La droite doit cesser de faire l’autruche. Les relations collectives du travail sont de retour.

 

Plus de 12 ans après le lancement du Cycle de négociations commerciales de Doha, les États membres de l’Organisation mondiale du commerce sont enfin parvenus à s’accorder sur quelque chose.

Le "Paquet de Bali", signé le 7 décembre 2013, renferme certaines mesures, certes modestes, qui visent à faciliter l’accès aux marchés du nord pour les pays en développement et à remédier à deux iniquités de longue date qui auraient dû être réglées il y a belle lurette.

Rien de tout ceci n’est susceptible d’avoir une incidence notable sur le volume des échanges internationaux.

Le développement axé sur les exportations constitue-t-il réellement la seule voie possible vers un avenir prospère pour les pays les plus pauvres ?

Ou plus exactement, la stratégie significativement plus avantageuse du point de vue social et économique axée sur une demande intérieure accrue est-elle délibérément exclue de l’ordre du jour parce qu’elle impliquerait une participation directe des travailleurs dans les décisions relatives aux salaires et aux conditions de travail ?

Beaucoup de réponses à ces questions sont fournies dans un rapport phare de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié il y a un peu plus de deux mois et qui, cependant, n’a pas reçu toute l’attention qu’il méritait.

Le rapport avance trois arguments principaux.

Le premier est qu’il existe un problème logique à vouloir se focaliser exclusivement sur la croissance axée sur l’exportation, a fortiori quand la demande des pays en développement est faible et qu’elle est susceptible de le rester durant un certain temps.

« L’idée n’a rien de nouveau. Des stratégies de croissance qui reposent essentiellement sur les exportations et qui sont appliquées simultanément par de nombreux pays atteignent forcément un jour leurs limites: La concurrence fondée sur le faible coût unitaire du travail et sur une fiscalité basse est une course à l’abîme qui ne contribue guère au développement mais qui peut avoir des conséquences sociales catastrophiques », indique le rapport.

Par contraste, les stratégies de développement qui privilégient la demande intérieure peuvent être menées par tous les pays simultanément sans appauvrir le voisin et sans concurrence salariale et fiscale contreproductive.

Le second argument avancé est que le moyen le plus efficace d’accroître la demande intérieure est d’augmenter le revenu du travail.

Les dépenses des ménages constituent l’élément le plus important de la demande globale à l’échelle d’une économie et le revenu du travail est la principale source des dépenses des ménages.

Cela constitue, en soi, une raison suffisante pour faire en sorte que la part de la richesse affectée aux salaires ne se contracte pas. Cependant, le rapport de la CNUCED relève aussi (pages 73-74) que la consommation privée augmente lorsque la part des revenus augmente.

Autrement dit, si les gens ordinaires ont plus d’argent, ils le dépensent, avec tout ce que cela implique en termes d’effets positifs sur la croissance économique.

En revanche, on ne distingue pas de lien manifeste entre la diminution de la part des salaires – c’est-à-dire un retour sur capital accru – et l’investissement.

Contrairement à ce qui est généralement affirmé, si la part du gâteau qui revient aux entreprises croît, rien ne garantit que celles-ci réinvestissent cet argent dans des projets d’utilité économique.

 

Négociation collective

Le troisième argument avancé dans le rapport de la CNUCED est que les mécanismes macroéconomiques habituels pour la gestion de la demande, y compris l’augmentation des dépenses publiques, doivent nécessairement être étayés par la négociation collective.

Ceci pour deux raisons. Premièrement, parce que les travailleurs, à titre individuel, ne disposent pas du poids du marché du travail nécessaire pour tenir tête aux employeurs et empêcher la contraction de la part des salaires.

Même dans la théorie économique la plus abstraite, les prix ne sont pas le fruit du hasard. Ils doivent être convenus.

En réalité, l’idée même d’un marché est insensée si le prix convenu ne résulte pas d’un libre accord de l’acheteur et du vendeur.

C’est pénible de devoir le rappeler mais l’accord de travailleurs individuels concernant leur rémunération et leurs conditions d’emploi n’est pratiquement jamais véritablement libre.

Sauf circonstances exceptionnelles, ils doivent prendre ce qui leur est offert.

Priver les travailleurs de leur pouvoir d’influence collective vis-à-vis du marché du travail en limitant leur capacité de syndicalisation et d’action collective reviendrait tout simplement à ce que les salaires soient fixés unilatéralement par les patrons.

L’idée que les employeurs soient capables de fixer spontanément un salaire adapté au marché est démystifiée par pas moins de trente années d’expérience.

Les managers ont tout simplement profité de la faiblesse des travailleurs pour affecter une part disproportionnée des gains dérivés de la productivité accrue au bénéfice des patrons d’entreprises, comme le montre l’Organisation Internationale du Travail (OIT) dans son Rapport mondial sur les salaires 2012-13 (cf. graphique 36, p. 48).

En deuxième lieu, nous avons besoin des relations du travail pour atténuer le risque d’inflation découlant d’une demande accrue de la demande intérieure.

L’inflation représente un risque nettement moindre si la croissance des salaires reste proportionnelle à la croissance de la productivité sur le long terme. Or cela implique aussi la nécessité d’assurer que des exceptions à la règle générale puissent être ménagées – dans les deux sens – le cas échéant.

Faire en sorte que la croissance des salaires reste à un niveau opportun, tant du point de vue social qu’économique, implique que les travailleurs et les employeurs s’assoient autour d’une même table pour convenir des taux salariaux appropriés en fonction des indices de productivité, des stratégies d’investissement et des plans de production pertinents.

 

Une stratégie défaillante

Les auteurs du rapport de la CNUCED ont le courage de reconnaître ce que disent les preuves : que le maintien des coûts de la main-d’œuvre à des niveaux artificiellement bas et ce au nom d’une stratégie de croissance axée sur l’exportation constitue une stratégie économique défaillante.

L’alternative, à savoir l’augmentation des revenus, implique que nous mettions sur pied des systèmes de négociation collective là où ceux-ci n’ont jamais existé et que nous les reconstruisions là où ils ont été détruits.

Que cet argument commence à faire son chemin est évident à voir la résurgence des arguments antisyndicaux au sein des groupes de réflexion et des forums politiques de droite.

Conscients que leur mainmise touche à sa fin, ils cherchent désespérément à ourdir de nouveaux arguments contre l’accession des travailleurs à une influence accrue sur les décisions des directions d’entreprises.

On le voit clairement dans les actions des grandes organisations patronales comme l’US National Right to Work Legal Defense Foundation mais aussi à l’échelon international, avec les démarches des représentants des employeurs au sein de l’OIT pour que les conventions de l’OIT ne protègent pas le droit de grève.

La droite veut faire croire que le jury n’a pas encore livré son verdict quant à la nécessité des relations collectives du travail.

Or trente années de néolibéralisme nous ont fourni toutes les preuves possibles des conséquences sociales et économiques extrêmement néfastes engendrées par l’exclusion des travailleurs des décisions concernant leurs salaires et leurs conditions de travail.

La question qui se pose à nous à présent est de savoir quel est le type de relations collectives du travail dont nous avons besoin.

« La question n’est pas de savoir si nous le ferons mais comment nous le ferons. Les relations collectives du travail sont revenues à l’ordre du jour.

 

Cet article fut initialement publié en version intégrale sur le blog New Unionism