Turquie: la répression des syndicalistes continue

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Neuf femmes syndicalistes au tribunal d’Ankara ; trois retournent en prison, six libérées en attendant le prochain procès.

Özkan Yorgun proteste devant le tribunal d’Ankara où le procès de sa femme a lieu.

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Dehors, devant le tribunal d’Ankara où le procès de sa femme a lieu le 4 octobre 2012, se tient Özkan Yorgun qui explique comment l’arrestation des deux parents, tous les deux des syndicalistes actifs, a affecté leur deux fils. Le plus jeune des Yorgun a eu des difficultés de concentration à l’école.

‘‘Comment est-ce que vous seriez si votre père ou votre mère étaient arrêtés en face de vous? Vous deviendriez nerveux non? Leur mère a d’abord été arrêtée et ensuite 4 mois plus tard, leur père’’ raconte Özkan Yorgun, le mari de Bedriye Yorgun, une des 15 femmes syndicalistes, qui a été arrêtée et emprisonnée le 13 février.

Bedriye Yorgun est une infirmière et est la Secrétaire Générale pour la Femme, du syndicat des travailleurs de la santé, SES.

Avant cela, elle en était la présidente de 2008 à 2011. SES fait partie de la KESK, la confédération indépendante des syndicats en Turquie.

Le brouhaha des 5000 manifestants s’amplifie autour du tribunal d’Ankara pendant que Özkan Yorgun relate les faits. Les haut-parleurs déversent à plein volume les discours officiels des syndicats ; le ‘Venceremos’ (Nous gagnerons), le fameux chant du mouvement de l’Unité Populaire au Chili avant le coup d’état militaire en 1973 ; les chants d’opposition turques ; et la musique kurde, qui permet aux membres du KESK de danser les danses traditionnelles kurdes face à l’austérité du tribunal Turc.

La question de l’autonomie kurde reste une question sensible et affecte aussi le procès : les 15 femmes syndicalistes arrêtées sont kurdes.

20% de la population turque est kurde mais les enfants kurdes ne peuvent pas recevoir leur éducation dans leur langue maternelle et les affrontements entre les militaires turcs et le PKK (le Parti des Travailleurs Kurdes) ont augmenté cette année.

Sur les 15 femmes arrêtées, 6 ont été libérées sous caution peu de temps après leur arrestation, mais 9 sont restées en prison et cette audience au tribunal du 4 octobre était une demande pour leur liberté.

Toutes les femmes sont accusées d’être impliquées dans une organisation kurde clandestine, le KCK (l’Union des Communautés Kurdes).

Ce sont des accusations fréquentes pour tous ceux qui défient l’actuel gouvernement de l’AKP (le Parti Justice et Développement) qui est maintenant au pouvoir depuis 10 ans sous la direction de Recep Erdoğan.

L’accent mis par l’AKP sur les valeurs et attitudes conservatrices, particulièrement envers les femmes, et la défense de la religion à l’école préoccupe les Turcs et Kurdes libéraux.

Pourquoi le gouvernement turc prend-t-il pour cible les femmes membres de la KESK?

Le syndicat des professeurs de la KESK a mené une forte campagne contre les réformes d’éducation du gouvernement qui sont devenues des lois en mars 2012 et le syndicat médical de la KESK a lutté pour le droit à la convention collective.

En plus de sa détermination syndicale, KESK soutient le travail sur la discrimination positive et lutte contre les inégalités entre les sexes.

Les femmes sont particulièrement bien représentées à la KESK, elles sont environ la moitié des membres.

Cette image de la femme militante et indépendante de la KESK s’oppose à l’image conservatrice du gouvernement AKP sur le rôle des femmes dans la société turque.

Özkan Yorgun est catégorique. Il affirme que vous devez être préparé pour ce genre de traitement “si vous êtes un opposant au gouvernement, un démocrate, si vous êtes une femme, si vous êtes membre de la KESK, ou si vous êtes kurde.”

Le cas de Bedriye Yorgun montre ce qui arrive aux femmes militantes, dit Özkan.

Le procureur demande 45 ans d’emprisonnement, dont 6 inculpations pour “propagande”, des crimes qui impliquent 5 ans chacun et 15 ans pour être membre du KCK.

Les crimes de propagande sont : téléphoner 2 fois à un canal de télévision; écrire un article pour un canal de télévision kurde; écrire un article sur la santé; et soutenir l’éducation dans la langue maternelle, ce qui est illégal en Turquie. Elle a aussi fait un discours sur les droits de la Femme lors de la journée de la femme en 2009.

Aucune évidence démontrée n’a un rapport avec son soi-disant lien avec le KCK.

 

Soutien international européen.

Au moment où Özkan termine son histoire, 27 délégués internationaux arrivent depuis la Belgique, Chypre, le Danemark, la France, la Grèce, l’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni.

Sur le bus aux haut-parleurs, l’adjoint du secrétaire général du syndicat Européen du service public (PSI/EPSU), Jan Willem Goudriaan recueille une clameur d’approbation pour avoir utilisé quelques mots kurdes dans son discours.

Plus tard, dans l’interview, il remarquera que même si la Turquie a signé les conventions de l’Organisation Internationale du Travail, elle affronte plusieurs procès pour les avoir violées.

L’approbation des manifestants augmente encore plus quand Stephen Benedict de la Confédération Syndicale Internationale a partagé les salutations de 175 millions de ses membres.

Regitze Flannov, professeure et membre du conseil exécutif du syndicat de professeurs danois remarque que sans participation syndicale, la Turquie ne sera pas une démocratie forte.

Elle reste préoccupée car en 2011, des membres de la KESK ont été condamnés à de longues peines, même s’ils ont maintenant fait appel.

Le procès commence l’après-midi. Les officiels de la KESK, les délégués et les familles entrent au tribunal.

Les manifestants restent devant le tribunal et crient des consignes de soutien. A 9 heures du soir, après une manifestation de 11 heures, Lami Özgen le président de la KESK, revient et annonce la décision des juges.

Trois des prisonnières restent emprisonnées : Güldane Erdoğan, la secrétaire générale des femmes du syndicat des professeurs du comité local 2 d’Ankara, Eğitim Sen; Güler Eleveren la secrétaire générale de la femme pour le syndicat des travailleurs municipaux, TÜM BEL-SEN; et Bedriye Yorgun qui avait ses 2 fils présents lors du procès.

Bedriye Yorgun et Güldane Erdoğan ont voulu parler en kurde mais cela leur a été refusé. Six des militantes ont été libérées jusqu’au prochain procès des 15 femmes.

La confédération internationale Service Publique International et ses affiliés européens, la Confédération Européenne des Syndicats des services publics, avec la Confédération Internationale des Syndicats, et beaucoup d’autres qui appuient ces femmes, continuent de se mobiliser en défense des ces travailleuses.

Pendant que les bus ramènent les 5000 manifestants dans différentes villes de Turquie, 3 femmes syndicalistes courageuses sont retournées dans leurs cellules d’une prison de haute sécurité turque.

 

Rapport spécial pour Public Services International par Tim Baster et Isabelle Merminod