Guerre en Syrie : un conflit sans trêve, éclipsé et intensifié par la guerre de Gaza

Guerre en Syrie : un conflit sans trêve, éclipsé et intensifié par la guerre de Gaza

The site of an attack on 9 December 2023 by the Syrian regime in Idlib in which civilians were killed and injured.

(White Helmets)

La guerre lancée par Israël contre Gaza suite à l’attaque du Hamas en territoire israélien le 7 octobre a aussi des répercussions sur la Syrie voisine. Le conflit qui embrase ce pays depuis près de treize ans va s’intensifiant sous l’effet de l’intervention et des calculs géopolitiques des diverses puissances régionales et autres en présence dans la région, telles que les États-Unis, l’Iran, Israël, la Turquie et la Russie. Désormais, le conflit de Gaza s’est partiellement étendu au territoire syrien, impliquant d’une part l’Iran, soutien du Hamas, et de l’autre, les États-Unis, allié d’Israël. En arrière-plan, la Russie et le régime syrien continuent de bombarder la région du nord-ouest de la Syrie.

À ce jour, le bilan humain de la guerre en Syrie est estimé à plus de 600.000 morts, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. À cela s’ajoutent six millions de déplacés internes et six millions et demi de réfugiés dans les pays voisins et européens, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Ces chiffres reflètent toute l’ampleur de l’horreur de cette guerre oubliée où sont impliquées les grandes puissances de ce monde, chacune poursuivant ses propres intérêts.

Afin de mieux comprendre la situation en Syrie, il convient d’analyser la géographie complexe et la répartition du contrôle dans le pays. Le régime de Bachar Al-Assad a perdu de vastes pans de territoire au profit des factions armées de l’opposition, tout d’abord des milices kurdes, puis du groupe terroriste État islamique (Daech). L’intervention militaire de la Russie en septembre 2015 a toutefois progressivement contribué à faire basculer le rapport de force en faveur du régime d’Assad, qu’elle soutient. Celui-ci contrôle actuellement plus de 63 % du territoire grâce à des campagnes militaires qui ont mené une politique de terre brûlée contre des villes syriennes, avec l’appui de l’aviation russe et le soutien militaire de l’Iran et du Hezbollah libanais.

Le régime syrien exerce son contrôle sur la côte, Damas, le sud et une partie du nord du pays, partageant sa domination avec des milices iraniennes et la Russie – cette dernière disposant de la base militaire de Hmeimim à partir de laquelle elle lance ses opérations militaires. La Russie contrôle en outre les aéroports et les ports en collaboration avec le régime syrien. Dans le sud de la Syrie, en particulier dans le gouvernorat de Deraa, le contrôle du régime est considéré comme fragile et est partagé avec des milices iraniennes, le Hezbollah et d’autres factions de l’opposition. Depuis que le régime Assad en a pris le contrôle à l’été 2018, cette région, berceau du soulèvement syrien de 2011, a été le théâtre d’une campagne silencieuse d’assassinats opposant les différentes factions en présence.

Pour la seule année 2021-2022, les sources d’information locales consultées font état de 539 assassinats de civils survenus dans le contexte de cette « guerre froide ».

Approximativement 10 % du territoire se trouve aux mains de l’opposition syrienne. Il s’agit de la région du nord-ouest, qui comprend la ville d’Idlib et une partie des zones rurales d’Alep et de Hama. À Idlib, l’organisation Hay’at Tahrir Al-Cham exerce une présence importante, tandis que les autres zones sont sous le contrôle des forces militaires de l’opposition soutenues par la Turquie, au premier rang desquelles figure l’Armée nationale syrienne. D’autre part, la zone stratégique d’Al-Tanf, à la frontière entre l’Irak et la Jordanie, est tenue par une faction de l’opposition aux côtés des forces américaines. L’organisation terroriste État islamique (EI) ne contrôle plus aucune région de la Syrie, bien que des cellules dormantes soient présentes dans différentes parties du pays.

Les Forces démocratiques kurdes syriennes, soutenues par les États-Unis, occupent les régions de l’est et du nord-est de la Syrie, où des bases américaines sont déployées. Il s’agit de zones spécifiques telles que Deir ez-Zor, Hassaké, Raqqa, la ville d’Alep et son pourtour rural, qui représentent ensemble environ 25 % du territoire du pays.

Attaques iraniennes contre des bases américaines

Depuis le 7 octobre, les bases américaines de la coalition internationale ont été attaquées dans plusieurs régions de la Syrie au cours d’une série de frappes simultanées. Bien qu’il ne s’agisse pas de la première action de ce type menée par les milices iraniennes en Syrie et en Irak, ces frappes ont été les plus importantes en termes de nombre et de portée géographique, selon un rapport de Jusoor For Studies (bureau d’études et de recherches spécialisé indépendant).

Au 8 novembre, 26 frappes de missiles et de drones iraniens ont été enregistrées sur différentes bases militaires américaines en Syrie, selon Jusoor, bien que la plupart d’entre elles n’aient pas atteint leur cible, comme le confirme le chercheur Anas Shawakh. Selon le think tank, ces attaques coordonnées entre les milices iraniennes, les forces russes et les zones sous contrôle du régime syrien donnent la mesure des pressions auxquelles sont soumises les forces américaines.

« Les frappes iraniennes visent à tirer parti de la situation à Gaza pour essayer de modifier les règles d’engagement avec les forces américaines en Syrie et en Irak

« Elles cherchent à élargir les limites ainsi que la portée des opérations d’attaque habituellement menées, démontrant la capacité de l’Iran à mobiliser, coordonner et diriger les activités de ses différentes milices dans plusieurs pays simultanément, en particulier en Syrie et en Irak », explique le chercheur.

Officiellement, l’Iran soutient que les groupes qui attaquent les forces américaines en Syrie et en Irak agissent en toute indépendance, sans ordres ni directives de Téhéran.

Or, selon M. Shawakh, le déni des attaques par l’Iran ferait partie de la tactique iranienne consistant à traiter avec ses milices locales par le biais d’un investissement et d’une exploitation intéressés dans le conflit de Gaza. L’Iran s’en servirait comme moyen de pression pour mettre en œuvre ses plans dans la région arabe sans toutefois engager de conflits directement sur son territoire.

Israël, présent et en force

Israël, quant à lui, a délibérément consolidé sa présence au cours du conflit à Gaza, en étendant ses opérations non seulement au Liban, mais aussi à la Syrie. Depuis le 7 octobre, Israël a mené plusieurs dizaines d’attaques sur le territoire syrien, notamment contre les aéroports internationaux d’Alep et de Damas, au cours desquelles des militaires – libanais et iraniens – ainsi que des civils ont été tués, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

L’Observatoire a recensé, depuis le début de l’année 2023 et jusqu’au début du mois de décembre, 63 attaques israéliennes – principalement aériennes mais aussi terrestres – sur le territoire syrien : Damas, Deraa, Quneitra, Soueïda, Alep, Hama, Tartous, Homs et Deir ez-Zor. Ces attaques, explique le chercheur syrien Moustafa Idris depuis sa résidence à Istanbul, sont dévastatrices et visent des caches d’armes iraniennes.

Acteur clé au Moyen-Orient, Israël a toujours cherché à sécuriser sa frontière avec la Syrie pour assurer sa propre sécurité. Selon M. Idris, le régime de Bachar Al-Assad se considère comme le principal défenseur des accords implicites autour de la frontière israélo-syrienne. Cependant, il note que la situation actuelle en Syrie représente un empiétement de la part d’un certain nombre d’acteurs intéressés. Le chercheur signale en outre la présence de centaines de combattants sur les hauteurs du Golan occupées par Israël, en particulier des forces entraînées par les milices du Hezbollah et les Gardiens de la révolution iraniens. Il souligne que ces forces ne reçoivent pas d’ordres du régime syrien, mais des directives en provenance de l’Iran.

Les frappes lancées contre la Syrie depuis le Golan occupé, conjuguées à l’absence de réaction de la part de la Syrie, ont fourni à Israël le prétexte pour lancer des attaques récurrentes contre les aéroports de Damas et d’Alep. Ces deux aéroports sont considérés comme essentiels pour la réception de cargaisons d’armes iraniennes, destinées à être utilisées à l’intérieur et à l’extérieur du territoire syrien, explique M. Idris.

Escalade en zone de désescalade

Alors qu’Idlib continue d’être la cible de tirs d’artillerie, de missiles et de frappes aériennes des armées de l’air syrienne et russe, le conflit ne cesse de s’intensifier dans cette région désignée depuis 2017 comme une zone de désescalade. Il en va de même pour les zones d’Alep et de Hama, dans le nord-ouest de la Syrie. Celles-ci échappent au contrôle du régime et se trouvent sous la juridiction de milices armées de l’opposition et de l’organisation Hayat Tahrir Al-Cham. Cette situation survient en dépit de l’accord de désescalade signé en mai 2017 entre la Russie, la Turquie et l’Iran.

Bien que certains médias (nationaux et internationaux pro-Assad) fassent valoir que les zones attaquées dans le nord-ouest de la Syrie sont des sites militaires appartenant à des factions opposées au régime Assad, les données de l’organisation des Casques blancs, qui opère sur le terrain, et les témoignages de journalistes sur la ligne de front indiquent que la plupart des sites récemment attaqués sont des installations civiles.

« La Russie bombarde les campagnes où trouvent refuge les déplacés qui fuient les bombardements et va même jusqu’à utiliser des armes interdites au niveau international, comme dans le cas de l’attaque aux missiles à fragmentation contre le camp de Maram. »

«Dans certains cas, des installations médicales vitales pour les zones libérées du régime syrien sont visées », rapporte le journaliste syrien Mohammad Al-Ahmad, qui couvre la situation humanitaire dans le nord-ouest de la Syrie.

Selon M. Al-Ahmad, la couverture médiatique arabe et internationale des événements dans ces zones a sensiblement diminué depuis le début de la guerre de Gaza. Le journaliste fait état d’une escalade militaire dans cette région au cours de ces trois derniers mois, qui se double d’une dégradation de la situation économique et d’une réduction des aides, auxquelles s’ajoute la souffrance des occupants des nombreux camps de réfugiés de la région pendant les mois d’hiver. « Les événements à Gaza sont extrêmement graves, mais le nord de la Syrie a aussi besoin de couverture », souligne-t-il.

En octobre 2023, les bombardements russes contre 70 sites dans le nord-ouest de la Syrie ont ciblé des installations médicales, des écoles, des mosquées, des zones rurales, des marchés populaires et des centres de la Défense civile syrienne (Casques blancs). Ont également été visés une centrale électrique, des stations d’eau et des élevages de volailles, selon un rapport de la même organisation des Casques blancs, qui a exhorté la communauté internationale, les Nations Unies et toutes les organisations de défense des droits humains à apporter un soutien fort aux civils, à assumer leurs responsabilités et à mettre fin aux attaques du régime Assad contre plus de quatre millions de civils.

Le mois d’octobre a également été marqué par une escalade « très violente » des forces du régime, de la Russie et des milices qui leur sont loyales contre les civils dans le nord-ouest de la Syrie, selon les Casques blancs. Au cours de ce seul mois, les équipes des Casques blancs ont répondu à près de 300 attaques, y compris des frappes aériennes, des tirs d’artillerie, des missiles guidés, des armes incendiaires et des bombes à fragmentation.

Cette situation persiste dans le contexte de la crise humanitaire qui sévit dans le nord-ouest de la Syrie à la suite du tremblement de terre dévastateur et de la détérioration de la situation humanitaire au terme de près de 13 années de guerre.

This article has been translated from Spanish.