L’emploi vert dans l’agriculture au Guatemala, où en est-on ?

L'emploi vert dans l'agriculture au Guatemala, où en est-on ?

Due to the dramatic changes in rainfall patterns, each year sees a period of ‘seasonal hunger’, which affected an estimated 4.3 million people in 2023 in the departments with the highest levels of poverty and chronic child malnutrition. In the photo, farmer Marta Velásquez picks maize on her plantation in Sacapulas, Guatemala, on 5 September 2023.

(Johan Ordóñez/AFP)
Opinions

Le Guatemala est un pays qui présente une très grande diversité mais aussi, une très grande disparité. S’agissant de sa diversité, celle-ci se trouve aujourd’hui menacée par les effets des changements climatiques, eux-mêmes exacerbés par la déprédation de l’environnement et par l’utilisation irrationnelle des ressources naturelles. En proie à une perte croissante de la richesse forestière, le pays affiche l’un des taux de déforestation les plus élevés d’Amérique latine, alors que près de deux tiers des ménages au Guatemala cuisinent au feu de bois.

Les fortes variations pluviométriques entraînent chaque année une période de « faim saisonnière » qui, selon les estimations, touchera 4,3 millions de personnes en 2023. Les départements où les niveaux de pauvreté et de malnutrition infantile chronique sont les plus élevés sont particulièrement touchés, notamment dans le couloir sec (Corridor Seco), un territoire semi-aride qui traverse le pays d’est en ouest et occupe 9 % du territoire national.

L’inégalité, principale cause de pauvreté, touche une majorité de la population et est un frein à la croissance économique du pays. Cet enjeu a été abordé à grands traits dans l’article d’Equal Times intitulé Le Guatemala, paradis des travailleurs ?. Dans la préface du Rapport sur le développement dans le monde 2006, la Banque mondiale a souligné l’importance intrinsèque de l’équité en tant qu’objectif de développement, ajoutant qu’elle « est aussi un élément déterminant pour la croissance ». C’est la raison pour laquelle la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a souligné « la nécessité de l’égalité pour croître et de croître pour l’égalité ».

Agriculture, productivité et disparité

Au Guatemala, l’agriculture est la troisième activité économique la plus importante en termes de contribution au PIB, qui a atteint 9,3 % en 2022. Au cours de la même année, la palme africaine (huiles et graisses), le café, les bananes, le sucre, les fruits, les légumes et le caoutchouc représentaient conjointement 32 % des exportations, l’habillement et les filés arrivant en tête avec 13 %. À noter que les envois de fonds des migrants résidant aux États-Unis d’Amérique ont atteint 18,04 milliards USD en 2022, dépassant les 15,654 milliards USD provenant des exportations au cours de la même année.

L’agriculture constitue toutefois la principale source d’emploi dans le pays. Selon l’enquête nationale sur l’emploi et les revenus de 2021, l’agriculture occupait près d’un tiers de la population active, soit 2,3 millions de personnes, sur une population active de 7,5 millions de personnes. Sur ce nombre, 12 % étaient des employés privés, 29 % des journaliers (travailleurs occasionnels avec peu ou pas de protection), 34 % des travailleurs à leur compte, 22 % des travailleurs familiaux non rémunérés et 3 % des employeurs.

Le fossé entre la population employée et la contribution au PIB révèle une faible productivité dans le secteur, toutefois avec d’importantes disparités entre l’agriculture commerciale, principalement destinée à l’exportation, et l’agriculture familiale qui approvisionne le marché intérieur.

La culture du palmier africain, par exemple, se classe au premier rang mondial en termes de productivité, selon un rapport de 2021 du Bureau économique et commercial de l’Espagne au Guatemala. Les cultures d’exportation occupent la plupart des sols de meilleure qualité et des terres irriguées (86 % en 2012).

En revanche, l’agriculture familiale se heurte à des niveaux élevés de précarité et à un accès insuffisant à la terre, ainsi qu’à une offre insuffisante de services d’appui à la production. Le Programme d’agriculture familiale pour le renforcement de l’économie paysanne (PAFFEC) du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Alimentation (MAGA) a indiqué qu’en 2011, 13 % des 1,3 million de ménages agricoles étaient sans terre, 47 % étaient en situation de sous-subsistance ou de subsistance (produisant tout au plus la nourriture qu’ils consommaient), 31 % étaient en situation d’excédent ou exerçaient en tant que petites entreprises commerciales, alors que 9 % seulement exerçaient en tant que grandes entreprises commerciales.

Comme le montre l’étude classique de l’économiste britannique Victor Bulmer-Thomas, The Political Economy of Central America since 1920, il existe un parti pris historique en faveur de l’agriculture d’exportation, favorisée par des infrastructures foncières et de transport, des exonérations fiscales, l’accès au crédit et une législation du travail qui, jusqu’en 1944, a facilité le recours au travail forcé, le tout au détriment de ce qu’il appelle l’agriculture destinée à l’usage national.

Travail décent et « emplois verts » en devenir

Depuis 2014, le Guatemala participe au Partenariat d’action pour une économie verte (PAGE, de son acronyme américain), sous l’égide du système des Nations unies. Cette initiative a vocation à soutenir la transition vers des économies plus inclusives à travers la mise en place de politiques de croissance génératrices d’emplois verts, lesquels sont définis par l’Organisation internationale du travail (OIT) comme des emplois décents qui contribuent à la préservation et à la restauration de l’environnement, aussi bien dans les secteurs traditionnels, comme l’agriculture, que dans les secteurs émergents, comme les énergies renouvelables.

Sur la base de cette définition, et afin de progresser vers l’emploi vert, il est essentiel de considérer l’agriculture comme l’un des secteurs prioritaires, compte tenu de sa contribution à la production et à l’emploi et de son impact sur l’environnement.

Le premier défi dans le domaine de la production consistera à atténuer les effets du changement climatique et à adopter des pratiques culturales respectueuses de l’environnement. Selon une étude de l’Institut de l’agriculture, de l’environnement et des ressources naturelles (IARNA) de l’université Rafael Landivar intitulée Perfil ambiental de Guatemala 2010-2012 (Profil environnemental du Guatemala 2010-2012), le pays serait menacé dans un avenir proche par l’augmentation des températures mondiales, en raison de la fréquence accrue du phénomène El Niño et de l’affaiblissement de la zone de convergence intertropicale qui génère les précipitations dans les régions proches de l’équateur. En d’autres termes, de longues périodes de sécheresse seront suivies de saisons très humides accompagnées de précipitations extrêmes.

Dans ce contexte, les différentes mesures d’adaptation, préconisées dans le cadre d’une étude de l’IARNA de 2011 intitulée « Changement climatique et diversité » (Cambio climático y diversidad) vont de la promotion de la production en serre à l’application de bonnes pratiques de gestion et de récupération des sols, la modification des calendriers de semis, la promotion des systèmes d’irrigation et la collecte de l’eau dans des réservoirs, en passant par la promotion de variétés résistantes à la sécheresse et la diversification des cultures.

Les mesures importantes pour réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire comprennent en outre le soutien à l’agriculture familiale et aux microentreprises agricoles par le biais de programmes de formation et d’assistance technique, où l’accent est mis sur les bonnes pratiques agricoles et environnementales, par l’intermédiaire du système de vulgarisation agricole, ce qui implique qu’il faille doter ce dernier de plus de ressources et de personnel.

Une étude réalisée par le groupe de réflexion non gouvernemental ASIES sur ce système a révélé qu’en 2021, il ne comptait que 642 vulgarisateurs (ou assistants professionnels experts), loin de l’objectif initial de créer 340 agences municipales dotées de trois vulgarisateurs chacune. En outre, le budget consacré au soutien à l’agriculture familiale a diminué, passant de 601,7 millions de quetzales (75 millions USD) en 2019 à 255 millions de quetzales (31,8 millions USD) en 2021.

Pour ce qui est des conditions de travail, étant entendu que le travail décent constitue une caractéristique essentielle des emplois verts, la réponse à la question initiale « où en est-on ? », force est de constater que nous en sommes encore très loin.

En 2021, le revenu moyen des personnes employées dans le secteur agricole était de 2.504 quetzales (313 USD) alors que le salaire minimum dans l’agriculture était de 2.992 quetzales (374 USD). En termes de protection sociale, le bulletin d’affiliation de l’Institut guatémaltèque de sécurité sociale (IGSS) pour 2021 faisait état de 91.532 personnes employées dans l’agriculture en tant que travailleurs cotisants, ce qui est peu par rapport au nombre de salariés (279.023) et négligeable si l’on prend en compte l’ensemble des personnes employées dans l’agriculture. Le salaire moyen des travailleurs agricoles affiliés (à l’IGSS) était de 2.904 quetzales (363 USD), tandis que la moyenne de l’ensemble des travailleurs affiliés était de 5.030 quetzales (629 USD).

Selon une enquête réalisée par l’ASIES en 2021 intitulée El trabajo en las plantaciones (Le travail dans les plantations), basée sur des groupes de discussion et des entretiens, les grandes entreprises présentent un niveau de conformité satisfaisant, notamment en ce qui concerne le paiement du salaire minimum et la couverture de la sécurité sociale. En revanche, des pratiques telles que la définition de tâches excessives pour atteindre le salaire minimum conduisent à travailler plus que la journée de travail ordinaire de huit heures, sans que les heures supplémentaires soient compensées en conséquence.

En ce qui concerne l’organisation syndicale et la négociation collective, un premier constat est que le secteur de la culture du palmier africain ne compte aucun syndicat, tandis que le secteur sucrier, lui, n’en compte qu’un seul. Dans le secteur de la banane, il y a une présence syndicale dans le département d’Izabal (région nord ou atlantique), mais aucune dans la région sud ou pacifique, qui représente les deux tiers de la superficie cultivée.

Or, la présence d’un syndicat « a une incidence considérable sur le niveau de vie et les conditions de travail » dans la mesure où elle permet d’augmenter les salaires, de garantir des horaires de travail acceptables, de réduire le risque de harcèlement sexuel et d’autres formes de violence, et de créer des lieux de travail plus sûrs, comme le relève, entre autres, une étude de Mark Anner, de l’université de Pennsylvanie, intitulée « What Difference Does a Union Make ? – Banana Farms in Northern and Southern Guatemala » .

Dans le secteur agricole, les pratiques des entreprises en matière d’organisation syndicale vont de l’affirmation du droit ou non d’un travailleur de s’affilier – comme l’indique le Manual de Buenas Prácticas Laborales (Manuel des bonnes pratiques de travail) de la chambre agricole – à l’exclusion pure et simple des personnes qui ont adhéré à un syndicat. Le succès partiel de la politique antisyndicale est démontré par l’enquête de l’ASIES Encuesta sobre el trabajo en plantaciones (2021) : 32 % des travailleurs interrogés dans la région sud ont déclaré que la participation aux syndicats n’était pas un droit reconnu aux travailleurs, tandis que dans la région nord, où les syndicats de travailleurs de la banane sont présents de manière continue depuis 80 ans, 75 % ont déclaré que ce droit leur était reconnu.

Incertitude politique

La création d’emplois verts dans l’agriculture et d’autres secteurs productifs appelle des mesures de la part de l’État pour protéger l’environnement et les ressources naturelles, en encourageant des pratiques durables pour prévenir la pollution des sols, de l’eau et de l’air. Dans le même temps, il convient de veiller au respect de la législation du travail, en particulier des droits fondamentaux des travailleurs, d’étendre la couverture de la sécurité sociale et de garantir la santé et la sécurité au travail, de promouvoir et de garantir un dialogue social tripartite constructif, et de faire du travail décent une réalité.

La victoire électorale au second tour, le 20 août 2023, de Bernardo Arevalo, social-démocrate modéré, laisse entrevoir la possibilité de traduire dans les faits ce qui précède en sauvant les institutions de l’État de la corruption et en les plaçant au service du bien commun, indépendamment du pouvoir économique.

Il n’en demeure pas moins qu’au moment où cet article sera publié, l’incertitude provoquée par le « Pacte des corrompus » (un réseau de connivence nébuleux mais indéniable composé de fonctionnaires, de membres de l’appareil judiciaire, de parlementaires, d’hommes d’affaires, de politiciens et de défenseurs de l’impunité), dont l’effronterie ne connaît pas de bornes et qui n’a aucun scrupule à instrumentaliser la justice (parquet général, Cour suprême de justice et Cour constitutionnelle) pour empêcher M. Arevalo d’accéder à la présidence le 14 janvier 2024, continuera de prévaloir. Une situation inédite au cours des quarante ans qui ont suivi le retour à la démocratie, et qui cherche à perpétuer la mainmise sur l’État des acteurs et bénéficiaires de la corruption et de l’impunité.

This article has been translated from Spanish by Salman Yunus

Cet article a pu être réalisé grâce au financement d’"Union to Union" — une initiative des syndicats suédois, LO, TCO, Saco.