Libye : Un an plus tard, les migrants africains sont toujours persécutés

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Il y a un an, jour pour jour, le 23 octobre 2011, la guerre civile qui avait fait rage en Libye durant neuf mois touchait à sa fin et le Conseil national de transition (CNT) proclamait la « libération » du pays. Mais, pour d’aucuns, les hostilités se poursuivent.

Et en tout premier lieu, les travailleurs migrants sub-sahariens, qui continuent de faire l’objet de traitements dégradants et xénophobes aux mains de milices armées, et dont la vie est souvent menacée.

Une enquête récente coéditée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Migreurop et Justice sans frontières pour les migrants et migrantes (JSFM) fait toute la lumière sur l’étendue réelle du problème.

Le rapport intitulé « Libye : En finir avec la traque des migrants » se base sur des témoignages recueillis auprès de centaines de migrants enfermés dans huit camps de détention à Tripoli, à Benghazi et dans la région de Djebel Nafoussa.

Il révèle que des milliers de migrants sont arrêtés aux postes de contrôle et même à leur domicile.

Leur seul crime est d’être noir, ce qui leur vaut d’être, encore aujourd’hui, soupçonnés d’être des loyalistes de Kadhafi.

Ils sont arrêtés et enfermés indéfiniment dans des camps de fortune, où ils sont privés de tout accès à une représentation juridique et ont peu de chances d’être libérés.

« Les conditions de vie dans ces camps sont inhumaines et dégradantes », confie Sara Prestianni, membre de Migreurop et de JSFM, qui a visité plusieurs de ces camps en juin.

« Les cellules sont surpeuplées et dépourvues de conditions sanitaires minimales, cependant que les sorties à l’air libre sont exceptionnelles. Et les détenus subissent au quotidien l’arbitraire et la brutalité des gardes. »

 

Les politiques de Kadhafi

Au cours de la révolution libyenne, qui a duré de février à octobre 2011, les africains de peau noire constituaient une cible visible à la fois pour les loyalistes de Kadhafi et les rebelles de l’opposition, qui les accusaient d’être des mercenaires.

Bien que ce fût effectivement le cas d’une petite minorité de combattants provenant du Tchad, du Soudan et du nord du Niger, la majorité des africains subsahariens en Libye sont des migrants économiques qui ont été encouragés à se rendre en Libye dans le cadre de la politique de « portes ouvertes » mise en œuvre par Kadhafi à l’égard des travailleurs migrants.

Parmi eux se trouve également un nombre considérable de demandeurs d’asile provenant des pays de la Corne de l’Afrique, plus particulièrement de la Somalie et de l’Érythrée.

Cependant, comme la Libye n’est pas signataire de la Convention de Genève de 1951 et ne dispose d’aucun système d’asile officiel, ces réfugiés transitent par la Libye pour atteindre l’Europe, où ils espèrent pouvoir accéder « à la protection internationale à laquelle ils ont légalement droit en tant que réfugiés et que la Libye n’est pas en mesure de leur garantir », d’après Messaoud Romdhani, vice-président d’une organisation tunisienne de défense des droits humains qui a également participé à l’enquête.

Avant la guerre, le nombre de travailleurs migrants en Libye était estimé à entre 1,5 et 2,5 millions, sur une population totale de 6,4 millions.

 Un mois après la guerre, l’Organisation internationale des migrations relevait que 778.981 migrants avaient quitté le pays depuis février 2011.

 

Une agression ciblée contre les migrants

Ceux qui demeurent encore dans le pays à l’heure actuelle s’affrontent à une discrimination ouverte.

Un dirigeant de la faction rebelle « Libye Libre » a déclaré à la mission conjointe FIDH-Migreurop-JSFM : « La priorité, à présent, c’est de nettoyer le pays des étrangers et de mettre fin aux pratiques de Kadhafi qui avait laissé entrer beaucoup d’Africains en Libye.

« Nous ne voulons plus de ces gens ici, qui amènent des maladies et des crimes. »

L’hostilité à l’égard des migrants subsahariens ne date pas de la chute de Mouammar Kadhafi.

Quelque 130 africains subsahariens avaient perdu la vie à l’issue d’émeutes raciales survenues à l’automne 2000.

Or Kadhafi avait initialement ouvert la porte à l’immigration en Libye de travailleurs de pays subsahariens, sous couvert d’expansion économique et de fraternité panafricaine.

Toutefois, à partir du moment où la Libye a commencé à forger des liens plus étroits avec l’UE et, en particulier, avec l’Italie, qui demeure l’un des points d’accès les plus transités pour l’entrée en Europe de migrants et de demandeurs d’asile, la Libye a commencé à sévir.

 

Après la révolution

La révolution libyenne a constitué l’un des chapitres les plus sanglants de ce que l’on nomme désormais le printemps arabe.

Or, un an après la chute d’une dictature qui s’était maintenue au pouvoir durant 42 ans, les Libyens restent confrontés à la tâche ardue de la reconstruction de leur pays.

Hormis le fait que les institutions de la société civile sont pratiquement inexistantes en Libye, le CNT peine à mettre sur pied un gouvernement central viable.

De ce fait, les divers groupes et factions rebelles ou "katibas" qui ont aidé à renverser Kadhafi se chargent désormais, elles-mêmes, d’administrer la loi et de maintenir l’ordre dans le pays. »

L’attaque perpétrée le mois dernier contre le consulat des États-Unis à Benghazi, qui a coûté la vie à l’ambassadeur Chris Stevens et à trois autres membres du corps diplomatique, fut un rappel brutal des problèmes qu’affronte la Libye sur la route de la stabilité et de la démocratie.