Les hôpitaux publics camerounais face au mal-être des personnels de santé vacataires et au manque de médecins

Les hôpitaux publics camerounais face au mal-être des personnels de santé vacataires et au manque de médecins

The Yaoundé Emergency Centre, pictured here in October, was the scene of a strike by temporary staff demanding their rights and better working conditions.

(Yannick Kenné)
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Il règne un calme apparent au centre des urgences de Yaoundé, ce mois d’octobre, où le personnel vaque désormais à ses occupations quotidiennes, sans laisser apparaitre les stigmates de la grève de mai dernier. Celle-ci avait été le déclic d’un débrayage contagieux de plusieurs jours dans les hôpitaux publics camerounais, où plus de 27.000 personnels vacataires, recrutés directement par les administrations de ces hôpitaux attendent inlassablement leur contractualisation à la fonction publique.

Cette accalmie est survenue à la suite d’une décision du gouvernement camerounais de mettre en place le 20 juin dernier, un comité interministériel chargé d’examiner les revendications formulées par les personnels de santé et de faire des propositions de mesures concrètes. Ledit comité, supervisé par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, a décidé dans la foulée de la suspension des pratiques de recours à des personnels temporaires dans les hôpitaux publics, retirant ainsi le pouvoir de recrutement de la main d’œuvre aux directeurs généraux de ces hôpitaux.

Au cours des mois qui ont suivi la grève – qui n’était pas la première du genre –, le comité interministériel a multiplié des réunions de concertation en présence des représentants des syndicats du secteur, et a examiné en priorité le point relatif à la contractualisation des personnels temporaires. Des milliers de profils sont actuellement épluchés dans la perspective de les contractualiser et les intégrer formellement à la fonction publique dans les meilleurs délais.

Pour autant, le malaise continue de couver, car d’autres problèmes subsistent. Flore Bissene, 34 ans, est cadre d’appui au sein de l’administration du centre des urgences de Yaoundé. Elle y travaille comme personnel vacataire, et perçoit un salaire mensuel de 69.000 Francs CFA (105.18 euros).

Cela fait des années qu’elle ne bénéficie d’aucune sécurité sociale, alors qu’une retenue est prélevée tous les mois sur son salaire par l’administration du centre, au titre de ses cotisations sociales.

« Dans les contrats qu’on nous a fait signer, il était indiqué que le cadre d’appui devait percevoir un salaire de 75.000 FCFA (114.33 euros). Ce qui n’a jamais été respecté, puisque les cadres d’appui continuent de toucher 69.000 (105.18 euros). Lorsqu’on a saisi notre administration pour savoir où était passé le reliquat (6.000 FCFA, soit 9.14 euros), elle nous a fait savoir que c’était viré à la CNPS (Caisse nationale de prévoyance sociale) pour nos cotisations sociales. Après vérifications, on s’est rendu compte que ça n’était pas le cas », révèle la trentenaire, par ailleurs déléguée du personnel du centre des urgences de Yaoundé.

Comme elle, 241 employés de ce centre hospitalier – infirmiers, aides-soignants, de cadres – ne bénéficient pas de sécurité sociale, et demeurent dans l’attente d’une intégration à la fonction publique. Certains n’ont même pas de contrats, mais œuvrent depuis près de dix ans au service de l’État. Durant toutes ces années, l’administration hospitalière – qui n’a pas voulu répondre à notre demande d’informations – est restée fermée à leurs revendications, d’après leurs témoignages.

Revendications anciennes et sous-effectif chronique

Les réclamations des personnels médico-sanitaires portent globalement sur l’amélioration de leurs conditions socioprofessionnelles. Le Syndicat national des personnels médico-sanitaires du Cameroun (SYNPEMS) est engagé depuis deux décennies dans la défense des intérêts des personnels médico-sanitaires et mène régulièrement des plaidoyers auprès du gouvernement camerounais pour la régularisation du statut des travailleurs vacataires du secteur.

D’après, Balla Balla, président de cette organisation syndicale, « ce sont des revendications qui sont faites tout le temps. À certains moments, elles peuvent changer de forme, mais elles restent les mêmes », regrette-t-il. Les grévistes ont formulé plus d’une dizaine de revendications au gouvernement, mais une seule a déjà été examinée par le comité interministériel.

Une ébauche de solution non-négligeable, mais pas assez pour garantir de vraies avancées aux personnels vacataires selon le syndicaliste : « On ne peut pas encore parler de solutions concrètes, parce que, quand on (le comité) a fini le travail technique de recensement des personnels de santé temporaires, on l’a soumis au gouvernement afin qu’il statue dessus. Je peux dire que les pouvoirs publics ne sont qu’au début des négociations. C’est néanmoins un pas important, en attendant que le comité aborde les autres points évoqués dans nos revendications ».

En 2022, au plus fort de la récurrence des mouvements de revendication qui ont paralysé le service dans les hôpitaux publics, le ministère de la Santé et les syndicats avaient conclu un accord pour une trêve de 4 mois induisant une suspension de la grève, indiquait alors une note d’information du ministère. Ledit accord a expiré à la fin décembre 2022, mais les réclamations des syndicalistes subsistaient, et ils ont décidé de remonter au créneau en 2023.

Face à ces revendications, l’État a répondu souvent par la répression, procédant à des arrestations arbitraires, comme c’était le cas lors des manifestations du mois de mai, avant de passer à la table des négociations ensuite.

Au Cameroun, la contractualisation des personnels médico-sanitaires se fait au moyen d’un concours direct à la fonction publique organisé par le ministère éponyme. Pour la session 2023, le gouvernement avait décidé de recruter seulement 230 personnels médico-sanitaires, soit à peine 1% des 27.000 temporaires qui attendent à ce jour aux portes de la fonction publique.

En 2021, le gouvernement employait au total 39.720 personnels de santé, selon les chiffres officiels dévoilés par le ministère de la Santé Publique. Par ailleurs, le système de santé camerounais accuse un déficit de 55.000 personnels, toutes catégories confondues.

Chez les médecins, le déficit de main d’œuvre se chiffre à plus de 2.000 médecins, toujours d’après les statistiques du ministère de la Santé publique. Paradoxalement, des centaines de médecins diplômés sortent des universités publiques camerounaises, mais se retrouvent sans emploi.

Une situation bien regrettable pour le docteur Orphé Hott, cadre du Syndicat des médecins du Cameroun (SYMEC) : « Pour être recrutés désormais, tous les médecins, formés au Cameroun ou ailleurs, doivent absolument passer par un concours d’intégration à la fonction publique, sinon, ils sont obligés de travailler dans le secteur privé », renseigne ce pédiatre, par ailleurs promoteur d’un centre de santé de proximité dans la ville de Yaoundé.

Il importe de relever que selon une analysede l’Organisation internationale du Travail (OIT), la qualité des soins de santé administrés aux populations est tributaire des conditions de travail décentes des travailleurs du secteur.

Elle regrette par conséquent que la pénurie et la répartition inégale au niveau mondial de personnels de santé qualifiés, constituent l’un des principaux obstacles à la fourniture d’un accès universel aux soins de santé. Pour ce faire, l’organisme onusien œuvre pour une amélioration des conditions de travail et des relations professionnelles dans ce secteur, par le biais des normes sectorielles du travailet du dialogue social, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Gel des recrutements directs et corruption

Le gouvernement a en effet gelé les recrutements systématiques des médecins à la fonction publique depuis 2020, officiellement pour des raisons de trésorerie. Au demeurant, il procède, depuis lors, par des concours d’intégration pour enrôler en moyenne 50 médecins chaque année à l’échelle nationale, alors que le déficit de main d’œuvre se creuse au fil du temps, dans un pays où il n’existe qu’un médecin pour 7.000 habitants selon le gouvernement.

Le Cameroun applique désormais une politique de rationalisation des recrutements à la fonction publique. Ceci dans le souci de maîtriser la masse salariale du personnel de l’État qui croît à un rythme exponentiel au cours des dernières années, d’après une étude menée en 2018 par le ministère des Finances sur la soutenabilité de la masse salariale de l’État du Cameroun. De récentes données dudit ministère révèlent que cette masse salariale est passée de 706,1 milliards (près de 1,077 milliard d’euros) à 1 080,1 milliards de Francs CFA (1,64 milliard d’euros) entre 2012 et 2021.

Pour l’économiste de la santé Albert Zé, promoteur de l’Institut de recherche pour la santé et le développement (IRESADE), la santé est un secteur productif, et les recettes hospitalières générées par les soins aux patients pourraient contribuer à régler les problèmes de trésorerie évoqués pour améliorer les conditions socioprofessionnelles des personnels de santé : « Les recettes hospitalières déclarées au Cameroun se chiffrent en moyenne à 7 milliards de Francs CFA (10,6 millions d’euros) par an, pour toutes les formations sanitaires publiques. Mais dans les prévisions, ces recettes tournent autour de 504 milliards de Francs CFA (768,3 millions d’euros) par an. Ceci signifie qu’il y a environ 497 milliards (757,6 millions d’euros) qui sont détournés. Si ces recettes avaient été normalement collectées, les quotes-parts destinées aux personnels, c’est-à-dire le surplus de revenus sur leurs salaires, qui représentent 30% des recettes hospitalières, devraient être multipliés au moins par six, et le personnel de santé vivrait décemment », révèle cet enseignant-chercheur qui dénonce en filigrane la corruption qui a fait son lit au sein de l’administration camerounaise, et qui n’épargne pas le secteur de la santé.

Dans un rapport publié en 2021, la CONAC (acronyme français qui signifie « Commission nationale anti-corruption » ), classe la santé parmi les onze secteurs les plus corrompus au Cameroun, caractérisé par la vente illicite des médicaments dans certaines formations sanitaires publiques et le paiement des pots-de-vin pour les recrutements à la fonction publique camerounaise.

Au cours de cette année-là, les pratiques de corruption qui prévalent dans divers secteurs d’activité ont causé un préjudice financierd’environ 45 milliards de Francs CFA (68,6 millions d’euros) à l’État. Le pays est d’ailleurs considéré comme l’un des plus corrompus au monde, et selon l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International en 2022, il se classe seulement 142e sur 180 pays qui justifient des bonnes pratiques de lutte contre le fléau.

This article has been translated from French.