Le FMI ne tient pas compte du véritable coût des « réformes » du marché du travail

 

La semaine dernière, le Fonds monétaire international (FMI) a publié un document politique (en anglais) de 94 pages, Jobs and Growth : Analytical and Operational Considerations for the Fund (Emplois et croissance : considérations analytiques et opérationnelles pour le Fonds), rédigé conjointement par les départements des politiques, des études et des finances publiques du FMI (daté du 14 mars, mais publié le 4 avril).

[caption id="attachment_7854" align="alignnone" width="530"] Des manifestants à Madrid, le 7 avril 2013, qui dénoncent le chômage des jeunes en brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire « Nous ne partirons pas » et « Nous ne paierons pas pour la crise » (AP Photo/Andres Kudacki) 

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L’objectif du rapport est d’offrir au personnel du Fonds qui travaille au niveau des pays une orientation en matière d’emploi et de distribution.

Même s’il contient des termes positifs encourageant la création d’emplois, une croissance universelle et une distribution plus équitable des revenus, ses parties consacrées aux questions de fond ne s’attachent guère aux programmes et aux conseils politiques du FMI et n’expliquent pas comment son personnel devrait modifier ses pratiques.

Plus précisément, il n’y a pratiquement rien dans ce nouveau document politique qui pousserait le personnel du FMI à remettre en question son approche actuelle des questions liées au travail et à l’emploi au sein des rapports par pays.

Comme la CSI l’a récemment mis en évidence dans un document de fond (en anglais) sur les conditions de prêt et les conseils politiques du FMI par rapport aux questions relatives au travail en Europe, l’approche consiste principalement à affaiblir ou à démanteler les institutions et les réglementations du marché du travail dans le but de parvenir à davantage de souplesse sur ce même marché.

L’une des parties analytiques les plus utiles du document est celle consacrée à la « Croissance universelle » qui traite de l’importance de la réduction des inégalités pour parvenir à une croissance stable et durable (pages 24 à 31).

Plus tard, le document, qui procède à un état des lieux des programmes nationaux du FMI et de sa surveillance, reconnaît qu’actuellement, il en fait peu pour atténuer les effets des inégalités engendrées par les programmes d’austérité : « Alors que la majorité des rapports [par pays] examinés analysent les effets probables des mesures de rééquilibrage budgétaire sur les dépenses sociales, peu proposent des options en vue d’atténuer les impacts sur les pauvres » (page 35).

Toutefois, plus loin, dans une partie du rapport contenant des recommandations sur ce qui devrait être modifié au niveau du travail du FMI, voici l’unique timide suggestion : « Là où cela est une priorité, il conviendrait d’encourager la discussion sur l’universalité.

Le personnel pourrait en effet davantage discuter du caractère universel des politiques suggérées et, lorsque les autorités nationales le demandent, examiner des options politiques plus inclusives » (page 41).

Le document reconnaît également que l’absence de demande généralisée à la suite de la crise de 2008-2009 et de la récession mondiale est une cause importante de l’actuel déficit mondial d’emplois. Néanmoins, il consacre plus de lignes à l’incidence de « grandes tendances », comme des changements technologiques, la mondialisation (que le rapport considère comme positive tout en admettant qu’elle a contribué aux inégalités à l’intérieur des pays, surtout dans les économies avancées) et les changements démographiques (pages 7 à 12).

Une partie consacrée à la croissance fait principalement référence au travail que la Commission sur la croissance et le développement (la « Commission Spence ») a mené de 2006 à 2009 et semble admettre l’importance du rôle de l’état pour parvenir à une croissance soutenue à long terme, y compris en mettant en œuvre des politiques visant à la diversification industrielle (page 13).

Toutefois, le rapport semble se réfugier derrière le fait qu’il n’existe pas de « formule universelle » pour une croissance réussie. Le principal enseignement qu’il tire de la Commission Spence est que le « seul élément […] qui prête peu à controverse est l’importance majeure de la stabilité macroéconomique » (page 1), dont le personnel du FMI se sert en général comme alibi dans son plaidoyer en faveur de la rigueur budgétaire et des politiques monétaires qui accordent la priorité à une faible inflation plutôt qu’à la création d’emplois.

Le rapport fait référence à quelques éléments positifs du Rapport sur le développement dans le monde 2013 : emplois de la Banque mondiale qui insiste sur le caractère central d’une croissance génératrice d’emplois, indispensable à un développement universel et à la réduction de la pauvreté.

On peut y lire qu’une « stratégie pour l’emploi » pourrait venir compléter une stratégie de croissance.

Néanmoins, le rapport revient ensuite sur le slogan usé, vantant la « protection de la main-d’œuvre, non des emplois », dont le personnel du Fonds s’est régulièrement servi pour attaquer les réglementations du marché du travail (pages 16 à 18 et page 24).

Le Fonds monétaire international a tenté d’affaiblir les réglementations du travail en proposant simultanément de réduire les coûts et donc la portée des régimes de protection sociale (censés « protéger la main-d’œuvre »), comme cela est actuellement le cas dans plusieurs pays européens. Dans les pays en développement, la déréglementation du marché du travail a souvent eu lieu dans des contextes de systèmes de protection sociale fortement sous-financés et défaillants.

 

Les recommandations admettent le manque de preuves, mais n’en tiennent pas compte

Le rapport glisse sur la constatation majeure du Rapport sur le développement dans le monde 2013, qui s’appuie sur une révision en profondeur de la littérature économique, à savoir que dans la plupart des pays, les réglementations du marché du travail ne constituent qu’un obstacle insignifiant ou mineur à la création d’emplois.

Son éloge du « modèle nordique de flexicurité », qui s’appuierait sur l’hypothèse selon laquelle « la protection de la main-d’œuvre devrait se faire au travers d’une assurance-chômage plutôt que par une forte protection de l’emploi », fait fi des indicateurs présentés sur la même page (page 21).

 Ces derniers montrent que trois des quatre pays nordiques – exception faite du Danemark – ont des niveaux de protection de l’emploi équivalents à la plupart de ceux des pays du sud de l’Europe que le FMI blâme pourtant pour leurs marchés du travail excessivement rigides.

La partie du rapport consacrée à la surveillance du FMI et à son programme de travail, admet, dans une note en bas de page, que le « quasi-consensus » selon lequel une plus forte flexibilité du marché du travail est positive pour la croissance a disparu depuis quelques années.

Elle reproche au personnel du FMI de continuer d’encourager la déréglementation du marché du travail sur base des « effets persistants » d’analyses inexactes diffusées en 1994 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) :

« L’apparente tendance [du personnel du FMI] à recommander une plus grande souplesse pourrait en partie refléter les effets persistants d’un quasi-consensus établi par l’influente étude sur l’emploi de 1994 de l’OCDE.

L’enquête recommandait en effet des règles souples de protection de l’emploi et de fixation des salaires. […] Vers le milieu des années 2000, ce consensus s’est pourtant grandement effiloché. Les méthodes s’étant améliorées et de meilleures données étant désormais disponibles, l’incidence des institutions du marché du travail est devenue moins – pas plus – évidente. » (note de bas de page n° 18, page 35).

On aurait pu penser que cette importante reconnaissance du fait que le personnel du FMI encourage des politiques de déréglementation du marché du travail sur la base de suppositions erronées datant d’il y a vingt ans mènerait à une recommandation forte lui ordonnant de cesser de propager de fausses vérités, mais ce point n’est tout simplement pas abordé dans les recommandations du rapport.

En revanche, une recommandation potentiellement prometteuse est celle demandant au personnel d’appuyer leurs conseils sur des preuves lorsqu’il aborde des questions ayant trait au travail et à l’emploi.

Curieusement, les termes « sur des preuves » sont entre guillemets dans le résumé exécutif, mais il n’y est pas précisé si cela est dû au fait que la plupart des salariés du Fonds ne sont pas familiers de ces termes ou si l’intention est qu’ils les interprètent de façon figurative plutôt que littérale.

Le document politique du Fonds monétaire international révèle aussi qu’il a conçu une « Boîte à outils destinée à la surveillance d’une croissance universelle et génératrice d’emplois » (page 45), mais elle n’est pas fournie avec le rapport.

 

Le rapport complet (en anglais exclusivement) est disponible ici.

 

 

Cet article a été traduit de l'anglais.