Harris contre Quinn : «les attaques contre les droits des travailleurs ne vont pas faiblir»

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Lundi dernier, la Cour suprême des États-Unis a infligé un sévère revers aux syndicats représentant les travailleurs qui prennent soin des personnes malades ou handicapées à domicile.

Dans l’affaire Harris contre Quinn, et avec une majorité d’une seule voix (5-4), la Cour a statué que les syndicats ne pouvaient pas exiger des travailleurs qu’ils leur paient une contribution pour leur travail de représentation dans les négociations visant à obtenir des revalorisations salariales et de meilleures conditions de travail.

Les syndicats craignaient un arrêt à portée beaucoup plus vaste qui aurait pu signifier la fin des droits de négociations collective pour l’ensemble des travailleurs du secteur public.

Or, la décision plus circonscrite de la Cour n’est pas allée aussi loin – du moins pour l’instant.

« L’arrêt rendu aujourd’hui n’a pas donné aux extrémistes de l’antisyndicalisme la victoire qu’ils espéraient », a commenté Lee Saunders, président de l’American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME).

« Cet arrêt n’élimine pas les conventions existantes… mais ne vous leurrez pas : l’opinion du Juge Alito annonce clairement que les attaques systématiques contre les droits des travailleurs ne vont pas faiblir. »

Le verdict clôt une affaire déposée en 2010, au nom de neuf aides à domicile de l’État de l’Illinois, par la fondation de défense juridique du lobby de droite National Right to Work.

Dans l’ensemble des États-Unis, des centaines de milliers de travailleurs s’occupent au quotidien des soins à domicile des malades et des personnes handicapées.

Les travailleurs sont recrutés par les sujets des soins eux-mêmes ou par des membres de leur famille. L’agent nécessaire au paiement de leur salaire provient du gouvernement, essentiellement par le biais du programme fédéral Medicaid.

Au début de la dernière décennie, les syndicats du secteur public de l’Illinois avaient persuadé l’État de mettre sur pied un organisme public qui agirait en tant qu’employeur des aidants à domicile en vue de déterminer leurs salaires et avantages.

Ce modèle a fait des émules dans neuf autres États, à savoir la Californie, le Connecticut, le Maryland, le Massachusetts, le Minnesota, le Missouri, l’Oregon, le Vermont et l’État de Washington.

En 2003, au moyen d’un vote, près de 26.000 aidants à domicile de l’Illinois ont pu opter pour la représentation syndicale, confiée à l’Union internationale des employés de services (SEIU) ; dans d’autres États, des votes de cette nature ont donné le statut représentatif à l’AFSCME ou ausyndicat American Federation of Teachers.

Ensuite, la SEIU a négocié une convention.

« Avant que nous n’ayons constitué notre syndicat, je gagnais moins de 6 USD par heure, mais maintenant que nous sommes unis nous allons gagner 13 USD par heure d’ici la fin de l’année », a dit Flora Johnson, aidante à domicile de Chicago, dans une déclaration.

En vertu d’une précédente décision de la Cour suprême de 1977 dans l’affaire Abood contre Detroit Board of Education, les syndicats du secteur public peuvent exiger le paiement d’une contribution pour couvrir les coûts de la représentation des travailleurs, y compris de ceux qui ne sont pas membres syndicaux et ne paient pas de cotisation syndicale.

Le procès intenté par la fondation Right to Work visait à éliminer l’obligation du paiement de cette contribution pour tous les travailleurs du secteur public.

Les syndicats craignaient que cela ne serve de prétexte à une profonde diminution des droits de négociation collective dans le secteur public.

 

Antisyndicalisme notoire

Il apparaît clairement dans l’opinion de la majorité des juges de la Cour, rédigée par le juge Samuel Alito dont l’antisyndicalisme est notoire, qu’il aurait préféré ce résultat.

Il a dit que le paiement d’une telle contribution constituait une infraction à l’interdiction, posée par le premier amendement de la Constitution, de restreindre la liberté d’expression, puisqu’il obligeait un travailler non syndiqué à donner de l’argent à un syndicat.

La juge Elena Kagan a fait état de la dissension minoritaire en disant : « Les programmes de soins à domicile ont longtemps souffert de déficits de main-d’œuvre et d’une forte rotation du personnel, essentiellement à cause des faibles salaires et avantages des travailleurs. Cette instabilité de l’emploi amoindrit la qualité des soins, ce qui pousse à placer les personnes handicapées dans des institutions et augmente les coûts à charge de l’État. »

Face au juge Alito et aux quatre autres juges conservateurs, la SEIU campe sur ses positions.

« Aucun arrêt ne va empêcher que les aidants à domicile s’unissent afin de pouvoir faire entendre leur voix en faveur d’emplois décents et de soins à domicile de qualité », a dit Mary Kay Henry, présidente de la SEIU.

L’on retrouve le même ton de défi chez le président de l’AFL-CIO Richard Trumka : « Ne vous méprenez pas : ce n’est pas un arrêt de la Cour suprême qui pourra décider du sort des travailleurs », a-t-il averti.

La décision visait en fait des pans entiers de la main-d’œuvre étasunienne dans lesquels les syndicats ont fait une percée.

Les aidants à domicile sont généralement des femmes de couleur qui depuis des décennies travaillent pour les plus bas salaires qui soient. C’est pourquoi elles ont été très réceptives à l’idée d’une syndicalisation.

C’est le cas également d’autres groupes de travailleurs d’appoint qui par tradition n’ont pas de relation avec de grands employeurs.

Lors de sa convention de 2013 à Los Angeles, l’AFL-CIO s’est engagée à davantage travailler aux côtés des centres de travailleurs de ces sections de la main-d’œuvre.

Les employeurs ont fait preuve d’une hostilité croissante devant l’activité syndicale émergeant parmi les travailleurs d’appoint ou faiblement rémunérés.

L’arrêt de la Cour suprême se fait le relais de cette hostilité et place de nouveaux obstacles devant ces travailleurs dans leur effort de s’organiser et d’améliorer leur situation économique.