Afin de faire évoluer l’exploitation minière vers le respect des droits du travail et des peuples indigènes, la société civile s’organise et résiste

Afin de faire évoluer l'exploitation minière vers le respect des droits du travail et des peuples indigènes, la société civile s'organise et résiste

Miners in the vicinity of the mine where they work, in Japo, Bolivia, November 2023.

(Emilio Huáscar/Electronics Watch)

Sur toute la planète, aussi bien au Nord qu’au Sud, des territoires font l’objet de projets miniers pour extraire des matières premières destiné à produire des batteries de voitures électriques, des panneaux solaires et d’autres éléments nécessaires à la transition verte et numérique. Selon l’Agence internationale de l’énergie, à ce stade les minerais critiques sont le lithium, le nickel, le cobalt, le cuivre, le graphite et les terres rares. D’ici 2040, la demande va augmenter, peut-être même quadrupler, voire sextupler. Les pays dotés de la capacité d’extraire et de traiter ces minerais présentent des avantages compétitifs, mais ces activités peuvent avoir une incidence considérable.

D’après la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine (CEPAL), la Chine, les États-Unis et l’Union européenne dominent le secteur de l’électromobilité. Oxfam a évalué les engagements en faveur des droits des communautés autochtones – en particulier le consentement « préalable, libre et éclairé » – pris par 43 entreprises minières en lien avec le secteur de la fabrication des batteries de différents pays, notamment la Chine, les États-Unis, le Canada, et plusieurs pays européens.

L’organisation estime que ces engagements manquent d’égalité entre hommes et femmes, de diligence raisonnable, de droits humains et de protection des défenseurs des droits, et que le secteur minier du lithium, du cobalt et du graphite, utilisés pour la fabrication des batteries, n’est pas prêt pour la transition juste.

Ainsi, Oxfam recommande de procéder à des changements structurels, d’autonomiser les communautés indigènes et de leur donner le contrôle de l’exploitation minière sur leurs terres, dans l’objectif de garantir une production et une utilisation responsables des minerais.

Réseaux d’écoute et de soutien

Dans ce contexte, la Législation européenne sur les matières premières critiques permettra de réduire la bureaucratie, de promouvoir les associations stratégiques avec des pays tiers, et d’encourager l’économie circulaire, en recyclant 15 % de la consommation annuelle de ces minerais d’ici 2030.

Récemment, la 2e Caravane latino-américaine pour l’écologie intégrale, organisée par la Red Iglesias y MineríaRéseau Églises et Mines ») avec le soutien de l’alliance Enlázate por la JusticiaEngagez-vous pour la justice »), a traversé l’UE avec six représentants de pays latinoaméricains concernés par l’extractivisme.

Cette plateforme, composée d’organisations et de personnes rattachées à l’Église, et de groupes de la société civile en général, est présente dans neuf pays ; elle contribue à l’articulation démocratique, crée des espaces de dialogue et œuvre à la visibilité des résistances, en renforçant la gouvernance multilatérale depuis la base : « Cette plateforme a vu le jour il y a plus de dix ans, suite aux témoignages des populations traditionnellement et quotidiennement martyrisées. La transition favorise de nouvelles formes d’extraction, menées essentiellement par des entreprises et des gouvernements de l’hémisphère Nord ; les territoires du Sud continuent d’être sacrifiés. Les communautés dans lesquelles le lithium est exploité n’ont plus d’eau », résume Guilherme Cavalli, représentant du Brésil dans la Caravane.

Plus de 30 % du lithium mondial provient conjointement du Brésil, du Chili, de l’Argentine et de la Bolivie. « Souvent dans des lieux ‘dépeuplés’, comme les salines. »

La demande de lithium stimule la pression, les incitations gouvernementales, l’assouplissement des normes environnementales, les accords de libre-échange et l’investissement, pour veiller à la disponibilité du minerai – et à la poursuite d’un développement et d’un mode de vie qui mènent au précipice.

En juillet, le gouvernement brésilien s’est enorgueilli d’exporter vers la Chine la première cargaison de « lithium vert » de la vallée de Jequitinhonha, dans l’État du Minas Gerais, connu pour ses tragiques accidents miniers, comme la rupture du barrage minier de Brumadinho, qui a coûté la vie à plus de 270 personnes en 2019.

Face à la multiplication des explorations, le Réseau a entamé un processus de débat et d’élaboration de politiques avec d’autres mouvements et organisations, au sein desquels le Minas Gerais occupe une place centrale : « Nous écoutons les communautés. À partir de leurs expériences, nous cherchons à définir des politiques publiques pour la transition, dans le but de protéger les droits humains et environnementaux », précise Guilherme Cavalli.

Garanties et résistances

Le Chili, l’Argentine et la Bolivie concentrent 68 % des réserves mondiales de lithium, selon le Conseil latinoaméricain de sciences sociales. Par ailleurs, le Chili est le deuxième producteur mondial de lithium – derrière l’Australie – et sa nouvelle stratégie consiste à confier à l’État le contrôle majoritaire, par l’intermédiaire d’une entreprise nationale. En 2023, les sénateurs Pedro Araya Guerrero et Francisco Huenchumilla ont présenté un projet de réforme constitutionnelle pour assurer la participation des communautés autochtones. « Il ne s’agit pas de s’opposer ou de mettre un veto, mais de rechercher l’harmonie et de mettre fin à l’exclusion », a annoncé Pedro Araya Guerrero.

En Argentine, ce sont les femmes autochtones qui prennent la défense de la terre. En juin, le gouverneur de Jujuy, une province du nord située dans le « triangle du lithium » – limitrophe du Chili et de la Bolivie – a réformé la constitution en quelques semaines, passant outre le principe du consentement préalable, libre et éclairé vis-à-vis de la population indigène et locale en général, restreint les droits territoriaux et communautaires, et limité les manifestations et la liberté de réunion. Ces mesures ont donné lieu à un mouvement de résistance, qui a commencé au nord-ouest de la province avec les femmes de 400 villages autochtones. Certaines d’entre elles ont parcouru plus de 1.800 kilomètres pour se rendre au palais de justice de Buenos Aires le jour de la Pachamama ( « Terre-Mère »), où elles ont campé pendant plusieurs semaines.

« Pour faire face aux effets négatifs, il faut freiner la méga-exploitation des mines, écouter les personnes qui vivent sur ce territoire depuis des siècles, respecter leurs droits, les accords de protection de l’environnement, leur culture et leur vision du monde, en encourageant les alternatives de production issues des économies locales, avec une autre manière d’établir un lien entre l’environnement et les individus », affirme Valentina Valdi, représentante de l’Argentine dans la Caravane.

« Il est impossible de maintenir les modes et les rythmes de consommation actuels sans accroître l’exploitation et la violence », ajoute-t-elle.

Au Guatemala, un guide sur la durabilité des mines a été publié en octobre 2023. « Il y a des mines qui ne fonctionnent pas, le peuple s’est levé et a dit ‘Non à la mine, oui à la vie’. » Il a gagné la bataille, au prix de grands efforts. « Mais dans d’autres cas, on achète les volontés et on piétine les droits relatifs au consentement préalable, libre et éclairé », déplore Alex García, membre de la résistance pacifique à la mine El Escobal, à San Rafael Las Flores, dans le département de Santa Rosa: « Avec la transition, de nombreuses licences sont accordées sans ce consentement préalable, libre et éclairé, ni analyse. Les défenseurs comme moi sont très exposés. Il y a peu, un dirigeant communautaire xinka, de la ville de Jutiapa, a été assassiné. Nous nous battons contre un gouvernement corrompu et des entreprises qui ne s’intéressent qu’à l’argent. »

Mines légales et illégales

Dans de nombreux pays, la progression de l’exploitation illégale des mines cohabite avec des projets en attente d’autorisation. En Bolivie, une commission de la Chambre des sénateurs a rejeté 23 contrats qui ne respectaient pas la loi minière et qui n’avaient pas fait l’objet d’études environnementales ni de consentement préalable, libre et éclairé. En même temps, la vice-présidente de la Confédération nationale des femmes autochtones, Miriam Pariamo, a appelé le gouvernement à lutter contre les mines illégales et la contamination qu’elles génèrent, et à protéger les peuples indigènes. « Si nous ne prenons pas soin de l’environnement, qui va le faire? » a-t-elle demandé publiquement.

Au Pérou, la loi sur l’exploitation du lithium requiert l’évaluation de l’impact social et environnemental, le consentement préalable, libre et éclairé, ainsi qu’un plan de développement durable et un plan de fermeture, alors que l’exploitation illégale des mines menace une trentaine de communautés d’origine. L’Organisation régionale des peuples indigènes de l’Est signale que 120 dragages illégaux contaminent actuellement le Nanay – un affluent de l’Amazone bénéficiant d’une riche biodiversité et qui fournit de l’eau douce à 500.000 personnes – et onze autres rivières amazoniennes.

De même, des groupes autochtones du département de Loreto s’opposent à la concession minière de l’Institut géologique minier et métallurgique de la région de Maynas, dans le bassin du Nanay. C’est là que vit et travaille Daniela Andrade, du réseau Iglesias y Minería, sur le territoire des peuples Kukama et Urarina, convoité pour le pétrole, le bois et les mines :

« Il y a un peu plus d’une centaine d’années, le génocide du caoutchouc a exterminé des populations entières. Aujourd’hui la matière première est différente, mais l’exploitation est la même. Nous arrivons à la fin du pétrole, mais l’extraction minière s’impose avec force. Nous constatons deux fois plus de dragages illégaux qu’il y a trois ans », observe-t-elle.

« Le Nanay a été mis en concession et l’exploitation de la rivière Marañón a suscité plus de 60 demandes de la part d’entrepreneurs du département de Madre de Dios, l’enfer minier national. Nous n’avons pas d’eau de bonne qualité, nos sources et nos aliments sont contaminés. Dans le département de Loreto, il n’y a pas de minerais critiques comme dans le Sud, et là-bas ils ont aussi des problèmes d’eau et de santé à cause des métaux lourds détectés dans le sang, qui provoquent des maladies rares et qui restent sans traitement. Pour l’Europe – ou certaines classes sociales d’Amérique latine – il s’agit d’une transition énergétique, mais pour nous, il est avant tout essentiel de défendre nos familles et le vivant », explique Daniela Andrade.

Victoires et précédents

En Amazonie équatorienne, l’extraction minière a augmenté de 300 % entre 2015 et 2021. « Le cadastre minier national est déplorable, les concessions se trouvent dans des zones hydriques qui ont une grande biodiversité », souligne Lucy Urvina, représentante de l’Équateur dans la Caravane. Depuis quelques années, le pays connaît une vague de consultations. En 2023, 70 % de la province de Pichincha ont voté pour protéger les forêts et interdire l’extraction de minerais métallifères – une victoire historique du côté des communautés qui luttent depuis plus de 25 ans pour préserver leurs terres.

En août, le tribunal de la province a suspendu un projet dans le désert de Kimsakocha, une zone de réalimentation en eau pour plusieurs millions d’Équatoriens. Ce projet a créé un précédent, sollicitant deux consultations de consentement préalable, libre et éclairé, l’une adressée aux peuples indigènes et à la population locale et l’autre concernant l’environnement. Le président a toutefois fait savoir qu’il ne respecterait pas la décision, et le gouvernement encourage l’extraction, offre des avantages fiscaux s’élevant jusqu’à 400 millions de dollars et prévoit un système d’arbitrage international pour résoudre les différends.

En 2011, Kimsakocha fut le théâtre de la première consultation, à laquelle ont participé des observateurs internationaux et des dirigeants autochtones ; 93 % d’entre eux ont voté contre l’exploitation minière. Le gouvernement a invalidé la consultation, les défenseurs ont recueilli des signatures en faveur d’un plébiscite contraignant conforme à la Constitution, qui a été conclu à Girón en 2019, avec 90 % de voix contre la mine. En 2021, à Cuenca, capitale de la province de l’Azuay et troisième plus grande ville du pays, 80 % des votants ont décidé de protéger l’eau.

Chaînes de valeur et solidarités transnationales et interterritoriales

L’organisation à but non lucratif Electronics Watch a élaboré un programme pilote sur trois ans en République démocratique du Congo et en Bolivie pour promouvoir le dialogue au sein de la chaîne d’approvisionnement et former des milliers de mineurs sur les droits humains et les droits relatifs au travail, à l’environnement, au genre, à la santé et à la sécurité.

« Nous aidons aussi à établir des mécanismes de réclamation et d’évaluation des minerais en assurant une rémunération juste. Dans le cadre de cette transition, nous devons être attentifs à l’expérience des mineurs et à leur participation aux innovations qui protègent l’environnement ; nous avons identifié des pratiques intéressantes », indiquent Fabrice Warneck, directeur de la surveillance pour Electronics Watch, et Rocío Paniagua, responsable du programme des véhicules à faibles émissions.

Par ailleurs, ils conseillent une dizaine d’acheteurs publics, privilégiant les conditions requises et les appels d’offres qui favorisent la diligence raisonnable, conformément à la réglementation européenne en matière de minerais issus de zones de conflit et au modèle de l’OCDE. « Les marchés publics peuvent jouer un rôle clé pour encourager un approvisionnement responsable et transparent. Nous sommes en train de mettre au point deux instruments d’appels d’offres qui inscrivent des pratiques de diligence raisonnable dans les passations de marché », précisent-ils.

Certains de ces instruments, destinés à renforcer la surveillance des mines, à collaborer avec les parties prenantes le long de la chaîne d’approvisionnement et à aider les acheteurs publics à développer des pratiques minières responsables, seront transmis à plus de 1.500 organisations directement affiliées, ou affiliées par le biais de consortiums, de réseaux ou des autorités.

Souvent, les mouvements de résistance créent des alliances, qu’il s’agisse ou non de minerais critiques. En Espagne, la plateforme citoyenne contre le mégaprojet de mine de quartz à ciel ouvert, au nord-est de Ségovie, a souscrit au manifeste international Caminando contra la minería (En chemin contre l’industrie minière) : « La législation européenne facilitera l’extraction des matières premières stratégiques. L’Espagne est riche de minéraux divers. Nous sommes préoccupés par l’environnement et nous tenons à instaurer des politiques exigeantes de réutilisation et de recyclage », déclarent ses membres.

« Ce qui se passe ici se produit également dans la vallée du Corneja, ou à Terra Cha (Guadalajara), dans ‘l’Espagne vide’, mais aussi en Suède, en Argentine ou en Tanzanie. Les entreprises atterrissent dans des ‘déserts démographiques’ sans tissu social ou presque, et elles pensent que personne ne va s’opposer à leurs projets », poursuivent-ils.

Au début de leur lutte, les membres de la plateforme « Non à la mine » dans la vallée du Corneja ont cherché des conseils auprès d’autres sites proches, dans les massifs montagneux d’Ávila et de Yemas. Ils font désormais partie du réseau de plateformes de la péninsule Ibérique qui militent contre les mines. Ils partagent le même constat : « À l’échelle mondiale nous sommes pris dans une ‘ruée vers l’or’ qui donne la priorité au commerce, en négligeant les droits des habitants, leur santé, leurs moyens de subsistance et leurs ressources naturelles et hydriques », concluent-ils.

This article has been translated from Spanish by Nathalie Vernay