Âgisme et emploi : les préjugés sur l’âge sont aussi cause de chômage en Europe

Âgisme et emploi : les préjugés sur l'âge sont aussi cause de chômage en Europe

Fifty-two-year-old Augusto Blanco retrains in programming with fellow students aged around 20.

(Roberto Martín)

Quand arrêterons-nous de travailler ? La question résonne depuis quelque temps dans les principales institutions européennes. Comment adapter le marché à une espérance de vie de plus en plus longue ? Aujourd’hui, l’âge moyen de la retraite en Europe se situe autour de 65 ans, mais d’ici 2030, il devrait dépasser 66 voire 68 ans. Le débat suscite la polémique (il suffit de penser au récent mouvement social en France), mais il soulève aussi un paradoxe. Alors que l’on cherche à repousser notre date de péremption professionnelle, certaines personnes en fin de carrière n’ont aucun moyen de retrouver un emploi.

Il est beaucoup question du chômage des jeunes, et à juste titre, car la précarité en a fait le groupe le plus en difficulté sur le marché de l’emploi. En revanche, on s’intéresse peu au chômage des personnes plus âgées, cette tranche invisible dont les taux d’emploi sont également inférieurs à la moyenne. En Europe, 70 % de la population travaille. Pourtant, si l’on se concentre sur les travailleurs âgés, ce taux tombe à 62-63 %. Dans des pays comme la France, l’Italie, la Croatie, la Grèce ou l’Espagne, il n’atteint même pas 60 %.

Trouver un emploi est presque aussi difficile pour les chômeurs d’âge mûr que pour les jeunes qui démarrent. En Espagne, 55 % des chômeurs plus âgés sont à la recherche d’un emploi depuis plus d’un an. Ils appartiennent à la catégorie des chômeurs de longue durée, une catégorie où les cheveux gris abondent. Sept chômeurs de longue durée sur dix ont plus de 50 ans.

Cela s’explique par des problèmes structurels tels que l’instabilité de l’emploi ou le faible niveau d’éducation, mais aussi par des préjugés liés à l’âge, autrement dit l’« âgisme ».

« Lorsque nous parlons de discrimination fondée sur l’âge, nous nous référons au traitement différencié accordé à une personne en raison de son âge, sans tenir compte au préalable de ses capacités et aptitudes », explique à Equal Times Aída Díaz-Tendero, professeure-chercheuse à l’université Complutense de Madrid et marraine de l’organisation HelpAge, qui tente de sensibiliser à cette exclusion injuste, susceptible d’écarter des travailleurs tout à fait compétents uniquement en raison de leur date de naissance.

Personne dynamique recherchée

La plupart des offres d’emploi ne le disent pas explicitement. On ne cherche pas un « jeune travailleur », on ne fixe pas de limite d’âge, mais il suffit de regarder le langage utilisé : chaque fois qu’une annonce demande des travailleurs « pleins d’énergie » ou « dynamiques », elle tente subtilement d’exclure les personnes plus âgées.

« La discrimination sournoise peut se manifester de bien des manières. Avec ce type d’annonce, il est difficile qu’un quinquagénaire accède à l’entretien d’embauche », explique Laura Rosillo, spécialiste des ressources humaines et de la gestion de l’âge.

En général, les entreprises se montrent plus réticentes à embaucher des travailleurs plus âgés. Une expérience de la Fondation Iseak l’a démontré. Elle a envoyé 1.600 CV fictifs à plus de 800 postes vacants réels, certains liés au profil d’une personne de 35 ans, d’autres à celui d’une personne de 49 ans, toutes deux ayant les mêmes compétences et aptitudes. Résultat : les CV des seniors ont reçu 50 % d’appels en moins que ceux des jeunes.

Autre exemple : en 2021, la Fondation Adecco a sondé une centaine d’entreprises sur le recrutement et l’âgisme. Parmi elles, 40 % ont admis que l’âge leur inspirait des réserves au moment de l’embauche ; âge qu’elles reliaient à des problèmes de santé, à la difficulté de s’intégrer à un personnel jeune, à une moindre flexibilité, à des connaissances obsolètes. Autant de préjugés âgistes.

« Le marché du travail n’a pas progressé conformément à l’évolution de l’âge », insiste Mme Rosillo. « Cela pouvait être valable il y a 50 ans, mais aujourd’hui une personne de 45 ans est considérée comme jeune ».

Les obstacles dus à l’âgisme affectent encore plus les femmes : leur taux de chômage est deux fois plus élevé que celui des hommes.

« Les femmes sont plus souvent victimes des stéréotypes qui associent la beauté à la jeunesse », explique Mme Díaz-Tendero. « De plus, les femmes souffrent davantage des désavantages cumulés liés à la prise en charge des enfants et du ménage ainsi que de l’impact sur leur vie professionnelle ».

Des réglementations sont en vigueur afin de lutter contre la discrimination fondée sur l’âge. Il s’agit de la Recommandation 162 de l’Organisation internationale du travail (OIT), de la directive de l’Union européenne de 2000, de réglementations nationales telles que la loi américaine de 1967 sur la discrimination fondée sur l’âge dans l’emploi, ou de la loi espagnole sur l’égalité de traitement (Loi « Zerolo »), adoptée en 2023.

« Le droit à la non-discrimination est un droit civil fondamental. Or, il est souvent mis en opposition avec la liberté d’embauche », explique Mme Díaz-Tendero. C’est précisément pour cela qu’elle rappelle l’importance que revêt la dénonciation de ces pratiques. « Chaque décision en faveur de ce droit est un pas de plus vers la prise en compte de la personne et de ses qualités, indépendamment de son âge ».

Tous obsolètes

L’un des préjugés les plus répandus sur les travailleurs âgés est que leurs connaissances sont obsolètes. Ce qui n’est pas tout à fait faux d’ailleurs. Au rythme où progressent les technologies, l’économie numérique et l’intelligence artificielle, les travailleurs âgés ne sont pas les seuls à être devenus obsolètes : nous le sommes tous désormais.

Dans les écoles de programmation et les cours de robotique, de pilotage de drones ou de conception 3D se côtoient de plus en plus de très jeunes profils, fraîchement diplômés, et de profils plus mûrs qui retournent sur les bancs de l’école, soit pour mettre à jour leurs connaissances, soit pour se recycler dans un nouveau secteur. C’est le cas d’Augusto Blanco, 52 ans. Traducteur de profession, il a décidé de suivre une formation de programmeur, en suivant un cours intensif à l’école publique Releevant, aux côtés de camarades de classe âgés de 19 et 20 ans.

« Recommencer à zéro ne me fait pas peur, je suis très enthousiaste, j’aime apprendre. Il est vrai qu’au début j’ai eu des doutes à cause de mon âge, pas à cause de mes capacités, je sais que je peux relever le défi. Ce que je ne savais pas, c’est si mon âge était un handicap pour trouver un emploi », explique-t-il à Equal Times.

Le secteur des TIC (technologies de l’information et de la communication) est actuellement le secteur qui offre le plus d’opportunités d’emploi, mais c’est aussi l’un des secteurs où les travailleurs sont les plus jeunes. En Espagne, seuls 16,3 % des travailleurs des TIC ont plus de 50 ans. Dans ce contexte, la question est de savoir si tous les travailleurs plus âgés reçoivent les mêmes possibilités de formation et de recyclage. La réponse est non. Les formations technologiques telles que celle d’Augusto ont tendance à être privées et à exiger un effort financier important.

« Les administrations publiques ne financent pas ce type de cours », regrette José Manuel Ezquerra, PDG de Releevant. « Dans certaines villes, les chômeurs reçoivent des cours de flamenco ou de découpe de jambon, mais pas de programmation. Dans d’autres, on dispense encore des cours de Word. L’offre de formation est très déconnectée du marché du travail ».

À l’inverse, l’association Arrabal propose des cours gratuits pour les chômeurs plus âgés ayant de faibles niveaux de revenus et d’éducation. Elle propose des formations spécifiques pour travailler comme serveur ou commis de cuisine, mais aussi des cours d’alphabétisation numérique. Aurora Castro, conseillère en emploi de l’association, reconnaît qu’« une certaine tranche d’âge reste démunie face à la bureautique. Ils n’ont eu ni le temps d’apprendre ni les ressources pour le faire ; ils ne l’ont pas vu comme une nécessité. Or, aujourd’hui, même les entretiens d’embauche se déroulent en ligne et il faut donc qu’ils apprennent à utiliser ces plates-formes ».

La fracture numérique entrave l’intégration des travailleurs plus âgés. Moins il y a de formation, plus il y a de chômage chronique, et plus il y a de chômage chronique, plus il y a de pauvreté.

Des rapports tels que celui de la Fondation Foessa mettent en garde contre une augmentation de l’exclusion sociale grave dans les ménages soutenus par des personnes âgées de 45 à 64 ans. « S’ils ne parviennent pas à entrer sur le marché, ils risquent facilement de tomber dans la dépression et, partant, de s’enfermer dans un cercle vicieux dont il est difficile de réchapper », prévient Mme Castro. « Au bout du compte, ils survivent grâce à des aides ou au revenu minimum. Ce qui revient à apporter du pain pour aujourd’hui et la faim pour demain ».

Un engagement public

La tranche d’âge des 50 à 64 ans est ce que l’on appelle aujourd’hui la « génération de soutien ». « Soutien » parce que, dans de nombreux cas, ces personnes ont déjà commencé à s’occuper de leurs parents âgés, mais aussi de leurs enfants, qui, pour la plupart, sont encore à la maison. Le rôle de l’emploi à ce stade est donc crucial à plus d’un titre. « Ce groupe de la population est tout aussi important pour les politiques publiques que les personnes âgées de plus de 65 ans », reconnaît la politologue Aída Díaz-Tendero. « C’est aussi une période de la vie où des aspects tels que la santé et l’économie revêtent une importance capitale pour l’étape suivante ».

Comment les politiques publiques les aident-ils à trouver un emploi ? Avant toute chose, elles incitent les entreprises à embaucher ce type de profil.

En Espagne, en Italie et en Pologne, elles proposent des subventions pour les cotisations de sécurité sociale. En Finlande (pays qui, avec la Norvège, l’Islande et la Suède, affiche les meilleurs chiffres en matière d’emploi des travailleurs plus âgés, avec huit personnes sur dix en activité), des subventions sont également accordées aux employeurs pour couvrir les coûts salariaux.

« Nous, nous critiquons les subventions », explique Adriá Junyent, porte-parole du syndicat espagnol CCOO. « Elles se sont avérées inefficaces tel qu’elles ont été conçues, car elles ne favorisaient que les contrats de travail temporaires. Aujourd’hui, elles sont mieux conçues, avec un engagement en faveur de la permanence, mais en tout état de cause, elles ne devraient constituer qu’un complément à d’autres mesures telles que la reconversion ».

Parler de la durée dans le temps revient à évoquer la qualité de l’emploi. Il est indispensable de travailler à partir de 50 ans, mais la question se pose : faut-il vraiment le faire à n’importe quel prix ?

Dans des pays comme le Royaume-Uni, les mises en garde commencent à se faire entendre contre un nouveau phénomène résultant de la précarité actuelle : l’ubérisation des emplois des plus âgés, c’est-à-dire des personnes de plus de 50 ans, obligées d’accepter des emplois au rabais, de faire des heures supplémentaires sur des motos en tant que livreurs. D’autres mettent aussi en garde contre des situations comme celles qui se produisent déjà au Japon, où une campagne d’embauche de travailleurs plus âgés qui avait rencontré un grand succès s’est développée parallèlement au nombre d’accidents du travail.

Modifier le curriculum

L’exclusion fondée sur l’âge présente des barrières très diffuses. Dans la plupart des secteurs, la limite d’âge est fixée à 50 ans, mais dans d’autres, comme les start-ups ou la publicité, on est considéré comme âgé à 40 ans voire 30. Malgré cela, l’étiquette « talent senior » commence à être fortement associée à des valeurs positives telles que l’expérience et l’engagement.

« De nombreuses entreprises reconnaissent les valeurs et l’éthique de travail des plus âgés », explique Fernando Fernández Cavada, partenaire de Silver Talent, une plate-forme d’emploi destinée à cette communauté. « Nous contactons des entreprises qui demandent plus de cinq ans d’expérience, des entreprises qui recherchent des candidats pour des postes très difficiles à pourvoir, comme dans le secteur de la construction ou de l’industrie. Des domaines tels que l’hôtellerie ou le service à la clientèle, où l’employeur recherche des personnes ayant une plus grande capacité d’attention, à dialoguer, à mieux s’exprimer et à faire preuve de plus de patience ». De plus, ils permettent également de rechercher des emplois dans toute l’Europe. La mobilité professionnelle n’est pas non plus associée à une année de naissance.

« Le travail ne manque pas », affirme Santiago Bernet, créateur de Job50, une autre société de conseil spécialisée dans les talents « seniors ». « Nous, nous conseillons de faire preuve de bon sens et d’être clair sur ce que l’on recherche ». M. Bernet préconise le « CV aveugle », qui ne contient pas de données personnelles. Ni photo, ni origine, ni âge, afin d’éviter tout type de filtre discriminatoire.

Laura Rosillo, experte en ressources humaines, exprime pour sa part des réserves. « Hormis la photo et l’âge, si vous regardez le CV et qu’il est très long, vous saurez que la personne a plus de 50 ans, peu importe que le CV soit aveugle ou non ».

Pour elle, il est plus important de former correctement le personnel des ressources humaines, ainsi que les personnes chargées de programmer les algorithmes qui procèdent déjà au premier tri.

Elle suggère également aux chômeurs de recourir à de nouvelles stratégies : « Les plus de 50 ans ne peuvent pas agir de la même manière que s’ils cherchaient un premier emploi. Il ne s’agit pas de rédiger un CV pour chercher un emploi, mais plutôt de savoir proposer des services, d’expliquer à l’entreprise ce que vous pouvez lui apporter ».

À un mois de la fin de ses études, Augusto Blanco, traducteur et programmeur nouvellement qualifié, est sur le point de connaître ce moment. « J’ai lu il y a quelque temps que le point culminant de la carrière professionnelle d’une personne se situe à l’âge de 55 ans et que c’est à ce moment-là qu’il atteint son épanouissement professionnel. Moi, je trouve cela évident, mais les entreprises aussi devraient le comprendre. Je sais que je me présenterai sur le marché tout aussi bien préparé que mes camarades de classe, la seule différence étant l’âge ».

This article has been translated from Spanish by Charles Katsidonis