Chypre: le chantage derrière le sauvetage

 

L’économie chypriote reste dans une incertitude sans précédent, alors que les banques du pays sont fermées depuis le vendredi 15 mars, suite à une décision désastreuse de la zone euro visant à taxer les dépôts des petits épargnants.

À Nicosie, des centaines de citoyen(ne)s faisaient la queue devant les distributeurs de la banque Laiki, où le retrait maximum autorisé était limité à 260 EUR par jour, craignant qu’un «plan de restructuration» cautionné par le gouvernement ne mène à la fermeture imminente de la deuxième banque du pays.

Plus important encore, les transactions bancaires normales, telles que le versement des salaires des travailleurs/euses, les virements aux jeunes faisant des études à l’étranger, les paiements des entreprises, etc. ont été suspendues, de peur que la ruée sur les banques ne paralyse tous les services bancaires et électroniques.

«Les rumeurs disent que la banque Laiki (qui signifie «banque populaire» en grec) ne rouvrira jamais ses portes. Je veux retirer autant d’argent que je peux», a confié Vassiliades, un résident local, à l’agence de presse AFP.

«J’ai presque 60.000 euros sur un compte épargne dans cette banque et dans des caisses de crédit mutuel. Je ne sais pas si je vais récupérer cet argent un jour.»

«Tout se fait en liquide maintenant. Seule une personne qui a le goût du risque accepterait des chèques dans une telle situation», a déclaré le fonctionnaire Phaedon Vassiliades en retirant de l’argent au distributeur d’une banque de la rue Ledra, le haut lieu touristique de Nicosie.

Le jeudi 21 mars, après une téléconférence d’urgence de l’Eurogroupe pour discuter de la situation de Chypre, les ministres des Finances de la zone euro ont annoncé qu’ils étaient disposés à travailler avec Nicosie sur «un nouveau projet de proposition» et que «ensuite, l’UE serait prête à reprendre les négociations relatives à un programme d’ajustement».

Dans la déclaration de l’Eurogroupe, les ministres ont également réaffirmé «l’importance de garantir pleinement les dépôts bancaires inférieurs à 100.000 EUR dans l’Union européenne».

Le 21 mars, les responsables politiques chypriotes ont également organisé des discussions d’urgence afin de mettre en place un «plan B» destiné à éviter l’effondrement financier du pays, après que le gouvernement a massivement rejeté un plan de sauvetage qui aurait taxé tous les comptes bancaires de plus de 20.000 EUR.

 

Les alternatives

Le pays essaie maintenant de trouver des alternatives pour réunir les 5,8 milliards EUR exigés par les créditeurs internationaux en échange d’un plan de sauvetage.

D’après les fonctionnaires, un «fonds de solidarité» sera créé pour regrouper les actifs de l’État avant de lancer une émission obligataire d’urgence.

Le nouveau plan prévoit de taxer plus faiblement les dépôts pour tranquilliser les petits épargnants, de réformer les banques chypriotes touchées par la crise et d’obtenir de l’argent de sources nationales, y compris des caisses de retraite, des réserves d’or et des filiales de banques étrangères établies à Chypre.

Toutefois, le président du parlement, Yiannakis Omirou, a rappelé qu’une taxe révisée sur les dépôts bancaires plus importants, comme en détiennent de nombreux Russes, n’était pas à l’ordre du jour.

Entre-temps, le ministre des Finances chypriote Michalis Sarris a fait son possible pour gagner le soutien de Moscou, suite à son entrevue avec son homologue russe, Anton Siluanov, mercredi dernier. Mais ces efforts n’ont pas porté leurs fruits, et le pays risquait une sortie imminente de la zone euro le lundi 25 mars, date à laquelle la Banque centrale européenne menaçait d’interrompre les apports de liquidités d’urgence aux banques chypriotes en difficulté.

Sans le soutien de la BCE, ces banques manqueront de liquidités et Chypre sera contrainte d’émettre une nouvelle monnaie pour relancer son économie.

La situation a commencé à s’envenimer mercredi dernier, lorsque les législateurs chypriotes ont massivement voté contre une taxe controversée sur les dépôts bancaires, proposée par l’Union européenne et le Fonds monétaire international en échange d’un prêt de 10 milliards EUR (13 milliards USD).

Le président du parlement chypriote Yiannakis Omirou a prié les député(e)s de dire «non au chantage» tandis que la foule en colère appelait à voter «Non» devant le parlement en brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire que d’autres pays européens financièrement dévastés, tels que l’Italie et l’Espagne, pourraient bien être les prochains sur la liste.

«Il n’y a qu’une réponse possible: non au chantage.» C’est ce qu’a déclaré Omirou, du parti socialiste EDEK, aux député(e)s lors d’une réunion d’urgence.

«Nous devons exiger que cet accord soit renégocié. Si nous approuvons cette taxe, aucun investisseur étranger ne voudra laisser son argent chez nous», a-t-il mis en garde.

 

Risque de dépression

Les turbulences qui agitent Chypre obligent la zone euro à envisager de perdre l’un de ses dix-sept membres, un scénario qui risque d’avoir une incidence considérable, pas seulement pour le reste de l’Europe, mais pour l’ensemble de l’économie mondiale.

Cependant, les pays d’Europe du Nord, notamment l’Allemagne, ainsi que le FMI, annoncent qu’ils ne peuvent aider Chypre que dans une certaine mesure.

D’après eux, le secteur bancaire de l’île est artificiellement gonflé par la présence de «capitaux illicites russes et ukrainiens» et il faut mettre un terme à cela.

Les contribuables de l’UE et les membres du FMI expliquent qu’ils consentent à éponger uniquement les dettes de l’État chypriote et de sa population, mais qu’ils n’ont pas vocation à secourir des oligarques étrangers.

De l’autre côté, les autorités chypriotes suggèrent qu’une réduction drastique imposée à tous les dépôts étrangers entraînerait une grave dépression, étant donné qu’une importante partie de la main-d’œuvre du pays travaille dans le secteur financier.

Chypre n’a pas de production agricole ou industrielle significative lui permettant de soutenir son niveau de vie.

Le compromis qui a été trouvé entre ces deux positions est le pire.

Lors d’une difficile réunion de l’Eurogroupe le vendredi 15 mars, qui a duré 10 heures, les ministres des Finances de la zone euro ont décidé de taxer les dépôts des petits épargnants afin de maintenir au minimum les taxes sur les importants dépôts étrangers.

C’est cette décision qui a soulevé un tollé et une ruée immédiate vers les banques qui, en conséquence, sont restées fermées depuis.

L’avenir de Chypre doit être décidé le lundi 25 mars, date à laquelle, ironie du sort, les Grecs-Chypriotes célèbrent le soulèvement des Grecs contre l’Empire ottoman en 1821.