La nouvelle directive de l’Union européenne sur les droits des consommateurs va-t-elle assez loin ?

La nouvelle directive de l'Union européenne sur les droits des consommateurs va-t-elle assez loin ?

In this photo taken on 11 September 2019 in Hessen, Frankfurt, banners from the German environmental NGO Deutsche Umwelthilfe decry the personal and environmental damage caused by the Volkswagen Dieselgate scandal.

(Silas Stein/DPA via AFP)

Après que sa tromperie délibérée et généralisée sur les moteurs diesel a été révélée en 2015, le géant allemand de l’automobile Volkswagen a accepté de verser à un demi-million de consommateurs aux États-Unis une somme de 20.000 dollars chacun en guise d’indemnisation. Cet accord est survenu moins de dix mois après que le fabricant avait reconnu avoir délibérément fraudé lors des tests d’émission de ses véhicules.

De l’autre côté de l’Atlantique, les répercussions judiciaires de la tromperie de Volkswagen ont été plus lentes et plus modestes. Jusqu’à présent, sur les 8,5 millions de consommateurs leurrés dans toute l’Europe, seuls 260.000 ont été indemnisés, en Allemagne, et Volkswagen n’a accepté de verser qu’entre €1.350 et €6.257 à ces propriétaires de véhicules en 2020, ce qui représente un règlement 8 fois moins important par consommateur qu’aux États-Unis. Des procédures sont encore en cours en Belgique, en Italie, au Portugal, en Espagne, en Autriche, en France, aux Pays-Bas, en Slovénie, au Luxembourg et en Suisse.

Cette disparité flagrante entre les retombées judiciaires du scandale des émissions aux États-Unis et en Europe provient de la différence dans leurs normes juridiques respectives encadrant les actions collectives dans les situations de préjudices subis par des groupes de personnes. Cette différence est sur le point de disparaître, puisque les pays membres de l’UE ont eu jusqu’en décembre 2022 pour transposer une directive qui permet aux consommateurs de l’Union de se regrouper au-delà des frontières nationales et d’intenter collectivement des actions contre les entreprises qui enfreignent les lois de protection des consommateurs de l’Union européenne. Le nouveau cadre prévoit en outre que les pays de l’UE qui n’ont pas encore autorisé les actions collectives à se doter d’au moins un mécanisme procédural les permettant.

Dans un communiqué de presse publié lorsque l’une des étapes finales du processus législatif de l’UE a été franchie par ce projet de directive, la commissaire pour la justice de l’UE, Věra Jourová, a cité spécifiquement le scandale du Dieselgate comme une des raisons ayant incité l’UE à agir en la matière. « Il faut combler cette lacune dans l’accès des citoyens à la justice et empêcher que des entreprises qui trichent violent les droits des consommateurs », a-t-elle affirmé. « Le nouveau mécanisme veillera à ce que les consommateurs européens puissent jouir pleinement de leurs droits et obtenir une indemnisation lorsqu’ils sont victimes de pratiques illégales. »

La nouvelle directive rend désormais possible les actions collectives dans toute l’UE pour des infractions à 66 directives et règlements de l’UE, qui vont de textes régissant les dispositifs médicaux jusqu’au très novateur Règlement général sur la protection des données (RGPD) de 2018. On ne sait pas encore si le législateur européen entend permettre aux consommateurs d’intenter des actions dans les cas de violation d’un nouveau projet de texte législatif de l’UE sur le devoir de diligence qui rendra les entreprises responsables des violations des droits humains et environnementaux commises dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Les ONG spécialisées dans la responsabilité des entreprise avaient déjà fait valoir que le projet directive n’allait pas assez loin et que le régime aurait dû être étendu au-delà des consommateurs pour inclure également les victimes de tous les manquements des entreprises de manière plus générale. Cela aurait permis aux victimes de saisir les tribunaux dans des situations de préjudice massif lorsqu’une entreprise enfreint les lois de protection de l’environnement, de protection de la vie privée, concernant la lutte contre la discrimination, ou tout autre droit fondamental.

Néanmoins, les nouvelles règles devraient se traduire par une augmentation sensible, en Europe, des actions collectives nationales ou transfrontières dans les domaines des services financiers, des droits des passagers, des télécommunications, de la confidentialité des données et de la législation antitrust. D’après l’organisation faîtière européenne de défense des consommateurs BEUC, sur les 27 pays de l’UE, cinq seulement ont un système de recours collectif bien établi et efficace : la Belgique, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Suède. [Note de la rédaction : la fiche du BEUC date de 2018, mais désormais les Pays-Bas ont aussi un tel système qui fonctionne depuis 2020].

Un « jalon historique », en dépit des limites

Les organisations de défense des droits des consommateurs ont fait campagne pendant 30 ans avant que le texte législatif ne soit approuvé, fin 2020. Elles ont salué d’adoption de ce texte, tout en soulignant ses limites : s’agissant d’une directive, la nouvelle législation fonctionne comme un menu d’options minimales. De ce fait, les pays de l’UE ont une marge discrétionnaire bien trop grande leur permettant, lors de sa mise en œuvre, d’effectuer des choix qui n’iront pas dans le sens des intérêts des consommateurs, affirme Ursula Pachl, directrice générale adjointe du BEUC. Mais d’ajouter : « Nous devons quand même voir le verre à moitié plein, pas à moitié vide ».

En effet, explique-t-elle à Equal Times, on est depuis longtemps en présence d’une profonde dichotomie entre les règles de protection du consommateur européen (parmi les plus strictes du monde) et leur application dans les faits. Si la mise en œuvre est bien « le talon d’Achille de la protection des consommateurs en Europe », elle a toutefois décrit le nouveau cadre comme un « jalon historique ».

Néanmoins, le système a également été critiqué du fait qu’il permet uniquement aux organisations de consommateurs et aux organismes publics indépendants d’intenter une action au nom des consommateurs, ce qui confère à ces organisations une sorte de monopole du contentieux.

« Les monopoles ne sont jamais, ou très rarement, une bonne idée. Et je ne vois pas en quoi l’idée serait bonne ici », dit Ianika Tzankova, associée du cabinet d’avocats néerlandais Birkway, professeure de règlement des différends mondiaux et des litiges de masse à l’université de Tilburg, aux Pays-Bas. « À mon avis, les organisations de consommateurs n’ont ni les ressources, ni le temps ou le niveau d’expertise pour s’impliquer dans des actions en vue d’obtenir réparation, et elles n’en n’ont parfois même pas le souhait ou l’envie pour des raisons relevant de leur propre politique institutionnelle. Alors, si ces organisations se lancent dans ces actions, tant mieux, mais il ne faudrait pas que les consommateurs dépendent d’elles car elles pourraient bien ne pas se lancer. »

D’après Mme Tzankova, les recours collectifs exigent aussi que le rôle des juges soit repensé, pour devenir proactifs, pratiques, gestionnaires et contrôleurs des conflits d’intérêt. « Les juges ont reçu une formation fondée sur les anciens concepts classiques, en vertu desquels ils sont bien plus passifs. Tout d’un coup, on leur demande de se forger une nouvelle mentalité et d’utiliser de nouvelles compétences, alors qu’on ne les forme pas à ces compétences », précise-t-elle. « S’ils s’en tiennent aux ‘vieux’ concepts, le nouveau cadre risque de rester lettre morte ».

Le financement des recours collectifs

Si aller en justice est onéreux, cela l’est plus encore pour un groupe qui intente une action transfrontière. Aux Pays-Bas, par exemple, les plaintes collectives de grande envergure, très médiatisées et de longue durée peuvent facilement coûter 4 millions d’euros, selon Mme Tzankova.

C’est pourquoi Alexia Pato, professeure invitée à l’université de Gérone en Espagne et autrice d’un livre sur les systèmes de recours collectif dans l’UE, ne pense pas que le nouveau mécanisme changera la donne. « L’aspect le plus problématique des recours collectifs est leur financement », explique-t-elle à Equal Times. « Peut-être que ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une directive qui nous dise comment structurer les recours collectifs. Peut-être que ce dont nous avons besoin, c’est d’argent ».

Cela pourrait bientôt changer, car de plus en plus de spécialistes du financement des contentieux par des tierces parties, dont beaucoup d’intervenants américains, se sont récemment installés en Europe. Le financement des procédures judiciaires par des tiers consiste à laisser des parties financières, telles que des fonds de placement ou des fonds spéculatifs, financer des procès coûteux par le biais d’accords confidentiels avec des avocats, en échange d’une part des gains éventuels.

Le financement des contentieux par des tierces parties est déjà un secteur d’activité qui chiffre entre 40 et 80 milliards d’euros en Europe, avec plus de 100 bailleurs de fonds actifs actuellement dans l’ensemble de l’Union. Bien que l’on s’attende à ce que ce secteur connaisse une croissance annuelle de 8 % au cours des cinq prochaines années, il n’est encore que très peu réglementé. Les Pays-Bas sont l’un des pays où les règles relatives aux recours collectifs sont les plus développées ; depuis qu’ils ont remanié en 2020 leur système de recours collectif vieux de trois décennies, ce pays a vu affluer les financeurs de contentieux et les cabinets d’avocats spécialisés dans les recours collectifs.

Les partisans de ce système affirment qu’un tel financement externe et commercial est essentiel dans les situations de préjudice de masse, car il améliore l’accès à la justice pour les consommateurs incapables de financer leurs propres réclamations et fait porter le risque de l’issue incertaine du procès au bailleur de fonds du contentieux.

En revanche, les lobbies d’entreprises tels que Business Europe et la chambre de commerce américaine en Europe estiment que ces tierces parties motivées par le gain peuvent soulever des conflits d’intérêts, donner lieu à des procédures problématiques et manifestement peu fondées, et exercer en outre une pression excessive sur les demandeurs et les défendeurs. « Nous ne voulons pas interdire le financement des procédures judiciaires par des tierces parties », précise Pedro Oliveira, directeur des affaires juridiques de Business Europe. « Le problème, c’est la manière dont ce financement est canalisé et par qui », explique-t-il à Equal Times. « Il y a clairement des lacunes en ce qui concerne l’octroi de licences à ces bailleurs de fonds, la gouvernance et le contrôle. Il conviendrait qu’une autorité se penche sur leur mode de fonctionnement et soit en mesure de les sanctionner s’ils ne respectent pas les règles. »

La nouvelle directive a prévu un certain nombre de garde-fous dans le but de prévenir les litiges abusifs à l’américaine, où les cabinets d’avocats ont été accusés de monter des affaires dans le seul but de générer des frais de justice, sans aucun bénéfice significatif pour les plaignants qu’ils défendent. Dans le cadre du système européen, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, seuls les groupes de consommateurs et les associations à but non lucratif pourront entamer des actions collectives. La partie qui perd la procédure judiciaire dans le cadre d’une action collective devra en outre payer la facture, l’idée étant d’encourager les cabinets d’avocats et les bailleurs de fonds à ne donner suite qu’aux plaintes réellement fondées. C’est ce qui a conduit l’ONG environnementale ClientEarth à décrire ce système comme étant « le plus restrictif de tous les mécanismes de recours collectif existants dans l’UE ».

Toutefois, M. Oliveira souligne que les limites strictes imposées par le législateur européen aux organisations (appelées entités qualifiées) autorisées à intenter des recours collectifs (appelés actions représentatives) transfrontières ne s’appliquent pas aux acteurs nationaux. « Pour les [affaires] nationales, cela est totalement laissé à la liberté des États membres », explique-t-il. Soulignant que les organisations nationales sont également autorisées à intenter des actions transfrontières en vertu du nouveau cadre, il déclare : « Si les critères au niveau national sont trop souples, alors n’importe qui peut constituer une entité qualifiée, n’importe qui. Un concurrent pourrait créer une entité qualifiée ».

Les législateurs européens ont également fait part de leurs préoccupations concernant le fait que le financement des contentieux par des tierces parties, qui est courant dans les situations de recours collectif, est également utilisé dans le cadre d’arbitrages, de procédures d’insolvabilité et de plaintes en matière d’ententes et d’abus de position dominante.

En juillet, le Parlement européen a adopté un rapport appelant la Commission à réglementer le financement des contentieux par des tierces parties, avertissant que l’absence de réglementation a permis à certains bailleurs de fonds d’abandonner les plaignants au cours de la procédure contentieuse ou d’exiger une part « disproportionnée » des montants accordés. Pour répondre à ces préoccupations, les députés ont demandé l’introduction de normes minimales pour les tiers financeurs, communes dans toute l’UE, ainsi qu’un système indépendant d’agrément pour les tiers financeurs de contentieux.

Un(e) porte-parole de la Commission européenne n’a pas répondu à notre demande de commentaire.

Anouk Rosielle, associée du cabinet d’avocats Dentons dont le siège est à Amsterdam, a déclaré que certains pays de l’UE réglementaient déjà le financement des contentieux par des tiers au niveau national. Selon elle, cela contribue à créer de la transparence sur les modalités de financement et le rôle des bailleurs de fonds. « D’après ce que j’ai vu, l’accès au financement peut conduire à l’accès à la justice et, s’il est soigneusement réglementé, il peut être bénéfique au développement de meilleures pratiques dans les recours collectifs », a-t-elle déclaré dans un courriel adressé à Equal Times. « Il ne sera pas possible d’empêcher totalement les plaintes abusives, mais la directive encourage l’idée que seuls des représentants collectifs, existants de longue date et préalablement contrôlés, peuvent intenter une action, par exemple les organisations de consommateurs ayant des antécédents », dit-elle, ajoutant que cela atténue le risque de plaintes sans fondement, tout comme un certain nombre d’autres sauvegardes procédurales.