Un nouveau rapport dévoile la mascarade de l’industrie de la RSE

 

Suite aux vastes campagnes de syndicalisation ouvrière aux États-Unis dans les années 1930 et 1940, les travailleurs qui adhéraient désormais à des syndicats formaient une masse critique suffisante pour que leurs salaires leur garantissent une sécurité d’emploi et un niveau de vie décent.

La majorité d’entre eux étaient employés directement par des fabricants.

Et lorsque ces fabriques ont commencé à recourir à des ateliers de sous-traitance, la force organisée des travailleuses et travailleurs leur a permis de persuader les employeurs d’adopter des mesures critiques pour la protection de leurs emplois.

 

Comme le relate un nouveau rapport de la confédération syndicale étasunienne AFL-CIO intitulé Responsibility Outsourced (responsabilité sous-traitée), la clé se trouvait dans le « jobbers agreement » (convention sur les travailleurs à la tâche).

Chaque fabricant ou marque ne pouvait passer commande qu’auprès de fournisseurs syndicalisés.

Ce qui garantissait à ces derniers un volume de travail constant leur permettant d’assurer un emploi permanent à leurs travailleurs.

Le recours à un nouveau fournisseur n’était autorisé que si les fournisseurs existants affichaient un carnet de commandes plein.

Par ailleurs, les fabricants étaient tenus de payer un prix suffisamment élevé à leurs fournisseurs pour permettre à ceux-ci de garantir les salaires conventionnels.

Puis, l’édifice s’est écroulé quand les marques étasuniennes ont fermé leurs fabriques et écumé le monde à la recherche de fournisseurs pouvant produire des vêtements à une fraction du coût.

L’Europe a connu un processus identique. Et le monde s’en trouve désormais profondément transformé.

D’après le rapport, « l’emploi industriel a émigré de pays dotés de lois, d’une négociation collective et d’autres systèmes permettant de limiter les dangers sur les lieux de travail vers des pays avec des législations inadéquates et mal appliquées et des relations d’emploi précaires. »

Cette migration a été facilitée par la négociation d’accords commerciaux favorables aux entreprises garantissant aux biens provenant de ces fabriques un accès sans entraves aux marchés américains et européens et mettant, simultanément, la pression sur les pays en développement pour y asseoir les droits des investisseurs étrangers, ainsi qu’un environnement favorable aux entreprises basé sur des bas salaires, une application souple des protections du travail et un climat hostile aux syndicats.

Le résultat ?

Des incendies comme celui de l’usine Ali Enterprises au Pakistan en 2012, où 300 personnes ont péri dans les flammes – ce qui en fait le pire incendie industriel de l’histoire.

Mais ce cas n’est pas isolé, loin s’en faut.

L’année dernière, lors d’un incendie dans la fabrique de vêtements Tazreen, au Bangladesh, des travailleuses se sont jetées des fenêtres pour échapper aux flammes, parce que les issues étaient verrouillées.

La plupart d’entre elles n’ont pas survécu à la chute, subissant un sort similaire à celui des travailleuses qui ont péri un siècle plus tôt dans l’incendie tristement célèbre de l’usine Triangle Shirtwaist, à New York, en 1911.

Dans l’usine Foxconn, en Chine, où sont assemblés les iPads et les iPhones, la pression au travail a conduit à une vague de suicides d’employés depuis 2008.

Pas bon du tout pour l’image de marque de WalMart, dont les vêtements étaient cousus chez Tazreen, ni pour celle d’Apple, dont les appareils sont assemblés chez Foxconn.

 

L’écran de fumée des relations publiques

Il n’en demeure pas moins que la stratégie employée par la plupart des grands fabricants consistait à ne pas améliorer ces conditions.

Ils étaient particulièrement réticents à reconnaître des syndicats des travailleurs qui prendraient en charge la surveillance et l’application des accords souscrits garantissant des salaires décents et des procédures de sécurité qui ne mettraient pas en danger la vie des travailleurs.

À la place, les grandes marques « ont aidé à engendrer une industrie de la responsabilité sociale d’entreprise (RSE) et de l’audit social estimée à 80 milliards de dollars », signale le rapport Responsibility Outsourced.

« Or la « régulation privée » des chaînes de production internationales au cours des deux dernières décennies présente des similitudes inquiétantes avec l’autorégulation financière qui s’est soldée par l’échec des plus spectaculaires que nous connaissons… ».

Le rapport accuse cette industrie de la RSE d’« avoir contribué à maintenir des salaires bas et des conditions de travail précaires, tout en fournissant un écran de fumée pour préserver l’image de marque des fabricants. »

Pour étayer sa conclusion, le rapport examine une série d’expériences-clés.

S’agissant d’Ali Enterprises, par exemple, l’un des deux principaux acteurs dans le domaine de la RSE, Social Accountability International, a sous-traité ses services auprès de la firme italienne RINA.

« Au Pakistan, RINA a, à son tour, fait appel à une firme locale -RI&CA- qui a délivré un certificat de conformité à Ali Enterprises en août 2012.

Pendant deux ans, c’est par téléphone interposé et à travers des réunions tenues en dehors du Pakistan que RINA a effectué sa surveillance. Près de 300 travailleurs sont morts dans un incendie survenu deux semaines après la certification », dénonce le rapport.

Toujours d’après le même rapport, le recours au processus de RSE ne se limite pas à l’industrie de la confection.

Dans les Plantations Dole aux Philippines, le management (avec l’aide de l’armée philippine) a remplacé le syndicat des travailleurs Amando Kadena-National Federation of Labour Unions-Kilusang Mayo Uno par un syndicat maison.

Dans le même temps, il s’avère que Dole, qui disposait d’un siège au conseil d’administration de SAI, a obtenu le certificat de conformité à la norme SA8000.

Subséquemment, les salaires ont baissé et Dole a commencé à remplacer ses employés permanents par de la main-d’œuvre temporaire.

En ce qui concerne le géant chinois Foxconn, le rapport signale : « Quand elle a vu son image de marque compromise par les suicides de ses employés, des accidents mortels et les conflits du travail dans ses usines, elle a décidé de recourir à la FLA [Fair Labor Association, autre géant de la RSE partial envers les entrepreneurs].

La FLA a procédé à l’inspection des usines Foxconn, après avoir encaissé des droits d’enregistrement à hauteur de 250000 dollars.

D’entrée de jeu, la FLA a salué Foxconn dans la presse, avant-même que les inspections n’aient été bouclées. Elle a, par la suite, publié un rapport modérément critique avant d’insister, quelques mois plus tard, que Foxconn était en bonne voie pour résoudre ses problèmes au plan des droits des travailleurs. »

Cependant, bien peu a changé pour les travailleurs.

Quand 1000 travailleurs se sont mis en grève dans l’usine Foxconn en 2013, d’après des témoins, l’entreprise aurait eu recours à la police antiémeute, aux canons à eau et à la violence physique pour réprimer les grévistes.

 

Une autre approche

Le rapport Responsibility Outsourced se conclut par un examen de modèles alternatifs pouvant contribuer à améliorer les conditions de travail.

Il attire notamment l’attention sur les accords-cadres internationaux entre des fédérations syndicales internationales et des multinationales comme une approche particulièrement efficace.

« Parce qu’ils ne sont pas unilatéraux mais négociés par les travailleurs, ils représentent un progrès par rapport aux codes d’entreprises et renferment des engagements contraignants pour les entreprises à respecter les réglementations internationales du travail et le droit national. »

D’après le rapport, une autre approche possible se présente sous forme de certaines réglementations fédérales adoptées par le Congrès des États-Unis, comme le Dodd-Frank Act visant la réforme des pratiques financières de Wall Street.

Au niveau européen, il cite comme exemple le protocole sur la liberté syndicale conclu entre des syndicats indonésiens et des marques internationales d’équipements sportifs, en collaboration avec IndustriALL et la fédération syndicale européenne.

Le Worker Rights Consortium et United Students Against Sweatshops ont mis au point une initiative appelée Designated Supplier Program ou « programme de fournisseur désigné » dans le cadre duquel les universités participantes ne s’approvisionnent qu’auprès de marques qui paient à leurs fournisseurs des prix leur permettant de garantir un salaire vital et où les travailleurs ont le droit de s’organiser.

Suite à l’incendie de Tazreen, un accord contraignant a été élaboré par IndustriALL, le WRC et d’autres ONG de défense des droits des travailleurs pour la prévention de nouveaux incendies. Celui-ci est fondé sur la garantie du droit des travailleuses et travailleurs de s’organiser et le respect des normes de sécurité.

Certaines entreprises comme PVH Corp. et Tchibo y ont d’ores et déjà souscrit.

Cependant, WalMart et Sears s’y sont non seulement refusées mais sont allées jusqu’à refuser d’accorder des indemnités aux victimes de l’incendie de Tazreen.

Pour conclure, le rapport mentionne aussi l’impact potentiel que pourrait avoir le recours aux 11 trillions de dollars investis dans les actions des entreprises via les caisses de retraite de travailleurs en tant que levier pour contraindre les entreprises à modifier leur conduite.

Dans le même temps, il pose un regard sceptique sur des programmes plus corporatistes comme Better Work et l’idée d’une réforme des processus RSE financés par les employeurs.

En fin de compte, conclut Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, « c’est à travers la liberté syndicale et la syndicalisation que les travailleurs ont la meilleure chance de faire valoir leurs intérêts. »