Risque d’enlèvement accru pour les journalistes malgré des protocoles de sécurité

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La récente disparition en Syrie de trois journalistes indépendants espagnols, Antonio Pampliega, José Manuel López et Ángel Sastre rappelle une fois de plus les risques que courent les journalistes dans les zones de conflits.

Bien que le quotidien espagnol El País ait signalé que les sources gouvernementales espagnoles n’avaient pas pu confirmer l’enlèvement des trois journalistes, les organismes de presse espagnols et les ONG internationales craignent le pire.

« Nous sommes très préoccupés par le sort de ces trois journalistes espagnols disparus à Alep, qui est contrôlée d’un côté par l’État islamique et de l’autre côté par le Front Al-Nusra, un autre groupe armé », indique à Equal Times le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire.

« Nous demandons à toutes les parties concernées par le conflit de respecter le travail des médias et de cesser de prendre des gens en otage pour des motifs politiques », ajoute Deloire.

L’époque où les journalistes se rendaient dans une zone de guerre pour rapporter des témoignages indépendants est révolue depuis longtemps.

Reporters sans frontières estime que 119 journalistes ont été kidnappés dans le monde en 2014, ce qui représente une hausse de 30 % depuis 2013. C’est en Libye, en Syrie et en Irak que le nombre d’enlèvements est le plus élevé.

 
Pas de mémoire institutionnelle

Le journaliste et documentariste Sean Langan n’ignorait rien du reportage de guerre quand les Talibans l’ont pris en otage en 2008 avec son traducteur. Il couvrait la guerre en Afghanistan depuis une dizaine d’années lorsqu’un commandant de l’insurrection appartenant au réseau Haqqani a accusé les deux hommes d’espionnageavant de les maintenir en captivité pendant trois mois dans une pièce sans lumière, au fond d’une ferme de la campagne afghane.

Langan avait respecté les protocoles de sécurité à l’époque, mais il n’a pas été secouru à temps. « La meilleure préparation à ma captivité, c’était mes dix années de reportage de guerre », explique Langan à Equal Times lors d’un entretien. « À chaque fois que je suis intervenu depuis mon propre enlèvement, il semble qu’il n’y ait aucune mémoire institutionnelle en place », commente Langan.

Selon Courtney Radsch, directrice de campagne du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), « Par le passé, chacun utilisait des approches différentes. Les embargos médiatiques ne sont pas aussi efficaces qu’avant, et le CPJ pense que la diffusion de l’information joue davantage en faveur de la sécurité. Nous avons tiré des enseignements des expériences passées, même si chaque cas est différent ».

Depuis son propre enlèvement et sa captivité, Langan estime que l’évaluation des risques et les protocoles de sécurité revêtent une importance capitale pour chaque journaliste local ou international, salarié ou indépendant, ainsi que pour leurs organismes de presse, parce que « une semaine passée en captivité semble être une vie entière ».

 
Guerre civile de Syrie : un tournant décisif

La guerre civile syrienne, qui a commencé en 2011, a marqué le début d’une violence sans précédent à l’encontre des journalistes en reportage dans les zones de conflit.

En Syrie, les groupes rebelles voient dans les professionnels des médias de potentiels otages lucratifs, ce qui propulse la Syrie au rang du pays le plus dangereux au monde pour les journalistes, devant le Mexique et le Brésil.

Une étude du CPJ révélait en automne 2013 que 62 journalistes avaient été tués et que la moyenne record des enlèvements de journalistes s’élevait à un par semaine.

Dès le mois d’août 2013, l’Agence France-Presse a cessé d’envoyer son personnel en Syrie et d’accepter des reportages de journalistes indépendants qui se rendaient sur les territoires syriens aux mains des rebelles.

Mais il a fallu attendre que le groupe de militants djihadistes de l’État islamique diffuse la décapitation du journaliste américain indépendant James Foley, en août 2014, pour que le monde entier se rende enfin compte de la barbarie à laquelle étaient confrontés les journalistes en Syrie. La mort de Foley fut suivie de peu par celle du journaliste américano-israélien Steven Sotloff et des journalistes japonais Haruna Yukawa et Kenji Goto.

Les organismes d’information ont fait leur possible pour assurer la sécurité de leur personnel, et les débats ont fait rage autour de l’efficacité de l’évaluation des risques et des protocoles de sécurité existants pour les entrées et les sorties, ce qui a pris de l’ampleur face à la crise syrienne.

 
Les journalistes bénéficient d’un meilleur soutien, mais est-ce suffisant ?

« Une question contractuelle et morale occupe le devant de la scène à chaque fois que des journalistes sont kidnappés dans des zones de conflit extrême », affirme Caroline Neil, consultante et directrice de la gestion de la sécurité et du risque pour RPS Partnership, une organisation londonienne spécialisée dans la gestion des conflits et la formation sur les environnements hostiles.

« Les organismes des médias consacrent beaucoup plus de temps et d’efforts à la formation, à la planification et à la préparation des journalistes qu’il y a dix ans, mais j’aimerais tout de même que les journalistes locaux bénéficient du même niveau de formation que les journalistes internationaux », précise Neil à Equal Times.

Face à la situation des journalistes en Syrie, 67 organismes des médias ont adhéré aux principes et pratiques mondiaux de sécuritéétablis par le CPJ en collaboration avec David Rohde, de l’agence Thomson Reuters. Les directives, publiées en février 2015, définissent les normes minimum de sécurité pour la formation du personnel local et international et des journalistes indépendants sur les zones de conflit.

D’après Neil, de nombreux organismes établis à Londres forment leurs journalistes en priorité à l’information télévisée et radiophonique mais il n’y a pas de chiffres sur le nombre exact d’organismes britanniques ou internationaux participant aux programmes de formation.

La BBC et d’autres grands organismes disposent de conseillers en sécurité qui peuvent intervenir pour secourir des journalistes indépendants locaux, mais les organismes plus petits n’ont pas forcément le budget suffisant pour prendre en charge un programme de formation ou embaucher des spécialistes.

« Le plus important, ce sont les journalistes locaux. Ce sont eux qui prennent le plus de risques, dans la mesure où les responsables des autorités locales et les partis d’opposition les prennent pour cibles et cherchent à les éliminer parce qu’ils sont impliqués. Les journalistes internationaux sont tués ou kidnappés pour d’autres raisons. Les données du CPJ font apparaître une tendance à réagir au cas par cas, au lieu d’utiliser une approche unique », ajoute Radsch.

Le matin du 7 juillet 2014, le photojournaliste libyen indépendant Nader Elgadi a traversé Tripoli avec un ami après avoir photographié les manifestations sur la place d’Algérie pour un reportage. Trois hommes des milices armées ont enlevé les deux hommes, les ont poussés dans une voiture et les ont conduits dans un bâtiment isolé, où ils ont été frappés et torturés pendant deux jours.

« Je ne pensais pas que ça m’arriverait à moi», confie Elgadi à Equal Times. «Mais comme j’ai suivi une formation avec le Rory Peck Trust, maintenant je sais mieux ce que je dois faire et comment rester en sécurité. Je suis plus vigilant. Je regrette seulement de ne pas avoir eu cette formation avant de me faire enlever ».

Frontline Freelance Register (FFR), un réseau de journalistes de guerre internationaux et étrangers indépendants amenés à prendre des risques physiques pour leur travail, va publier en septembre 2015 Hostile Environment Training for Freelancers in the Media (Formation sur les environnements hostiles pour les journalistes indépendants).

Parmi tous les indices de sécurité qui existent, FFR recommande aux journalistes indépendants de veiller à mettre à jour leurs données personnelles, d’utiliser plusieurs méthodes de communication, par exemple un traceur et un téléphone portable, de limiter les profils dans les médias sociaux (et de ne jamais indiquer de données de contact personnelles), d’utiliser des téléphones distincts pour les différentes sources et contacts personnels et, si possible, de suivre des formations sur les systèmes de contre-surveillance, sur l’aide médicale et l’évaluation des risques.