Les États-Unis réaffirment le droit à l’avortement, malgré l’opposition

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Depuis la légalisation de l’avortement en 1973, le Texas s’est situé au premier plan du combat entre l’Amérique « pro-choix » et celle « pro-vie ».

Personne ici n’a oublié que c’est à Dallas qu’a démarré l’énorme bataille juridique et morale qui a abouti à la célébrissime décision Roe v. Wade de la Cour Suprême américaine.

Depuis, c’est toujours dans ce vaste État conservateur que la bataille sur le droit à l’avortement est la plus âpre et la plus disputée.

Le camp « pro-vie », qui considère l’acte comme irresponsable et criminel, s’est depuis plus de 40 ans débrouillé pour renverser la situation à l’échelle des États, en multipliant lois et amendements qui rendent la vie très difficile aux cliniques.

Faute de fonds, de médecins, de conditions de sécurité adéquates, les avortements sont impossibles à pratiquer sur le terrain sur de très vastes portions du territoire américain, malgré la légalité fédérale du droit à avorter.

Dans ce contexte, une nouvelle décision, rendue fin juin par les juges de la Cour Suprême, fait figure d’un retournement de situation inespéré pour les défenseurs du droit à l’avortement. Comme en 1973, c’est une bataille judiciaire texane qui a gravi tous les échelons de la justice américaine et a atterri sur le bureaux de ces magistrats hors-normes (normalement au nombre de neuf, ils sont réduits à huit en ce moment, suite à la mort en février du magistrat conservateur Antonin Scalia et le blocage d’une nouvelle nomination).

La décision des juges rend caduque une loi de 2013 qui a profondément touché les centres de planning familial du Texas. Elle exigeait que les cliniques obtiennent les mêmes standards d’hygiène et de sécurité que ceux, ultra-contraignants, des hôpitaux de chirurgie ambulatoire. Un moyen détourné pour étouffer les cliniques, qui a rempli tous ses objectifs.

La moitié des centres texans ont dû mettre la clé sous la porte depuis 2013, dans les campagnes, mais aussi dans les grandes villes comme Austin. Les 30 millions de Texans ont désormais le choix entre seulement une dizaine de centres, qui fermaient un à un.

La loi obligeait aussi les praticiens à être basés dans un hôpital situé à moins de 40 kilomètres de la clinique. Une mission totalement impossible dans les régions rurales, où les médecins pratiquant l’avortement ne viennent souvent qu’une fois par semaine, parfois en hélicoptère, parfois en voiture, dans un anonymat total, compte tenu du climat de menace élevé.

Car les attaques contre les cliniques ont marqué l’histoire récente : depuis 1993, onze personnes ont été tuées dans des attaques à l’explosif ou à l’arme à feu dans des plannings familiaux américains. La dernière eut lieu en novembre dernier, à Colorado Springs, dans le Colorado, quand un homme pénétrant dans une clinique, armé d’un fusil d’assaut, avait tué trois personnes.

Les femmes, dans les comtés ruraux de l’ouest du Texas notamment, patientent plusieurs semaines pour obtenir un rendez-vous, et doivent conduire plusieurs centaines de kilomètres pour s’y rendre.

Une initiative difficile pour les adolescentes, ou les femmes seules, isolées, ou pauvres.

Désormais, les établissements de campagnes pourront peut-être rouvrir, mais le processus sera long. « Il faut relouer un bâtiment, refonder une équipe médicale, trouver des financements privés », détaille Jennifer Ludden, correspondante pour la radio publique NPR. C’est tout le système de santé texan qui est à refaire.

Pour le Texas, et plus largement les États-Unis, l’impact du coup de marteau de la Cour Suprême est multiple. Au niveau local, l’association plaignante dans l’affaire, Whole Women’s Health, propriétaire de centres de planification, n’est plus obligée de fermer ses dernières cliniques et pourra même rouvrir celles disparues.

« Mais notre infrastructure est décimée », explique Amy Hagstrom Miller, personnage principal de cette bataille judiciaire en tant que présidente de l’association plaignante, au site Refinery29.

Miller prend l’exemple d’une mère célibataire de trois enfants, avec un travail, enceinte de huit semaines, qui a contacté sa clinique. « Il faut qu’on lui apprenne qu’elle devra rouler 500 kilomètres jusqu’à Dallas pour avoir un avortement. Elle a bien dû nous appeler six fois durant sa grossesse, en essayant de tout caler pour venir, entre son travail, le prix de l’essence, la garde de ses enfants. Quand elle a enfin pu faire les ultrasons, il était déjà trop tard pour avorter selon la loi texane [car] elle était déjà enceinte de 22 semaines [ NDLR: la limite au Texas est de 20 semaines]. La vaste majorité des femmes voulant avorter ont déjà un enfant, elles savent ce que ça implique. »

Miller invoque les trajets, les personnes sans assurance santé, ou les travailleuses qui ne peuvent pas prendre de jours de congés.

Au niveau national, la décision aura des répercussions profondes, puisqu’une vingtaine d’États possédant une loi anti avortement similaire à la loi texane (Louisiane, Wisconsin, Alabama) devront se mettre au diapason.

Les lois anti-avortement de tous ces États se ressemblent trait pour trait, parce qu’elles sont pour la plupart préparées en amont par un même lobby de Washington, Americans United for Life (AUL).

« Cette association, précise Miller, possède une sorte de livre d’or rempli de lois types qu’ils essaient d’adapter à chaque État. Ils proposent une loi, constatent ce qui fonctionne ou non, et ils affinent et passent à un autre État. On parle vraiment là d’une législation calque qui s’étend dans tout le pays. »

Si la Cour Suprême donne un nouvel avantage aux pro-choix, ça ne signifie pas que les anti-avortement baissent les bras.

En réaction à la récente décision de la Cour Suprême, Clarke Forsythe, président de l’AUL, a fait savoir dans un communiqué : « Malheureusement, les lois de bon sens qui protègent les femmes dans les vraies et complètes cliniques de santé ne seront pas d’application dans les centres d’avortement du Texas, mais Americans United for Life continuera à se battre – dans les législatures et dans les tribunaux – pour protéger les femmes d’une industrie dangereuse et avide. »

Que ce soit au Texas ou ailleurs, il existe toujours une batterie de lois et d’amendements mettant en difficulté les démarches pour avorter. Certains États interdisent l’avortement après vingt semaines.

D’autres, comme l’Ohio, vont jusqu’à obliger les docteurs à faire écouter le battement de cœur du fœtus aux femmes souhaitant avorter.

This article has been translated from French.