Au Soudan, la guerre à laquelle le monde a tourné le dos se poursuit

Au Soudan, la guerre à laquelle le monde a tourné le dos se poursuit

Sudanese army chief Abdelfatah al-Burhan (centre) visits a military base in the coastal city of Port Sudan on 28 August 2023.

(AFP)
Opinions

La violence est un trait structurel caractéristique du Soudan, et ce, pratiquement depuis sa création en 1956. Une violence qui, depuis la nouvelle flambée du 15 avril, a fait des milliers de morts et de blessés, 1,3 million de réfugiés (principalement vers le Tchad), plus de 5 millions de personnes déplacées de force et 25 millions de personnes qui dépendent de l’aide humanitaire pour survivre (sur une population totale de 45,6 millions d’habitants).

Et malgré le caractère brutal de cette tragédie (qui place le Soudan au premier rang des crises humanitaires de la planète), l’attention internationale reste limitée. Il n’est pas surprenant qu’aujourd’hui, en réponse à la demande formulée le 16 novembre par les autorités de Khartoum, le Conseil de sécurité des Nations unies ait adopté une résolution (avec abstention de la Russie) mettant à la MINUATS (Mission intégrée des Nations Unies pour l’assistance à la transition au Soudan), le 3 décembre dernier.

Cette mission, qui a débuté en 2020, un an après la chute du dictateur Omar el-Bechir, avait pour objectif de soutenir la transition vers la démocratie, très peu de temps avant le coup d’État d’Abdel Fattah al-Burhan, en octobre de la même année, qui a profité de sa position de chef des Forces armées, alors que la MINUAD (Opération hybride Nations unies-Union africaine au Darfour) arrivait au terme de son mandat.

On est ainsi passé d’une force de maintien de la paix confinée au Darfour, avec quelque 20.000 hommes déployés sur le terrain, à une mission politique comptant à peine 250 hommes et ayant reçu pour mandat d’être opérationnelle dans l’ensemble du pays.

Simultanément, la même tendance à la baisse a été observée dans le domaine humanitaire, si bien que le récent appel des Nations unies pour répondre aux besoins fondamentaux de 18,1 millions de personnes n’a couvert qu’à peine un tiers des 2,6 milliards de dollars US demandés (2,41 milliards d’euros).

À l’origine, ce sont les Britanniques qui ont provoqué l’étincelle en créant ce qui a longtemps été le plus grand pays d’Afrique en fonction de leurs intérêts et en forçant à vivre ensemble des populations qui ne le souhaitaient aucunement.

À ce défaut structurel sont venus s’ajouter d’autres facteurs qui, pendant près de 30 ans de dictature d’Omar el-Bechir, ne sont parvenus qu’à donner une image de fausse stabilité, ponctuée de violences et de répressions, avec des épisodes aussi tragiques que celui qui affecte encore le Darfour, puis l’indépendance du Soudan du Sud (2011).

Le renversement du dictateur en avril 2019 venait à peine d’apporter une lueur d’espoir, avec les Forces pour la liberté et le changement menant un processus civil de transition vers la démocratie, que celle-ci était brutalement avortée par les militaires en 2021. Ceux-là mêmes qui sont aujourd’hui à nouveau en conflit direct les uns avec les autres, animés d’un zèle prédateur insensible aux souffrances de la grande majorité de la population.

D’un côté, le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des Forces armées soudanaises, principal protagoniste du renversement d’Omar el-Bechir avec son rôle de leader du coup d’État évoqué plus haut et actuellement dirigeant suprême du pays, à la tête du Conseil de souveraineté. Face à lui, le général Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom d’Hemeti, chef des Forces de soutien rapide, désormais déclarées rebelles, et second de la chaîne de commandement du Conseil de souveraineté. Ils étaient tous deux clairement alignés sur M. el-Bechir pendant la dictature et impliqués dans les atrocités commises au fil des années au Darfour (sans que ni l’un ni l’autre n’ait été formellement inquiété par la Cour pénale internationale, contrairement au dictateur) et aucun des deux ne s’est distingué par sa ferveur démocratique.

Plus qu’une simple lutte de pouvoir entre généraux ?

Même si tous deux tiennent à la présenter autrement, leur confrontation actuelle n’est pas le fruit de divergences idéologiques de quelque nature que ce soit. Au premier abord, le conflit pourrait être interprété comme le résultat de désaccords entre les deux militaires sur deux points centraux de l’agenda national :

1) un accord éventuel avec les acteurs civils afin de remettre le processus politique sur les rails, par la mise en œuvre de ce qui a été convenu en novembre 2021 pour entamer une nouvelle période de transition avec un gouvernement civil à la barre ;

2) le processus d’intégration des Forces de soutien rapide aux Forces armées soudanaises, mettant fin à l’existence d’une force paramilitaire indépendante, dérivée des très violentes milices Janjawid renforcées par M. el-Bechir lui-même en vue de réprimer la révolte au Darfour et peu enclines à se plier à la discipline de Khartoum. Toutefois, au fond, tout semble indiquer qu’il s’agit d’une grossière lutte pour le pouvoir entre les deux personnages.

Complexifiant encore davantage la confrontation interne, de nombreux voisins et puissances extérieures tentent de s’immiscer dans les affaires du pays.

Ainsi, d’une part, l’Égypte (dirigée elle aussi par un autre putschiste, Abdel Fattah al-Sissi) tente de préserver l’influence historique qu’elle a exercée sur son voisin du sud, tant pour garantir la stabilité de sa frontière méridionale que pour se doter d’un allié dans ses efforts visant à contrecarrer les répercussions négatives sur ses intérêts que pourrait avoir la construction du Grand barrage de la Renaissance que l’Éthiopie est déterminée à concrétiser. Si sa préférence pour M. al-Burhan paraît évidente, il a également veillé à maintenir un contact avec Hemeti.

Pour sa part, Hemeti ne dispose pas uniquement de ses propres forces armées, dont les effectifs sont estimés à environ 100.000 hommes très bien équipés grâce à sa fortune personnelle et au contrôle qu’il exerce
sur les mines d’or et sur de puissants réseaux de contrebande. Il bénéficie également du soutien d’acteurs extérieurs importants tels que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.

En effet, Hemeti s’est impliqué dans la guerre au Yémen en engageant ses combattants aux côtés des forces d’Abu Dhabi et de Riyad, ce qui lui a apporté un soutien financier et politique considérable qu’il cherche aujourd’hui à exploiter à son avantage.

Pendant ce temps, la Russie est également très active, se positionnant de plus en plus en faveur de Hemeti, et fournissant même des mercenaires du groupe Wagner (bien que Moscou l’ait nié). Moscou a depuis longtemps manifesté son désir de disposer d’une base navale à Port-Soudan, ce qui explique son intérêt croissant pour le pays. Le tout en gardant un dialogue direct avec M. al-Burhan.

Enfin, pour la Chine, soucieuse de sa sécurité énergétique, le principal attrait du Soudan reste son pétrole (sachant que la propriété de celui-ci reste à définir, dans l’attente d’un accord définitif sur la frontière entre Khartoum et Djouba). Cela explique son appel à la retenue des deux parties, étant entendu que la stabilité est son principal objectif. C’est également la ligne que suivent l’Union européenne et les États-Unis, même si leur insistance constante sur la retenue et la stabilité n’est pas incompatible avec l’acceptation d’un gouvernement contrôlé par les militaires, comme c’est d’ailleurs le cas depuis la fin de la dictature de M. el-Bechir.

Rien n’indique, en somme, que l’un des deux généraux soit disposé à s’incliner dans la lutte pour le butin, du moins tant qu’ils n’auront pas vu ce que leurs fidèles sont capables de faire les armes à la main. D’ailleurs, pour ne rien arranger au pessimisme de la situation actuelle, les médiateurs des pourparlers de paix (Arabie saoudite, États-Unis et Autorité intergouvernementale pour le développement) qui ont débuté en octobre dernier ont décidé de suspendre indéfiniment les contacts devant l’absence totale de volonté des deux parties de rapprocher leurs positions.

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis