Quand le Venezuela se rend aux urnes

 

À quelques jours des élections et alors que les pronostics donnent pour favori Nicolas Maduro – le dauphin du défunt président Hugo Chavez – l’héritage de Chavez fait débat.

Un accent particulier est mis sur ses politiques économiques, son bilan au plan des libertés civiles et ce qu’il laisse aux Vénézuéliens ordinaires.

Comme c’est souvent le cas, les opinions sont idéologiquement polarisées. Incontestablement, Chavez a lourdement investi dans les programmes sociaux pour les pauvres, ce qui lui a valu l’adulation auprès de nombreux secteurs de la société.

La pauvreté a été considérablement réduite, l’accès aux soins de santé s’est élargi et les taux de scolarisation ont progressé.

Le maintien de ces acquis dans le cas d’une continuation des politiques économiques de Chavez est une question qui suscite des débats animés.

Dans le même temps, le Venezuela reste confronté à une pénurie chronique de logement et un taux de criminalité vertigineux.

Dans des sondages d’opinion réalisés l’année passée, les citoyens ont indiqué que le crime était de loin le problème le plus pressant que connaissait le pays, suivi du chômage.

Il y a lieu de noter que Chavez a été largement critiqué pour avoir muselé la dissidence, de même que pour avoir dominé et politisé d’autres branches du gouvernement.

C’est là une autre question qui sera à l’ordre du jour des élections de ce dimanche.

Vu l’incidence importante qu’aura l’issue de ce scrutin sur les conditions économiques et sociales futures du Venezuela, il est important de comprendre comment fonctionnera l’élection.

La façon dont les candidats, responsables gouvernementaux et électeurs opèrent à l’intérieur de la structure d’un cadre électoral permet de se faire une idée des attitudes plus générales vis-à-vis du progrès de la démocratie et de la liberté.

Au Venezuela, les élections se déroulent en un seul jour et le vote n’est pas obligatoire comme dans d’autres pays de la région.

Le registre des électeurs sera identique à celui dressé il y a près d’un an. Cela ne devrait, toutefois, pas poser de problème selon la CNE (commission électorale), qui évoque un taux extraordinaire de 95 pour cent de citoyens éligibles inscrits sur la liste électorale.

Ceci donne au Venezuela l’un des plus haut taux d’électeurs inscrits au monde, un tour de force que d’aucuns attribuent aux efforts acharnés de l’administration Chavez pour atteindre et encourager la participation de toutes les couches de la société, et leur délivrer des documents d’identité – que ce soit à des fins politiques ou autres.

 

Les mécanismes

Les règles techniques auxquelles seront soumises ces élections seront pratiquement identiques à celles des présidentielles d’octobre.

L’innovation la plus importante et la plus controversée des élections de 2012, qui sera à nouveau utilisée ce dimanche, concernait le recours au Système d’identification automatisée, un processus biométrique par lequel les votants certifient leur identité au moment de se rendre à la machine à voter en y saisissant à la fois leur numéro d’identification et leurs empreintes digitales.

Si la/le votant(e) exécute ces opérations correctement et son identité est vérifiée, la machine s’activera pour recevoir son vote.

Après avoir voté sur le système informatisé, la/le votant(e) se verra délivrer un reçu imprimé sur papier sur lequel ses choix auront été indiqués. Celui-ci sera déposé dans une urne séparée.

La préoccupation que suscite ce système tient au fait que les machines puissent enregistrer les empreintes digitales et que le gouvernement puisse ainsi identifier les choix des votants et utiliser cette information à leur encontre, comme il l’aurait déjà fait et continuerait à le faire dans le cas de la liste divulguée en 2004 qui reprenait les noms des partisans d’une révocation du président Chavez.

Bien qu’il soit, en réalité, techniquement difficile d’apparier chaque bulletin avec un électeur, l’intégration des données biométriques personnelles au processus de suffrage a, tout naturellement, éveillé des suspicions. L’existence-même de cette crainte fait, elle aussi, partie de l’héritage laissé par Chavez.

Les personnels des bureaux de vote sont désignés par tirage au sort et chaque candidat a droit à un observateur par bureau de vote.

Une fois le scrutin clos, un certain nombre de bureaux de vote choisis par tirage au sort seront soumis à un audit appelé « vérification citoyenne ».

Les reçus imprimés sont contre-vérifiés pour chaque machine à voter. Les résultats de chaque bureau de vote seront affichés sur le site web de la CNE en guise de troisième vérification de comptage.

 

« Le meilleur du monde »

Le système électoral vénézuélien a de quoi susciter l’admiration. Ce n’est pas pour rien que l’ancien président des États-Unis, Jimmy Carter, a qualifié le processus électoral du Venezuela comme « le meilleur du monde ».

Le degré de participation citoyenne, tous secteurs de la société confondus, est pratiquement inédit dans le reste du monde et en constitue probablement l’aspect le plus notable.

Le taux d’inscription est sans doute aussi élevé qu’il ne pourrait l’être et le pourcentage de participation est, lui aussi, très bon – supérieur à 80 pour cent en octobre.

Le fait d’avoir désigné au hasard des citoyens ordinaires dont l’identité est connue d’avance de tous les partis pour assumer la responsabilité du déroulement du scrutin est, en soi, une façon d’attester de la crédibilité du processus électoral et d’inspirer la participation citoyenne.

Le grand nombre de bureaux de vote – passé de 20202 en 1998 à 38239 en 2012 – facilite la participation des citoyens et plus particulièrement des communautés pauvres, étant donné que la plupart des nouveaux bureaux ont été installés dans des zones défavorisées.

Le processus est, par ailleurs, relativement transparent, conformément aux principes démocratiques.

Les diverses vérifications au dépouillement des votes, y compris la délivrance aux observateurs de chaque parti d’un relevé imprimé du décompte électronique de chaque machine et la publication en ligne des résultats de chaque bureau de vote sont dignes de mention et devraient s’avérer extrêmement efficaces à l’heure d’assurer la confiance dans les résultats du scrutin.

L’audit effectué sur 53 pour cent des tables de vote choisies au hasard est particulièrement louable et constituerait un exemple pour d’autres pays.

 

Critiques

Que le Venezuela soit doté d’un système électoral techniquement supérieur ne signifie pas forcément que les élections au Venezuela soient totalement équitables.

La critique la plus importante et la plus récente qu’ont suscité ces élections concerne l’utilisation abusive par le parti au gouvernement des ressources publiques, notamment l’exploitation des médias de masse publics et ce qui est peut-être plus inquiétant encore, le recours possible à l’armée et à d’autres instances publiques pour mobiliser l’électorat.

On peut difficilement parler de bon présage quand, d’après le quotidien britannique The Guardian, le ministre de la Défense de l’actuel gouvernement aurait explicitement dit aux Vénézuéliens, peu après le décès de Chavez, de voter Maduro et d’infliger « aux fascistes de l’opposition une bonne raclée » aux urnes.

Il a aussi déclaré à la télévision de l’État que la « mission » des forces armées était de mettre Maduro à la présidence.

D’après une enquête de Transparency International, le recours massif et disproportionné aux médias publics par le camp Chavez en 2012 se serait poursuivi lors de la campagne électorale de 2013.

De nombreux articles de presse parlent de diffusion en toute impunité et en continu par le gouvernement de propagande pro-Maduro.

En 2012, Chavez avait largement tiré parti de son droit de transmettre sur les ondes des allocutions présidentielles et de la propagande gratuite concernant les institutions gouvernementales et son successeur par intérim, Nicolas Maduro – dont le mandat ne manque pas de susciter quelque controverse – s’est également servi des médias publics pour asseoir sa présence et disséminer son message.

Une autre crainte qui resurgit à l’approche de cette élection est celle qui avait affleuré en 2012 avec les allégations de recours aux ressources publiques aux fins de mobiliser l’électorat.

Le directeur de la CNE a, lui-même, indiqué récemment que l’élection sera de nature « profondément antidémocratique » en raison de conditions inégales entre les candidats.

Un autre problème concerne la commission électorale elle-même.L’opposition a affirmé – non sans fondement – que celle-ci est partiale.

D’après The Carter Center, « sur ses cinq recteurs actuels, quatre, dont son président, ont des liens plus ou moins étroits avec le gouvernement Chavez, cependant qu’un d’entre eux est lié à l’opposition. »

Ceci est d’autant plus problématique qu’en vertu des normes internationales, pour être crédible, une autorité électorale indépendante est considérée comme un pilier de respect des principes démocratiques lors des élections.

Enfin, il y a le problème du manque d’observation indépendante et large du processus électoral.

Depuis 2007, le gouvernement a décidé qu’il n’autoriserait pas une observation internationale mais seulement un «accompagnement international » limité au jour des élections uniquement.

Comme l’a souligné The Carter Center, de telles activités sont purement symboliques et sont contraires à la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections à laquelle ont souscrit la plupart des groupes d’observation internationaux pour assurer une observation et une évaluation cohérentes et sérieuses des élections.

De fait, le Carter Center a refusé de participer à un tel « accompagnement » en 2012.

Une telle approche ne fait qu’apporter de l’eau au moulin des critiques qui veulent jeter le discrédit sur le système.

Du côté positif, la campagne d’opposition prévoit de déployer des agents sur le terrain en nombre suffisant pour couvrir la majorité des bureaux de vote.

S’il représente, à plus d’un titre, un modèle pour le reste du monde, le système électoral vénézuélien comporte néanmoins certains aspects extrêmement inquiétants comme le recours abusif à l’appareil d’État aux fins de remporter l’avantage électoral durant la période de campagne et la politisation de la commission électorale.

De telles pratiques menacent de nuire à la crédibilité d’un système électoral dont le Venezuela pourrait autrement s’enorgueillir, et à juste titre.

Pour les experts du Bureau de Washington pour l’Amérique latine, la participation constitue la grande inconnue pour ces élections.

C’est donc le jour-même des élections, quand la machine mobilisatrice entrera en action que nous verrons comment celui qui sera probablement le prochain président du Venezuela, Nicolas Maduro, abordera la question des valeurs démocratiques.

Cet abus de pouvoir par le gouvernement a constitué l’un des aspects regrettables de la présidence d’Hugo Chavez.

Son parti perpétuera-t-il ce processus antidémocratique aux prochaines présidentielles?

L’issue en dira long sur l’avenir des libertés civiles au Venezuela.

Alors que la polarisation du climat électoral expose le système électoral vénézuélien à une remise en cause pour certains, peut-être faudra-t-il attendre le jour-même de l’élection pour voir surgir l’espoir d’une adhésion future du pays aux principes démocratiques.

Pour suivre les élections, rendez-vous sur http://venezuelablog.tumblr.com/