évacuation des blessés et des malades dans un état critique, et d’alléger la souffrance ».

Marcell Shehwaro travaille sans relâche pour redonner de l’espoir à une famille de la Ghouta. Mais quand elle songe à l’avenir de l’ensemble de la région assiégée, son optimiste s’évanouit : « Il n’y a pas de solution pour la Ghouta. L’année passée à Alep, l’évacuation était encore possible vers Idlib », dit-elle.

En effet, jusqu’à présent, après la reddition des villes rebelles assiégées comme Homs, Daraya, Moadamiyeh ou Alep, leur population était transférée de force vers la province d’Idlib, au nord-ouest du pays. « Mais aujourd’hui, Idlib est sous les bombes et en passe d’être rayé de la carte par l’armée syrienne et ses alliés. Que vont-ils faire du demi-million d’habitants de la Ghouta ? ».

This article has been translated from French.