Un Fonds mondial pour la sécurité alimentaire

Opinions

 

Quand le climat frappe et les récoltes font défaut, comme ce fut le cas cet été dans le Midwest américain, les conséquences peuvent être désastreuses : Il s’ensuit une escalade incontrôlée des prix qui vient exacerber la tension des marchés mondiaux des denrées de base.

La flambée des prix finit, tôt ou tard, par se répercuter sur les marchés locaux.

Dans les pays à faibles revenus – particulièrement ceux qui doivent importer une grande part de leurs denrées alimentaires – les résultats sont catastrophiques : Les plus pauvres ne peuvent plus subvenir à leurs besoins alimentaires de base et, pour comble, ne peuvent pas compter sur une quelconque aide de l’État.

Les pics enregistrés au cours des cinq dernières années dans les prix des denrées alimentaires ont mis en évidence la vulnérabilité du système alimentaire mondial aux moindres chocs d’offre, magnifiés par les réactions en chaîne des acteurs du marché – et comment des secteurs importants de la population peuvent sombrer dans la pauvreté par effet de conséquence.

Ils ont aussi mis en exergue l’injustice d’une protection sociale de base à laquelle près de 80 pour cent des personnes les plus défavorisées dans le monde n’ont pas accès.

L’injustice est d’autant plus criante lorsqu’on considère qu’il faudrait à peine consacrer deux pour cent du PIB mondial pour assurer une protection sociale de base à tous les pauvres du monde.

Il n’en reste pas moins que les défis associés à la prestation de protection sociale ne tiennent pas aux seuls frais opérationnels. Parmi les principaux facteurs de dissuasion pour un grand nombre de pays pauvres, il y a la crainte de mettre en marche des programmes qu’ils peuvent financer aujourd’hui – mais qu’ils ne seront peut-être pas en mesure de financer demain.

En Inde, la National Rural Employment Guarantee Act (loi nationale sur la garantie de l’emploi rural) a, depuis 2005, assuré à tous les membres adultes des ménages ruraux une garantie légale de cent jours d’emploi par an à un taux de rémunération statutaire.

L’Inde et plusieurs autres pays émergents ont pu mettre en place des programmes de ce genre pas seulement en raison de leurs ressources nationales croissantes mais aussi parce qu’il s’agit de pays géographiquement étendus, qui possèdent, pour autant, une diversité propre non négligeable : Les pics imprévus dans la demande d’aide sociale surviennent généralement à un niveau régional plutôt que national ou n’affectent que certains secteurs ou certaines professions bien spécifiques et sont, dès lors gérables, même durant les mauvaises années.

Cependant, la plupart des plus petites économies et, en particulier, celles des pays les moins avancés, ne disposent pas de moyens suffisants pour entreprendre une augmentation des dépenses en matière de protection sociale, telle qu’elle s’impose à la suite de chocs imprévus comme les sécheresses, les inondations, les épidémies ou les hausses subites des prix des denrées de base qui affligent des secteurs entiers de la population et, simultanément, réduisent considérablement les recettes fiscales et les revenus d’exportations de l’État.

Pour rompre ce cercle vicieux, j’ai proposé la création d’un Fonds mondial pour la protection sociale.

Un tel fonds aurait pour fonction première de combler le déficit de financement nécessaire en vue de l’établissement d’un socle de protection sociale au niveau des pays les moins avancés (PMA) ; parallèlement à cela, le fonds permettrait d’assurer ces programmes contre les risques d’une demande excédentaire provoquée par des chocs majeurs, en conseillant les PMA sur les options de réassurance privée appropriées, en subventionnant leurs primes ou en leur servant de réassureur d’ultime recours.

Certains risques sont simplement trop lourds à absorber pour un seul pays – voire une seule organisation internationale : En 2006, le Programme alimentaire mondial a passé un contrat avec le réassureur privé Axa Re lui permettant de garantir l’aide d’urgence aux agriculteurs éthiopiens en cas de périodes de précipitations insuffisantes.

Ainsi, lorsque la sécheresse frappe et la demande d’aide monte en flèche, la couverture de réassurance entre en jeu : Dans de tels cas de figure, les marchés financiers suppléent aux efforts des États et de la communauté internationale.

La logique de la réassurance est d’ores et déjà bien établie – malheureusement, en raison du profil de risque des pays pauvres, où de vastes secteurs de la population sont vulnérables aux mêmes chocs, ceux-ci ne sont pas en mesure d’obtenir une couverture abordable et suffisamment étendue auprès des prestataires privés.

Ces pays nécessitent, en l’occurrence, le soutien d’une instance internationale impartiale qui puisse leur servir de conseiller, de courtier, voire de prestataire de réassurance – pour pouvoir assumer ce rôle critique, l’instance en question dépendra, à son tour, du soutien et du financement de pays plus riches.

En apportant leur soutien au FMPS, les États répondront aux appels de l’OIT, de l’UNICEF, du G20 et de la Banque mondiale en faveur d’une protection sociale mondiale.

Ils rempliraient, par-là même, leurs obligations au plan des droits humains, tout en donnant une nouvelle forme à leur aide au développement, rendant le volume d’aide plus prévisible pour eux-mêmes. Ainsi tout le monde récolterait les effets multiplicateurs dérivés du soutien aux revenus dans les pays en développement et contribuerait à perpétuer l’engagement des Objectifs du millénaire pour le développement au-delà de leur expiration en 2015.

 

Olivier De Schutter est le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Le 9 octobre, il a publié une note d’information intitulée ’Underwriting the poor: a Global Fund for Social Protection’ (Assurer les pauvres : Un Fonds mondial pour la protection sociale) La note d’information était cosignée par Magdalena Sepulveda, rapporteuse spéciale de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.