Une question taraude l’Argentine : où est Santiago Maldonado ?

Une question taraude l'Argentine : où est Santiago Maldonado ?

L’Argentine se dévoue corps et âme à la cause de Santiago Maldonado. Image du 1er septembre dans la capitale argentine de Buenos Aires. Même si elle ne constitue pas la première disparition forcée survenue en Argentine depuis le rétablissement de la démocratie, la disparition de Maldonado souligne la violence persistante dont sont victimes les activistes dans ce pays et dans toute la région.

(Lucía He)

Ce vendredi 1er septembre, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Buenos Aires. Des organisations de défense des droits de l’homme, des groupes politiques et des milliers de citoyens se sont rassemblés sur la Place de mai, avec une question simple, mais sans équivoque : où est Santiago Maldonado ?

Ce jeune artisan âgé de 28 ans avait été aperçu pour la dernière fois exactement un mois auparavant lorsque des membres de la Gendarmerie nationale argentine avaient expulsé un groupe d’activistes et de membres de la communauté mapuche des terres qu’ils occupaient sur le territoire de Benetton, la société italienne de vêtements.

Depuis lors, les questions quant au sort de Santiago tiennent des milliers d’Argentins en haleine, ont renforcé la division politique du pays et ont ravivé un souvenir douloureux qui hante encore les Argentins : les milliers de disparitions forcées survenues au cours de la dictature militaire.

Maldonado s’était rendu dans le sud du pays pour manifester aux côtés du groupe Mapuche Pu Lof en Resistencia, un groupe de familles qui revendique depuis des années la restitution de ses terres ancestrales. Un grand nombre de ces terres sont désormais la propriété du groupe Benetton, le plus grand propriétaire foncier privé d’Argentine.

Cette occupation qui dure depuis près de deux ans a été accompagnée d’expulsions violentes ainsi que de l’incarcération du dirigeant de la communauté Pu Lof, Facundo Jones Huala.

Dans la matinée du 1er août, des membres de la gendarmerie, qui relève du ministère de la Sécurité nationale, interviennent sur un barrage organisé par des membres de la communauté mapuche sur une section de la Route nationale 40 dans la province de Chubut.

Selon des témoins et des proches, Maldonado participait à cette manifestation lorsqu’il fut arrêté, frappé puis emmené dans un camion de gendarmerie. En dépit de ces allégations, qui indiqueraient une « disparition forcée  » de Maldonado, le Gouvernement national a nié la complicité de la gendarmerie à plusieurs reprises.

La ministre de la Sécurité du pays, Patricia Bullrich, a déclaré publiquement à plusieurs reprises qu’elle était « fermement convaincue que la gendarmerie n’avait pas arrêté Maldonado » et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour étayer cette version des faits (à ce jour, il n’existe aucune preuve publique attestant avec certitude de la participation de Maldonado à la manifestation).

Par ailleurs, le président Mauricio Macri ne s’est exprimé qu’une seule fois sur le sujet au cours du premier mois de la disparition de l’activiste : « Nous travaillons d’arrache-pied pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, » a-t-il déclaré.

Cette attitude a suscité des critiques de divers secteurs de la société qui estiment que le Gouvernement s’attache davantage à défendre le personnel de la gendarmerie plutôt qu’à retrouver Maldonado.

« Malheureusement, les autorités nationales ne se sont pas montrées à la hauteur des circonstances et, tout au long de ce mois, elles ont généré un éparpillement d’hypothèses, peu de collaboration avec l’hypothèse principale relative à la responsabilité de la gendarmerie ainsi qu’un traitement particulièrement troublant de la famille de Santiago Maldonado, » déclare Gabriela Kletzel, directrice du groupe de travail international du Centre d’études juridiques et sociales (CELS), une organisation non gouvernementale argentine de défense des droits de l’homme, qui suit cette affaire.

« En essence, les autorités ont fait le contraire de ce que l’on pourrait attendre de leur part si elles cherchaient réellement à retrouver en vie une personne disparue. »

Une enquête irrégulière

De nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ont exigé du Gouvernement qu’il mène une enquête impartiale afin de localiser Maldonado. Le Comité des disparitions forcées des Nations Unies estime que cette disparition nécessite « une stratégie exhaustive et globale pour la recherche et la localisation » de Maldonado.

Toutefois, des proches et des organisations ont dénoncé le fait que l’enquête en cours sur la disparition forcée de Maldonado a été entachée d’irrégularités et de retards inexpliqués.

« Deux enquêtes judiciaires sont à présent en cours. Il s’agit d’une requête d’habeas corpus, d’une part, et d’une enquête ouverte dans le cadre de disparitions forcées de personnes, d’autre part, » explique Kletzel.

« [Cependant], il existe un certain nombre de conditions qui ont non seulement trait au fonctionnement de la justice, mais aussi au manque de coopération véritable de la part de l’exécutif national qui entraîne un retard important dans la mise en œuvre des mesures fondamentales ».

Pour Andrew Anderson, directeur général de Front Line Defenders, une organisation qui protège les défenseurs des droits de l’homme exposés au danger dans le monde entier, le manque de collaboration du gouvernement argentin est inquiétant.

« Si quelqu’un disparaît, surtout au cours d’une manifestation, il incombe clairement au gouvernement et aux divers organes de l’État de tenter activement de le retrouver, » déclare Anderson. « Dans ce dossier, le gouvernement semble plus soucieux de nier sa responsabilité que d’agir pour faire en sorte que Maldonado soit retrouvé et rendu à sa famille. »

Une plaie toujours béante

Malgré la lenteur de l’enquête dans ce dossier, la simple possibilité que les forces armées de l’État puissent avoir une quelconque complicité dans la disparition de Maldonado a ravivé de sinistres souvenirs de la dictature militaire argentine, pendant laquelle quelque 30.000 Argentins furent victimes de disparitions forcées selon les organisations de défense des droits de l’homme (ce nombre est aujourd’hui contesté par le Gouvernement qui estime qu’il y aurait eu 9000 disparitions).

« Nous avons tous beaucoup souffert et nous luttons depuis 40 ans pour le rétablissement d’un État de droit et que les gens aient le droit de s’exprimer, » a déclaré Nora Cortiñas, responsable de l’organisation Mères de la Place de mai, dans un récent entretien à la radio.

« Beaucoup de témoins disent que Maldonado a été emmené par la gendarmerie, mais dès le départ, [les autorités] ont voulu effacer toutes les traces du crime. On est ici en présence d’un crime contre l’humanité ».

Or, le gouvernement rejette cette version.

« La disparition forcée est une idée fallacieuse. Cette idée n’a pas lieu d’être dans notre gouvernement : ni nous ni les forces de sécurité ne sommes celles de [la dictature de] 1976, » déclare Bullrich.

Même s’il ne s’agit pas de la première disparition forcée en Argentine depuis le rétablissement de la démocratie, la disparition de Maldonado souligne la violence persistante dont sont victimes les activistes dans le pays et à travers la région.

En effet, selon l’organisation Coordination contre la répression politique et institutionnelle [CORREPI], l’État ou les organisations qui dépendent de lui sont responsables de plus de 200 disparitions forcées depuis 1983.

« En Argentine, la situation s’est fortement améliorée en matière de respect des défenseurs des droits de l’homme. Toutefois, le contexte reste difficile, en particulier pour ceux qui défendent les droits des peuples autochtones, » déclare Anderson.

« [La disparition de Santiago] marque un sérieux pas en arrière pour la protection des droits de l’homme et de leurs défenseurs en Argentine. »

Selon Oxfam, le nombre de meurtres, d’agressions et d’actes de répression visant les activistes des droits de l’homme a atteint un niveau historique en Amérique latine.

Rien qu’en 2015, 122 activistes des droits de l’homme ont été tués dans la région, ce qui représente 65 % des meurtres de ce type commis à travers le monde.

Pour Sergio Maldonado, le frère de Santiago, le plus important est que son frère ne devienne pas juste un autre numéro sur cette liste : « Combien de temps encore devrons-nous endurer cette situation ? Jusqu’à quand devrons-nous nous demander : où est Santiago ? »

Cet article a été traduit de l'espagnol.

N.B. : NDLR, la version originale de cet article (publiée le 8 septembre 2017) avait confondu la communauté Mapuche Pu Lof en Resistencia avec la Resistencia Ancestral Mapuche (RAM). Le lien entre ces deux groupes n’est pas clair. Nous avons éliminé toute référence à la RAM de cet article.