Au Venezuela, l’apathie du gouvernement freine le développement de l’énergie verte

Au Venezuela, l'apathie du gouvernement freine le développement de l'énergie verte

A wind turbine at the Andrés Bello Catholic University in the Antímano community of west Caracas in Venezuela.

(María de los Ángeles Graterol)

Pour répondre à ses besoins énergétiques, le Venezuela a longtemps été dépendant des grandes centrales hydroélectriques, du pétrole et du gaz. Naguère une puissance pétrolière en Amérique latine et dans le monde, le pays a vu cet âge d’or toucher à sa fin, et ce pas uniquement à cause de la crise dans laquelle se trouve plongé le secteur pétrolier, crise dérivée, entre autres, d’une mauvaise gestion gouvernementale. L’empreinte environnementale des combustibles fossiles a contraint de nombreux gouvernements à revoir leurs modes de consommation en faveur des énergies renouvelables.

Selon la Banque interaméricaine de développement (BID), les ressources naturelles dont dispose la région lui permettraient, par le recours aux filières alternatives, de couvrir 22 fois la demande d’électricité prévue d’ici 2050. Dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le développement durable à l’horizon 2030, le continent devrait au cours de cette année porter sa capacité installée d’énergie verte destinée à la production électrique à 85 %, où le photovoltaïque et l’éolien occuperaient une place prépondérante.

Le Venezuela est toutefois loin d’être sur la voie d’une transition verte et contribue peu à la réalisation de cet objectif régional, et pour cause. La production d’énergies alternatives n’atteint même pas 1 %. C’est ce qu’a déclaré dans un entretien avec Equal Times Luis Angel Ramirez, docteur en sciences et en énergies vertes et professeur en énergies renouvelables à l’université catholique Andres Bello – la première du Venezuela à être dotée d’un toit vert équipé de 30 panneaux photovoltaïques et d’une éolienne d’une capacité totale de 8.000 watts. Or, sur environ 20 % du territoire national, a fortiori dans les États andins situés à proximité des tropiques, le niveau de rayonnement solaire est idéal pour tirer parti des modèles d’énergie photovoltaïque.

La Corporacion Electrica Nacional (Corpoelec), l’entreprise publique chargée de la production d’électricité, estime, pour sa part, la capacité de production actuelle du parc électrique vénézuélien à 24.000 mégawatts (MW). Alors que 30 % de cette production pourrait être couverte par le photovoltaïque et l’éolien, le manque d’investissements dans les transferts de technologie et l’absence de politiques dans ce domaine ont empêché la réalisation de cet objectif, explique M. Ramirez.

La construction de parcs éoliens dans le pays a démarré à partir de 2006, sous le gouvernement d’Hugo Chavez, avec des investissements à hauteur de 725 millions USD (673 millions d’euros). Cependant, les deux principaux parcs – dans les péninsules de Paraguaná et de La Guajira, dans les États de Falcón et de Zulia respectivement – dotés d’une capacité de production totale de 125 MW et capables de satisfaire les besoins en électricité de 45.000 foyers, ont été démantelés. Dans le premier cas, seules cinq de ses 54 éoliennes sont en service, et dans le second, seulement 12 des 36 éoliennes prévues ont été installées, cependant pas une seule de celles-ci ne reste opérationnelle aujourd’hui.

En 2010, alors que ces parcs étaient en plein essor, l’Association vénézuélienne de l’énergie éolienne avait estimé que le Venezuela produirait 10.000 MW d’énergie éolienne à l’horizon 2025, ce qui lui permettrait de couvrir 10 % de la demande nationale d’électricité prévue, avec une croissance annuelle de la capacité éolienne installée de l’ordre de 6 %.

« Le Venezuela pourrait produire de l’électricité de sources éolienne et solaire dès maintenant, cependant les dispositifs nécessaires pour capturer cette énergie font défaut. On ne dispose pas de fermes solaires photovoltaïques. On ne dispose donc pas des capacités de production d’électricité à partir de ces sources alternatives au niveau national. »

« Bien que certaines entreprises soient dotées d’installations propres, elles ne se sont pas étendues, pour cause d’entraves. La plus importante d’entre elles étant le prix du kilowattheure (kWh), qui rend le recouvrement de l’investissement d’une telle installation difficile », a déclaré Nelson Hernandez, chercheur universitaire spécialisé dans le potentiel des énergies renouvelables et membre de l’Académie nationale de l’ingénierie et de l’habitat. Le prix du kWh avoisinait 0,002 USD en 2020, selon le site Global Petro Prices, faisant du Venezuela le pays au tarif électrique le plus bas de la région, suivi de Cuba, avec 0,008 USD par kWh.

Les entreprises étrangères ne voient donc pas le pays comme un terrain propice pour l’investissement dans les énergies vertes, pas plus d’ailleurs qu’il ne serait rentable pour les ménages vénézuéliens, et pour cause. Selon M. Hernandez, outre le fait qu’il n’existe aucun financement public destiné au développement de tels systèmes photovoltaïques ou éoliens, il faudrait entre sept et dix ans pour obtenir un retour sur investissement.

« Dans le cadre d’un projet récent, les besoins en électricité d’un immeuble de 20 appartements ont été estimés à 60 kWh. Ce qui, dans le cas du Venezuela, impliquerait un investissement de 60.000 USD [installation de systèmes électriques alternatifs]. Ce coût pourrait s’avérer moins élevé dans d’autres pays et varie en fonction de l’octroi d’éventuelles subventions publiques. En effet, ce n’est plus ici de 0,002 USD par kWh dont il s’agit, mais bien du coût de l’importation et de la nationalisation des équipements. Ainsi, une telle installation à 60.000 pourrait revenir à 45.000 en Colombie, voire 25.000 en Chine », a expliqué le professeur Ramirez, auteur de diverses études sur la durabilité énergétique.

Selon une étude de la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC) sur la mise au point d’indicateurs relatifs à la pauvreté énergétique en Amérique Latine et dans les Caraïbes, au Venezuela, où le salaire minimum avoisine 0,96 euro par jour, l’évolution technologique vers des services énergétiques à haut rendement et de qualité « est entravée par le coût élevé que cela représenterait pour le revenu moyen des ménages les plus démunis ».

La question du coût et de l’utilisation des combustibles pour la production d’électricité

La BID a signalé une augmentation de 300 % de la consommation d’électricité sur le continent au cours des 40 dernières années, les factures d’électricité représentant 3,3 % du revenu moyen des ménages en Amérique latine. En 2016, selon Corpoelec, le Venezuela était le premier consommateur d’énergie par habitant en Amérique latine, loin devant d’autres pays comme le Brésil. Face à ce contexte, la tendance régionale a consisté à miser sur une décarbonation axée sur le mix énergétique.

En décembre 2021, un projet de loi organique sur les énergies renouvelables non conventionnelles a été soumis à une discussion préliminaire au parlement vénézuélien, à majorité « chaviste ». À cette occasion, il a notamment été proposé d’incorporer au système énergétique national des sources d’énergie alternatives – en plus de l’hydroélectricité et de la thermoélectricité, qui prédominent actuellement. Cependant, six mois après la présentation de la proposition, les rapports officiels ne donnent toujours pas de signe de progrès.

Pendant ce temps, les coupures de courant deviennent de plus en plus fréquentes, et régulières, dans tout le pays : au cours des deux premiers mois de 2022, les pannes d’électricité ont privé de courant 58,5 % des foyers vénézuéliens pendant des périodes allant de deux à six heures, alors que les coupures quotidiennes ont touché 30 % de la population, selon les données de l’Observatoire vénézuélien des services publics (Observatorio Venezolano de los Servicios Publicos). Dans certaines villes du pays, les autorités ont préféré ne pas attendre l’adoption du projet de loi et mis en place des solutions ad hoc.

Dans la ville de Maracaibo, par exemple, dans l’État de Zulia, l’une des zones les plus touchées par les coupures de courant, les responsables municipaux ont débattu de l’ordonnance relative aux énergies alternatives, vertes et propres, qui obligerait les entreprises de construction de logements à prévoir dans leurs plans des espaces pour l’installation d’équipements photovoltaïques. Ils espèrent par ailleurs à moyen terme fournir de l’électricité aux écoles et aux centres de santé en diversifiant leurs sources d’énergie, afin de devenir autonomes et de réduire les pannes de courant (dues à la crise économique). Les conseillers municipaux ont déclaré à la mi-mai que, si la proposition était approuvée, elle entrerait en vigueur en juin de cette année et serait la première de ce type à être adoptée dans le pays. Au moment de la publication de cet article, toutefois, les autorités n’avaient toujours pas officiellement fait état de progrès en ce sens.

Également à Maracaibo, dans le cadre du plan « Maracaibo Verde », des réverbères équipés de panneaux photovoltaïques ont été installés sur les places et dans les rues les plus fréquentées de la ville. Plus au nord, à San Cristobal, capitale de l’État frontalier de Tachira, des panneaux solaires ont été installés sur dix terrains de sport. Il s’agit, cependant, là encore de mesures isolées qui ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une stratégie ou d’un plan national.

« Bien que ces initiatives partent d’une volonté de répondre au besoin impérieux d’électricité à l’échelle du pays, elles n’ont pas été coordonnées avec l’ensemble des organismes compétents chargés de délivrer les autorisations, notamment les ministères », a indiqué le professeur Ramirez.

D’autre part, face aux coupures intempestives d’électricité, de nombreux Vénézuéliens ont opté pour la production électrique autonome à base de combustible fossile, une solution plus rentable aux prix actuels, en dépit des pénuries saisonnières de combustible dont est frappé le pays.

Pour faire fonctionner un groupe électrogène au diésel pendant huit heures, il faut huit litres de carburant par jour, soit environ 24 USD par jour, sachant qu’un litre se vend au prix de trois USD sur le marché noir. Il ne s’agit toutefois pas d’une solution durable, a déclaré au média local Cinco 8 l’ingénieur électricien Mahley Marquez, directeur général d’Araf Energy, une entreprise qui fournit des services dans le domaine de l’énergie photovoltaïque et éolienne dans l’ouest du Venezuela.

Comment promouvoir l’énergie verte dans les logements ?

Le même problème se pose au Nigeria, un autre pays producteur de pétrole où 43 % des foyers sont hors réseau, alors que ceux qui y sont raccordés subissent des coupures de courant constantes. Le gouvernement nigérian projette d’investir dans une macro-centrale solaire d’une capacité de 200 mégawatts par heure, qui sera la plus grande d’Afrique de l’Ouest lorsqu’elle sera achevée en 2023. D’autres projets de décarbonation sont également en cours, avec un potentiel de 30.000 nouveaux emplois.

Le débat citoyen en cours dans ce pays africain a engendré une pression sur les autorités, qui accélèrent désormais le processus de diversification des sources.

La différence entre ces deux pays, toutefois, est que dans le cas du Venezuela, la population privilégie l’adoption de solutions aux coupures d’électricité sans trop se soucier de leur empreinte environnementale. Jusqu’ici, en effet, la participation des Vénézuéliens à ces enjeux, pourtant essentiels si l’on tient à modifier les modes de production et de consommation de l’énergie, reste modeste, et ce principalement parce qu’il existe peu d’informations sur les avantages directs qui découleraient de l’utilisation d’énergies propres, notamment en termes de création d’emplois, trois fois supérieurs à ceux générés par les entreprises du secteur des énergies fossiles.

D’autre part, pour amorcer pleinement cette transition énergétique, des incitations doivent être offertes par le gouvernement.

Au Chili, par exemple, le ministère de l’Énergie, par le biais du programme Casa Solar, subventionne l’achat de systèmes photovoltaïques pour les résidents d’une même communauté, ce qui permet à chaque foyer d’économiser l’équivalent de 363 USD par an en factures d’électricité, dans la mesure où l’énergie inutilisée par le foyer est réinjectée dans le réseau électrique national. Il en va de même en Uruguay et en Colombie, où les compagnies d’électricité offrent des subventions et des réductions temporaires pour une durée de jusqu’à un an aux particuliers qui équipent leur logement de dispositifs photovoltaïques.

Telle est la voie dans laquelle s’engagent la plupart des pays de la région, où à l’heure actuelle, 52 % de l’énergie produite provient de sources renouvelables. La capacité du Venezuela à réaliser une telle transition dépendra de la volonté politique de son gouvernement qui, selon les recommandations de la CEPALC, devrait apporter des modifications législatives et encadrer l’utilisation de ces énergies, stimuler les partenariats public-privé entre les entreprises du secteur et accorder des subventions directes et des primes pour la mise en place de sites résidentiels respectueux de l’environnement.

Enfin, l’invasion de l’Ukraine pourrait avoir un impact positif sur cette transition, les États-Unis ayant autorisé les entreprises européennes à se fournir en pétrole vénézuélien pour pallier les effets de l’embargo de l’UE sur le pétrole russe.

« Un ensemble de facteurs internes doivent en outre être réunis pour réorganiser l’économie vénézuélienne de manière à ce que les modèles économiques liés aux énergies renouvelables fonctionnent. S’il n’existe pas de relation directe entre la mise en œuvre de politiques nationales de développement durable et l’avancée de la guerre en Ukraine, il est en revanche certain que le produit intérieur brut vénézuélien se verra favorablement impacté par l’ouverture économique que suppose la vente de carburants aux pays européens. Aussi, si les ressources pétrolières sont investies à bon escient, il est permis de penser que le Venezuela pourrait effectivement (...) bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre financière pour investir dans les énergies vertes », a conclu l’ingénieur vénézuélien Luis Ramirez.

This article has been translated from Spanish by Salman Yunus