Chili : vers une assemblée constituante

L’adoption d’une nouvelle Constitution élaborée par une assemblée constituante est une initiative citoyenne qui gagne actuellement du terrain au Chili.

La droite conservatrice et les plus farouches opposants à la volonté politique de milliers d’organisations sociales, sans recours institutionnel qui mettrait en place le processus donnant le jour à un nouveau contrat social, ont déjà commencé à envisager l’idée d’une assemblée constituante.

La discussion sur l’impérieuse nécessité de former une assemblée constituante au Chili a réussi à briser le contrôle de l’information et à passer au centre de la discussion politique nationale.

Le silence des médias à ce sujet s’explique par le fait que les intérêts de l’oligarchie nationale pourraient s’en trouver sérieusement affectés.

La Constitution actuelle est un héritage de la dictature de Pinochet et elle a laissé plusieurs éléments permettant de maintenir le statu quo en faveur de personnes qui ont scandaleusement accumulé et concentré le capital.

Selon Gustavo Ruz, le coordinateur du Mouvement pour l’assemblée constituante, « Cette Constitution de Pinochet, restée inchangée sous la présidence de Lagos en 2005, à part quelques petites modifications sans importance, favorise le modèle néolibéral et oblige les Chiliens à être néolibéraux, à accepter que leur économie soit entre les mains de 0,01 % de la population et que près de deux tiers du PIB soient détenus par des capitaux étrangers.

« Le Chili doit en finir avec ce modèle économique, parce que ce modèle a échoué dans l’ensemble de l’Amérique latine et aux États-Unis ».

Sans aucun doute, l’élément le plus important de la Constitution actuelle réside dans le fait que le quorum fixé pour adopter des réformes à caractère constitutionnel est trop élevé et que la composition binominale du Congrès rend pratiquement impossible la réalisation de ce quorum.

Par exemple, une réforme constitutionnelle requiert 72 voix favorables sur les 120 députés et 23 sur les 38 sénateurs.

 

Bachelet et la nouvelle Constitution

Un des points du programme du gouvernement qui a suscité la sympathie des électeurs de la présidente Michelle Bachelet est son engagement à en finir avec la Constitution de Pinochet.

Comme elle l’avait clairement annoncé dans son programme, « La Constitution actuelle a été créée en 1980, au temps de la dictature. Le moment est venu d’avoir une charte fondamentale née dans la démocratie, qui soit le fruit d’une discussion approfondie et riche et qui reflète les changements que le Chili a connus au cours des dernières décennies ».

Par ailleurs, selon Michelle Bachelet, « Des entraves autoritaires ralentissent actuellement les processus démocratiques. Nous voulons une Constitution sans verrous, qui nous garantisse le plein exercice de nos droits et de nos devoirs.

« Nous devons mettre fin à l’actuel système binominal par lequel des candidats peuvent être élus alors qu’ils ont obtenu moins de voix que d’autres candidats, qui n’arrivent pas jusqu’à la chambre des députés. Il est également primordial de modifier les quorums très élevés établis pour approuver des lois ».

Or, jusqu’à présent, tout est resté au stade des bonnes intentions, mais on commence à voir, sous la pression des forces de droite et du patronat, une volonté d’emprunter un autre chemin.

D’un côté, l’aile conservatrice de la démocratie chrétienne – qui fait partie du gouvernement de coalition aux côtés du parti socialiste de Bachelet – souhaite vivement que le pouvoir constituant se situe au Parlement, et fait tout son possible pour que l’élaboration d’une nouvelle Constitution provienne du Congrès, sans la participation des citoyens.

Pendant ce temps, depuis le palais de la présidence, la secrétaire générale du gouvernement, Ximena Rincón – une démocrate chrétienne plus « progressiste » – participe à l’élaboration d’un document visant à organiser des « consultations citoyennes ou des réunions ouvertes » dans tout le pays, afin de rassembler des idées pour mettre au point un nouveau mécanisme qui donnerait naissance à la nouvelle Constitution.

 

Mouvement social pour une assemblée constituante

« Nous n’avons cessé de trébucher, de nous heurter les uns aux autres, sans nous reconnaître comme des êtres égaux, comme des compagnes ou des compagnons, comme des sœurs ou des frères. Nous vivons à une époque où il est indispensable de recommencer à nous voir, à nous connaître, à nous reconnaître ».

Ainsi commence un texte de Vía Popular a la Constituyente, un mouvement du Partido Igualdad (Parti de l’égalité) qui refuse d’attendre que ce soit le gouvernement qui appelle à la formation d’une assemblée constituante.

Le mouvement a opté pour l’action directe : il sillonne le pays pour organiser des discussions et des échanges éducatifs sur la nécessité de jouer un rôle social central pour l’avenir.

Le Mouvement pour une assemblée constituante mène une action semblable, avec le soutien de personnes telles que Gustavo Ruz et Matías Sagredo.

Une « École citoyenne pour une assemblée constituante » a formé avec succès plus de 150 animateurs qui feront connaître cette cause dans divers lieux du pays.

Lors du cinquième Congrès international du pouvoir constituant, qui a eu lieu au début de l’automne à Barcelone, Matías Sagredo a déclaré avec force :

« Nous ne permettrons pas qu’on nous impose de nouveau une Constitution illégitime, qui usurpe le pouvoir constituant et s’arroge un Congrès qui ne lui correspond pas. Nous continuerons d’œuvrer pour changer ce système corrompu, au sein duquel le pouvoir économique gouverne et où les droits des citoyens viennent au second plan ».

Parmi les autres acteurs significatifs favorables à l’assemblée constituante, citons les militants du groupe Marca AC qui, lors des dernières élections présidentielles, ont appelé les citoyens à inscrire les initiales « AC » sur les bulletins de vote pour transmettre de manière explicite la volonté du peuple.

Il convient également d’évoquer le groupe interpartis de neuf sénateurs qui défendent la formation d’une assemblée constituante : Alejandro Navarro, dirigeant du mouvement social MAS ; Jaime Quintana et Guido Girardi, du parti démocrate PPD ; les socialistes Rabindranath Quinteros, Alfonso de Urresti et Carlos Montes ; les indépendants Antonio Horvath, Alejandro Guillier et Pedro Araya, qui travaillent en collaboration avec l’avocat constitutionnaliste Fernando Atria.

Au Chili, les citoyens, les intellectuels, les artistes, les travailleurs, les organisations sociales, les écologistes et les peuples autochtones qui soutiennent publiquement la création d’une assemblée constituante se comptent par milliers, sans oublier des organisations syndicales telles que la Central Unitaria de Trabajadores (CUT) et la Confederación de Estudiantes de Chile (Confech), entre autres.

Enfin, il serait utile de rappeler le résultat de l’enquête IPSOS réalisée par l’Université de Santiago. Il s’agit d’une des enquêtes les plus sérieuses et respectables du pays, qui a révélé que 74 % des personnes interrogées considéraient que la Constitution politique devait être remplacée par une nouvelle.

 

Principales demandes pour la nouvelle constitution

- Enseignement public de qualité et gratuit
- Renationalisation du cuivre et des grandes exploitations minières
- Abrogation du Code de l’eau et nationalisation de l’eau
- Décentralisation, et pouvoir accru des régions
- Fin du système binominal des partis
- Reconnaissance des peuples autochtones et reconnaissance du Chili comme État plurinational