L’OIT doit soutenir le combat des travailleurs égyptiens pour la liberté

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La communauté internationale a certes considéré que la condamnation de 43 militant(e)s d’ONG en Égypte la semaine dernière était inacceptable, mais elle accorde bien peu d’intérêt au sort des travailleurs/euses sous le régime du président Mohamed Morsi.

Les militant(e)s des ONG ont été accusés d’œuvrer illégalement et d’utiliser des fonds étrangers pour fomenter des troubles en Égypte.

Ils/elles ont été jugés par contumace et condamnés à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans. La plupart d’entre eux/elles ont déjà quitté le pays mais ce procès a attiré l’attention des médias internationaux et de la diplomatie américaine, en partie parce qu’il y avait 16 Américains parmi les prévenu(e)s.

Mais pour les nombreux travailleurs/euses égyptiens qui essaient de s’organiser, d’obtenir de meilleurs droits et conditions de travail, la réponse des forces de sécurité est beaucoup plus dure et rarement couverte par les médias traditionnels.

Ce jeudi, la question de la liberté syndicale en Égypte sera discutée à l’OIT, à Genève; ce sera peut-être le moment de lever le voile sur les nombreuses violations des droits du travail perpétrées depuis trop longtemps dans le pays, avant et après la révolution.

Le nombre de manifestations a doublé depuis l’élection de Morsi en juin 2012 et quelque 650 travailleurs/euses ont été licenciés en raison de leurs activités syndicales.

Les syndicats font l’objet de multiples attaques, notamment chez les infirmiers/ères, les chauffeurs de taxi, les enseignant(e)s, les électricien(ne)s et les dockers. Dans la plupart des cas, les revendications proviennent des nouveaux syndicats indépendants, que le gouvernement n’a toujours pas reconnus officiellement.

En septembre dernier, sept infirmiers employés à l’hôpital universitaire Zagazig ont été arrêtés pour avoir lancé un appel à la grève après l’échec des négociations avec le directeur de l’hôpital.

Trois enseignant(e)s, Baheya Yassin, Abdel Latiff Mahmoud et Ayman El Beyaly, ont été déférés devant un tribunal disciplinaire pour avoir participé à une grève des enseignant(e)s, qui avait été massivement suivie en septembre.

Plus de 5000 employé(e)s du secteur de l’enseignement et de l’université se sont réunis au Caire pour une journée d’action, afin de demander une augmentation de salaire pour les enseignant(e)s d’au moins 3000 EGP (environ 400 USD), soit trois fois le salaire actuel moyen.

Les manifestant(e)s appelaient en outre au limogeage des fonctionnaires corrompus du ministère de l’Éducation et demandaient des contrats d’emploi permanents pour les travailleurs/euses précaires.

En octobre 2012, les forces de sécurité ont arrêté 14 chauffeurs de taxi qui manifestaient devant le bureau de l’Administration générale de la circulation pour demander la baisse des taxes et des amendes.

En mai dernier, au Caire, la police s’en est pris violemment à des manifestant(e)s qui participaient à un sit-in pacifique devant le siège d’une entreprise de distribution d’électricité pour demander la libération de 17 travailleurs/euses, arrêtés la semaine précédente lors d’une manifestation contre d’importantes baisses de salaire.

 

L’enjeu du secteur portuaire

La répression n’épargne pas le secteur des transports, qui revêt une importance stratégique pour l’économie égyptienne.

Le gouvernement vise à investir et à développer des projets dans la région du canal de Suez pour faire de l’Égypte une plateforme internationale de transport.

Il n’est donc guère surprenant que le contrôle des dockers représente un enjeu si capital.

En septembre, cinq ouvriers d’Alexandria Container & Cargo Handling Company (ACCHC), entreprise sous-traitante des ports maritimes égyptiens, ont été accusés d’incitation à la grève et condamnés à trois années de prison.

Ahmed Sadek, Yousri Maaruf, Ashraf Ibrahim, Mohamed Abdel Moneim et Essam El-Din Mohamed Mabrouk ont fait appel du verdict et attendent désormais leur jugement, prévu dans le courant du mois.

En mars 2012, des centaines de dockers ont organisé une grève pour demander le renvoi du conseil d’administration de l’entreprise, soupçonné de corruption, et l’annulation du bail des docks du port d’Alexandrie, qui a été signé avec des sociétés de services portuaires chinoises et d’autres sociétés étrangères.

Le syndicat indépendant des travailleurs/euses de l’entreprise de fret avait déjà déposé une plainte, invoquant le caractère «illégal» du contrat de bail qui allait priver l’autorité portuaire égyptienne de plusieurs millions de livres de recettes, selon le journal Al-Ahram.

«Ce contrat de bail a fait perdre au secteur public et à l’ACCHC quasiment 41 pour cent des recettes annuelles, depuis qu’ils ne gèrent plus les principales lignes de navigation et les principaux terminaux» précise l’Egyptian Democratic Labour Congress (Confédération démocratique égyptienne du travail – EDLC), qui compte plus de 271 syndicats indépendants.

 

Faux syndicats, un commerce florissant

La reconnaissance d’organisations telles que l’EDLC et la récente Egyptian Federation of Independent Trade Unions (Fédération égyptienne des syndicats indépendants – EFITU) est la seule façon d’améliorer la situation, qui non seulement porte préjudice aux travailleurs/euses mais empêche tout dialogue social, donc toute possibilité de développement social durable.

L’EFITU a été fondée à la suite des manifestations qui ont commencé sur la place Tahrir, quelques jours après les soulèvements, et elle semble représenter un vrai mouvement syndical indépendant.

Les dirigeant(e)s sont élus démocratiquement dans le respect de l’équilibre entre hommes et femmes.

D’après Fatma Ramadan, qui fait partie des membres fondateurs de l’EFITU, le nouveau gouvernement adopte les mêmes politiques économiques que Moubarak, et la violence est aujourd’hui considérée comme la seule manière d’empêcher la montée du mouvement syndical.

D’autres dirigeant(e)s, tels que Rahma Refaat, conseillère juridique à l’EDLC, se battent pour les nombreux travailleurs/euses exclus de toute forme d’assurance sociale, comme les jeunes femmes âgées de 16 à 20 ans, par exemple, qui travaillent dans le secteur du prêt-à-porter dans des conditions très pénibles, à raison de 12 heures par jour, pour un salaire mensuel de 200 EGP (environ 30 USD).

Bien que l’Égypte ait ratifié les conventions fondamentales de l’OIT sur la liberté syndicale et le droit à la négociation collective au milieu des années 1950, les syndicats libres sont encore interdits et il n’y a toujours pas de réelle alternative à l’Egyptian Trade Union Federation (Fédération des syndicats égyptiens – ETUF), contrôlée par l’État.

Toute tentative de mise en œuvre de la liberté syndicale a échoué jusqu’à présent. L’ancien ministre du Travail, l’universitaire Ahmed Borai, a démissionné fin 2011 après que le gouvernement de transition dirigé par les militaires a refusé la reconnaissance légale aux syndicats indépendants.

Cependant, le refus d’accorder des droits fondamentaux du travail cache des raisons économiques plus générales.

Selon une analyse détaillée réalisée par Bloomberg, c’est la docilité absolue du syndicat d’État qui, conjuguée à une politique de bas salaires et de faibles protections sociales, a en partie contribué à la croissance de l’Égypte avant la crise de 2008 et aux investissements étrangers des États-Unis, de l’Europe et du Golfe persique.

 
Les chameaux de l’ETUF

Cependant, les dirigeant(e)s de l’ETUF ne se montraient dociles qu’avec le gouvernement et les grandes puissances économiques.

Un ancien dirigeant du syndicat, Ismail Fahmy, est poursuivi pour le rôle qu’il a joué dans l’affaire dite de la «Bataille du chameau», survenue en février 2011.

Il s’agissait d’une attaque délibérée contre les manifestant(e)s, lors de laquelle les partisans de Moubarak ont fait violemment irruption dans un sit-in sur la place Tahrir à cheval et à dos de chameau, tuant douze personnes.

Le mois dernier, la Haute Cour égyptienne a rejeté l’appel formulé par les procureurs.

Les prévenus ont été reconnus innocents des accusations d’homicide et de tentative de meurtre.

«Les familles des victimes ont réagi avec colère à la décision de la cour d’appel, qui est définitive et ne peut faire l’objet d’aucun nouveau jugement» a déclaré Al Jazeera.

Morsi, pour montrer sa volonté réformiste, a remplacé certains membres de l’ancien appareil syndical par des dirigeants plus jeunes.

Le président de l’ETUF à l’époque de Moubarak, Ahmad Abd al-Zahir, a ainsi été remplacé par al-Gibali al-Maraghi.

«Le 24 décembre [2012], le président Morsi a nommé al-Maraghi au Conseil de la Choura, la chambre haute du parlement, ce que de nombreuses personnes ont considéré comme une récompense pour avoir travaillé avec les Frères musulmans», révèle Sada, un webzine dédié aux réformes politiques dans le monde arabe.

D’autres responsables syndicaux sont toujours en place et sont soupçonnés d’entretenir des liens étroits avec les forces de sécurité, ce qui leur permet de continuer de surveiller de près les travailleurs/euses et les dissident(e)s.

«L’ETUF n’a pas de légitimité et doit être dissous parce qu’il est obligatoire d’y adhérer – ce qui est contraire aux règles syndicales – et parce qu’il a été prouvé que des décisions de justice sont intervenues dans ses élections et que [ses responsables] ont pris part à des actions dirigées contre la révolution», affirme Kamal Abbas, un autre militant égyptien expérimenté actif au sein du réseau Democracy at Work.

Tant que la communauté syndicale internationale – c’est-à-dire l’Organisation internationale du travail et la Confédération syndicale internationale – n’apportera pas de soutien significatif, en condamnant ouvertement les violations des droits du travail et l’attitude des dirigeant(e)s du syndicat d’État, les choses ne changeront pas en Égypte.

L’ETUF va continuer de prélever des cotisations sur les salaires de millions de travailleurs/euse et, pendant ce temps-là, les syndicats indépendants n’auront pas la possibilité de demander à un employeur, quel qu’il soit, de déduire les cotisations syndicales des salaires et, par conséquent, ne pourront pas survivre.

Cette semaine, la conférence de l’OIT peut fournir l’occasion idéale d’apporter le changement que les travailleurs/euses égyptiens attendent depuis si longtemps.

 

Avec la collaboration de Deena Gamil