Les syndicats grecs lancent une grève de 24 heures contre la fermeture d’ERT

 

Les syndicats grecs ont appelé à une grève générale de 24 heures en réaction à la fermeture soudaine, mardi, de la radiotélévision publique nationale ERT.

Les deux principaux syndicats des travailleurs du pays, GSEE et ADEDY, qui représentent approximativement 2,5 millions de travailleuses et travailleurs des secteurs public et privé se sont déclarés scandalisés par la décision brutale qui s’est soldée par le licenciement sommaire de plus de 2600 journalistes, employés administratifs et techniciens.

 

Dans un communiqué officiel, la GSEE a décrit la fermeture comme un « coup d’État » et une tentative de réduire au silence « la seule voix indépendante et publique qui doit rester dans le domaine public ».

Les transports, les écoles, les hôpitaux et les administrations publiques sont tous affectés par la grève générale, la troisième de cette année.

Le Syndicat des journalistes des quotidiens d’Athènes (ESIEA) a également lancé un mot d’ordre de grève de 48 heures à partir de mercredi, par solidarité avec le diffuseur national grec. Il a, par ailleurs, annoncé pour ce jeudi une grève des journalistes de 24 heures.

La fermeture soudaine a aussi été condamnée par le Syndicat panhéllenique des journalistes (POESY) : « Le journalisme est [est en train d’être] persécuté. Nous ne permettrons pas que la voix de la Grèce soit réduite au silence », a dit dans son communiqué George Savvides, qui dirige le syndicat POESY.

La fermeture immédiate de l’ERT mardi à minuit a affecté trois chaînes de télévision, plusieurs chaînes de radio, de même que le service internet de la radiotélévision nationale.

La police a coupé l’alimentation électrique des antennes de l’ERT alors qu’un flash info était en train d’être diffusé, et ce quelques heures à peine après l’annonce officielle.

Cette décision radicale fut mise en œuvre en vertu d’une simple ordonnance exécutive, en l’absence de toute consultation publique ou d’un quelconque vote au parlement.

Bien qu’aucun impact fiscal direct ne soit à prévoir de la fermeture d’ERT – ses activités étaient financées au moyen d’une redevance télévision payée par les usagers de l’électricité - le gouvernement grec semble persuadé que cette démarche symbolique convaincra les créanciers du pays de la « détermination d’Athènes à régénérer son secteur public ».

En attendant, des milliers d’autres personnes viendront gonfler les rangs des sans emploi dans un pays qu’on ne peut qualifier autrement que de « ground zero » de la zone euro.

L’économie grecque s’est contractée de près de 25 pour cent depuis 2008, tandis que le chômage dépasse 27 pour cent, le taux le plus élevé de la zone euro.

 

Vache sacrée ou agneau sacrificiel ?

« L’ERT dénote un cas d’absence exceptionnelle de transparence et de dépenses incroyables. Et tout ceci prend fin maintenant », a dit le porte-parole du gouvernement Simos Kedikoglou dans un communiqué diffusé sur l’ERT.

« Au moment où l’on impose au peuple grec de lourds sacrifices, il n’est plus question de repousser au lendemain, d’hésiter, d’épargner les vaches sacrées », a-t-il ajouté.

Le gouvernement a proposé la réouverture du télédiffuseur dans trois mois sous un nouveau format et avec des effectifs considérablement réduits.

Le budget de l’organisation sera, lui aussi, laminé de 300 à 100 millions d’euros approximativement.

D’après Kedikoglou, les salariés actuels recevront une compensation et auront la possibilité de postuler à un emploi au sein de la nouvelle structure.

Suite à l’annonce choc du gouvernement, plusieurs centaines de salariés de l’ERT se sont mobilisés devant le siège central de l’organisation à Athènes mardi soir et mercredi après-midi pour clamer leur détermination à s’opposer à la décision.

L’appel des travailleurs à un black-out médiatique général de solidarité a été rallié par les personnels des médias privés, des politiciens et les membres du public concernés.

Dans le cadre d’une action de solidarité, les chaînes de télévision privées du pays ont interrompu leur programmation pour émettre, à la place, durant six heures, des rediffusions et des publicités.

Pour l’heure, les journalistes de l’ERT continuent d’occuper leurs anciens lieux de travail, aussi bien à Athènes que dans la deuxième ville du pays, Thessaloniki.

Athanasios Athanasiou, correspondant de l’ERT à Bruxelles, a déclaré à Equal Times : « Une vraie démocratie ne peut fonctionner correctement en l’absence d’une radiotélévision publique.

« À partir d’aujourd’hui, la Grèce a cessé de se conformer aux règles et aux valeurs fondamentales inhérentes à la participation à l’Union européenne.

La fermeture de l’ERT n’aura aucun impact fiscal. Ce qui est en jeu, c’est ni plus ni moins que les droits fondamentaux, le pluralisme démocratique et l’obligation de l’État de veiller la liberté des médias.

« Il n’y a aucune assurance qu’une quelconque nouvelle organisation, pour peu qu’elle voie le jour, puisse continuer à remplir ce rôle. »

 

Mesures d’austérité

La décision de fermer l’ERT a été prise par le Premier ministre grec conservateur Antonis Samaras dans le cadre des mesures d’austérité radicales réclamées par les créanciers internationaux en échange d’un plan de sauvetage massif et soumet la déjà fragile coalition gouvernementale à trois partis à une pression énorme.

Le parti socialiste Pasok et le parti de la Gauche démocratique de tendance modérée ont, tous deux, marqué leur opposition au licenciement des personnels de l’ERT et à la fermeture du diffuseur national.

Les deux partenaires de coalition s’estiment lésés par le fait que le Premier ministre ait manqué de les consulter en bonne et due forme

L’absence d’une entente entre les parties concernant la fermeture de l’ERT risque, cependant, de placer la coalition dans une position précaire et la possibilité d’élections anticipées n’est pas à exclure.

Or un nouveau cycle d’instabilité politique en Grèce ferait une fois de plus peser dans la balance l’avenir de la Grèce en tant que pays membre de la zone euro.

Alexis Tsipras, leader du principal parti d’opposition Syriza, a qualifié la décision d’ « illégale » et annoncé qu’il soumettrait une proposition d’amendement législatif au parlement après sa rencontre prévue avec Samaras.

Pour sa part, l’Union européenne a affirmé qu’elle ne contestait pas la décision du gouvernement mais a, néanmoins, reconnu que la diffusion publique constituait « une partie intégrante de la démocratie européenne ».

D’après Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires, le gouvernement grec a décidé de fermer l’ERT indépendamment de toute influence de la troïka.

« La Commission n’a pas demandé la fermeture d’ERT, pas plus qu’elle ne conteste le mandat du gouvernement grec à gérer le service public », a déclaré Rehn au parlement européen, à Strasbourg.

« La décision des autorités grecques doit être considérée dans le contexte des efforts considérables et nécessaires entrepris par les autorités pour moderniser l’économie grecque.

« Et cela inclut l’amélioration de l’efficacité du secteur public », a-t-il soutenu dans une déclaration aux députés européens.

La fermeture de l’ERT faisait suite à un sérieux revers essuyé par le programme de privatisation du pays lundi lorsque le géant gazier russe Gazprom s’est retiré de l’appel d’offres pour l’acquisition de la compagnie de gaz nationale grecque DEPA.

La privatisation de DEPA faisait partie d’un train de mesures prévues dans le cadre d’un plan de financement d’urgence qui devait permettre à la Grèce d’honorer les remboursements de sa dette souveraine.

Cependant, Samaras a exclu la nécessité de nouvelles mesures d’austérité pour compenser l’échec de l’accord.

Lundi, au cours d’entretiens avec le gouvernement grec, les créanciers internationaux de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international avaient appelé au licenciement immédiat de milliers de salariés de la fonction publique.

Pendant ce temps, le FMI a admis, pas plus tard que la semaine dernière, que bien qu’il ait mal géré les étapes initiales du sauvetage grec, il n’y aurait pas de relâchement au niveau des mesures d’austérité.