Il est temps de mobiliser le capital des travailleurs

Opinions

 

Voici une petite énigme : Quel grand organisme est légalement en mesure de déployer plusieurs trillions de dollars rapidement si la possibilité lui en est donnée?

Si vous avez répondu le gouvernement chinois ou américain, nous vous remercions d’avoir joué et vous invitons à retenter votre chance une autre fois.

La réponse est : Les syndicats.

[caption id="attachment_5421" align="alignnone" width="530"] Les pratiques destructrices des financiers de Wall Street pourraient être remplacées par des travaux publics financés par les retraites (AP Photo/Richard Drew) 

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La source la plus vaste et la plus accessible imaginable de capital bon marché est en train de s’accumuler aux quatre coins du monde.

Pas de commissions de courtage excessives comme à Wall Street. Pas d’échanges sophistiqués de défaut de crédit. Uniquement de l’argent en espèces sonnantes et trébuchantes.

L’argent accumulé dans les caisses de retraite – le paiement différé des salaires. Les caisses de retraite possèdent aujourd’hui 73 pour cent des actions émises par les entreprises du Fortune 1000.

Figurez-vous un instant : Du jour au lendemain, tous ces ponts, ces routes, ces écoles, ces ports, ces projets d’énergies renouvelables – qui aujourd’hui manquent cruellement de ressources du fait des coupes budgétaires insensées entreprises par les gouvernements – pourraient être financés à l’aide de ce capital bon marché.

Rien qu’en augmentant la part des investissements des caisses de retraite dans les technologies vertes et les projets bas-carbone de leur niveau actuel de deux à trois pour cent à cinq pour cent de leur valeur de portefeuille se traduirait par l’injection de 300 milliards de dollars au cours des trois prochaines années dans des projets critiques de ce genre.

Si le capital en question comportera bien un coût, celui-ci ne sera pas motivé par l’appât du gain individuel : Les projets financés au moyen des retraites devront être syndiqués et garantir un salaire vital.

L’idée de mobiliser le capital des travailleurs ne date pas d’hier. Elle a fait l’objet d’intenses débats depuis plus de deux décennies.

Mais à l’exception d’une poignée de projets et d’une série de campagnes de gouvernance d’entreprise (essentiellement des résolutions d’actionnaires qui, à défaut de l’emporter, peuvent néanmoins contribuer à mettre la pression sur des questions comme la rémunération excessive des cadres), le pouvoir du capital des caisses de retraite a rarement été mis à contribution.

Qu’est-ce qui nous arrête ?

Pour commencer, tout simplement le fait que l’argent n’est pas à la disposition entière et exclusive des syndicats.

En règle générale, les décisions relatives aux caisses de retraite relèvent d’un conseil d’administration conjoint composé, à voix égales, par la direction et les travailleurs.

Le « partenariat » légal est, toutefois, un pur mythe: En réalité, le management a généralement l’avantage dans la direction des investissements.

Alors que les membres des conseils de direction sont extrêmement compétents en matière de bilans, les représentants des caisses de retraite sont généralement terriblement peu qualifiés en ce sens et sont souvent choisis en raison de leur ancienneté ou de leur loyauté au syndicat.

Sans compter que les options de caisses de retraite sont pratiquement toujours déterminées et contrôlées par des conseillers financiers professionnels dont l’unique préoccupation est le taux de rendement – et leur rémunération.

D’autre part, la plupart des systèmes juridiques prévoient que les capitaux soient investis dans le seul but d’accroître et de protéger les prestations des retraités.

Cette interprétation a depuis toujours privilégié une stratégie d’investissement conservatrice, sans originalité – qui n’a jamais été remise en question par les administrateurs syndicaux.

 

Crise financière

En y regardant de plus près, un examen objectif rendrait à l’évidence le peu d’intérêt qu’a jusqu’ici suscité auprès des syndicats l’idée du pouvoir du capital.

Pourvu que la caisse de retraite signalât un rendement acceptable et que les retraités fussent contents, le dirigeant syndical moyen considérait un tel résultat satisfaisant.

Toutefois, deux développements concomitants sont survenus.

La crise financière mondiale déclenchée par la conduite immorale (et, dans mon opinion, criminelle) de pratiquement toutes les firmes financières de Wall Street a provoqué plusieurs trillions de dollars de pertes, assénant un coup dur aux caisses de retraite.

Ce qui n’a pas manqué de provoquer une réaction au sein du monde syndical.

Outre la CFM, un certain nombre de dirigeants syndicaux tournés vers l’avenir et confrontés au déclin des effectifs et à un climat de plus en plus hostile à la syndicalisation ont commencé à tourner leur attention vers de nouvelles stratégies.

Cela a contribué à recentrer l’attention sur le capital des travailleurs.

Il y a des progrès positifs à signaler. Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, a fait de cette priorité d’action une mission personnelle.

Elle a récemment posé les bonnes questions: « À quel moment avons-nous permis, sans broncher, que nos caisses de retraite deviennent captives du cadre de marché dominant?

Avons-nous perdu une perspective de la logique syndicale originelle de la négociation pour le paiement différé des salaires sous forme de revenus de retraite et/ou de la revendication de garanties législatives/réglementaires pour des revenus de retraite dignes ? »

Plus récemment, le système de retraite des enseignants (Teachers Retirement System) de la ville de New York a promis d’injecter 10 milliards de dollars dans un nouvel investissement de portefeuille lié à l’infrastructure, au profit des efforts de reconstruction suite à l’ouragan Sandy et de la mise à niveau des infrastructures urbaines.

Cette initiative découle directement d’un engagement de l’AFL-CIO lors de la réunion inaugurale de la Clinton Global Initiative America, en 2001.

Pendant ce temps, sur la côte ouest des États-Unis, un échange multi-états entre la Californie, l’Oregon et Washington examinera conjointement des projets dignes d’investissements.

Tout ceci est, comme le dit l’adage, une goute d’eau dans la mer, un grain de sable sur la plage de l’océan de capitaux prêts à être déployés.

Les fédérations syndicales internationales et les syndicats nationaux se doivent de mettre sur pied un réseau planétaire d’administrateurs de caisses de retraite pouvant être formés et pouvant agir conjointement lorsque se présentent des possibilités d’investissement. Il appartiendra ensuite à ces administrateurs de planifier des campagnes conjointes.

Imaginons un instant la délicieuse tournure que prendraient les événements si les financiers de Wall Street étaient, en somme, mis à la porte– ceux-là mêmes qui ont détruit le bien-être économique de dizaines de millions de personnes – et de voir, à la place, s’ériger des ponts qui non seulement revigoreraient le cœur battant de l’activité économique d’une ville mais, de surcroît, fourniraient la force nécessaire pour garantir un niveau de vie décent à ses citoyens.