L’attaque virulente contre les salaires minimums en Europe

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Dans un rapport conjoint adressé aux ministres du travail des pays membres du G20 en juin 2012, le FMI, l’OCDE, la Banque mondiale et l’OIT sont parvenus à produire un libellé remarquablement ambigu concernant les salaires minimums.

Tout d’abord, un message positif : Les salaires minimums légaux pourraient rehausser la participation des travailleurs, soutenir la demande et réduire la pauvreté, tout ça sans détruire l’emploi.

Vu la réputation qu’ont le FMI et l’OCDE de faire table rase de tout type de réglementation du travail, une telle affirmation à l’appui des salaires minimums semble presque révolutionnaire.

Malheureusement, le rapport signale, un peu plus loin, que si les planchers salariaux sont fixés à des niveaux significativement plus élevés que ce qui est « approprié », les effets positifs sur la demande et les inégalités risquent d’être neutralisés par la perte de perspectives d’emploi, notamment pour les jeunes et la main-d’œuvre faiblement qualifiée. Autrement dit, les salaires minimums élevés tuent l’emploi.

Deux mois plus tôt, la Commission européenne adoptait une approche pratiquement identique dans sa communication intitulée ‘Vers une reprise génératrice d’emploi’.

Dans le cadre de ce qui apparaît désormais comme une tentative implicite de soutien à l’introduction d’un salaire minimum en Allemagne, la Commission a appuyé le principe d’un plancher salarial, en y rattachant toutefois trois conditions ; que les salaires minimums soient fixés à un niveau approprié, qu’ils soient ‘suffisamment ajustables’, en sorte à refléter les développements économiques globaux (dans une direction baissière?) et qu’ils soient « différenciés », aux fins de soutenir la demande de main-d’œuvre.

 

Plus d’argent, moins d’emplois ?

Alors que la communication de la Commission se garde de définir exactement en quoi consisterait un niveau de salaire minimum « approprié », le rapport conjoint FMI/OCDE/OIT aux ministres du travail des pays membres du G20 a, pour sa part, suggéré une tranche précise pour le salaire minimum, située entre 30 et 40 pour cent du salaire médian.

Des salaires minimums inférieurs à cette tranche auraient pour effet d’augmenter l’inégalité et de nuire à la demande globale.

En revanche, des salaires minimums dépassant 40 pour cent du salaire médian détruiraient l’emploi et, par là, exacerberaient la pauvreté et les inégalités.

On a l’impression d’assister à une sorte de match de football, où l’OIT et la direction générale de l’emploi et des affaires sociales de la Commission passent le ballon au FMI et à l’OCDE qui, à leur tour, envoient le ballon droit dans le filet.

Cette impression se trouve renforcée par les développements intervenus lors de la récente conférence sur l’emploi de la Commission, au début septembre, où le principal orateur et récent lauréat du Prix Nobel, Christopher Pissarides a ouvertement plaidé en faveur de salaires minimums « bas » et où le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, a renchéri en affirmant que « d’innombrables preuves démontrent que des salaires minimums élevés détruisent l’emploi ».

Tout ceci représente clairement un retour en arrière. En effet, partout en Europe, les salaires minimums légaux sont systématiquement supérieurs au seuil défini par les institutions du G20. Ils démarrent à partir de 45 pour cent du salaire médian en Pologne et vont jusqu’à 60 pour cent en France (voir tableau ci-dessous).

Il n’y a qu’en République tchèque et en Estonie que le salaire minimum se situe dans cette soi-disant tranche « appropriée ».

Source: OECD, ETUI

En l’occurrence, cette discussion institutionnelle sur l’opportunité globale des salaires minimums se résume, en réalité, à une attaque virulente contre les régimes de salaires minimums en place dans une majorité de pays européens.

Ce qui s’accorde parfaitement avec la stratégie de dévaluation interne que les ministres des finances et les responsables des banques centrales s’apprêtent désormais à mettre à exécution dans la zone euro, remplaçant l’instrument manquant d’une dévaluation monétaire par des coupes salariales déflationnistes.

Dans le cadre d’une telle stratégie, les seuils de salaire décent sont vus comme une entrave à la révision baissière des salaires dont les États membres ont besoin pour restaurer leur compétitivité.

En se livrant à une telle attaque contre les niveaux existants de salaires minimums, même les salaires les plus bas se convertissent en un facteur d’ajustement concurrentiel.


Aucune corrélation

Le rapport conjoint au G20 ne fournit pas la moindre preuve à l’appui de son assertion que des salaires minimums dépassant 40 pour cent du salaire médian seraient nuisibles pour l’emploi.

En réalité, si l’on examine d’autres études publiées par les institutions consignataires du rapport G20, on y découvre même des preuves du contraire.

À titre d’exemple, dans la mise à jour de 2006 du rapport Perspectives de l’emploi de l’OCDE, il est indiqué : « Un nombre considérable d’études ont conclu que l’impact négatif des salaires minimums sur l’emploi est modeste ou insignifiant » (Perspectives d’emploi 2006 de l’OCDE).

D’après une autre étude réalisée par l’OIT, à laquelle renvoie une note de bas de page dans le Rapport au G20, « les études empiriques… ont, jusqu’ici, manqué de relever une quelconque corrélation significative entre le salaire minimum et l’emploi ».

Qui plus est, le rapport de l’OIT, qui examine les expériences en matière de salaires minimums dans 13 pays européens, ne relève pas d’effets négatifs sur l’emploi en Irlande, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Suède, en Bulgarie et dans les pays baltes.

S’agissant des pays où la politique a conduit à des baisses (relatives) des taux de salaire minimum (Pays-Bas) ou a systématiquement favorisé des emplois faiblement rémunérés (Allemagne), force est de constater qu’au lieu de conduire à une amélioration globale de l’emploi, l’exercice a simplement consisté à remplacer des emplois de la catégorie de revenu moyen par des emplois faiblement rémunérés.

Autrement dit, des emplois médiocres sont venus se substituer aux emplois de qualité, et ce sans que de nouveaux emplois nets n’aient été créés.

Le seul avertissement qu’offre le rapport de l’OIT concerne la question de l’agencement dans le temps.

Faisant allusion au doublement du salaire minimum en Hongrie en 2001-2002, l’OIT insiste sur la condition que les salaires minimums soient ajustés d’une manière progressive et constante.

Cela est, toutefois, bien différent de la recommandation du G20, qui prône le maintien des salaires minimums à un niveau bas et indécent.

Enfin, il est fondamental de remarquer que cette discussion politique concernant un seuil « universel » n’a pas beaucoup de sens.

D’un point de vue statique, tout dépend de la distribution des compétences, de l’éducation et de la formation.

À partir du moment où cette distribution est plus égale, les salaires minimums peuvent et doivent même être considérablement rehaussés afin d’éviter tout risque d’exploitation.

D’un point de vue dynamique, le mécanisme d’ajustement sous-tendant la politique devrait être axé sur la mise à niveau des compétences et des pratiques d’entreprise, plutôt que sur un nivellement par le bas de salaires déjà excessivement bas.

En l’occurrence, des salaires minimums robustes peuvent, en réalité, servir d’incitation pour les employeurs, encourageant ces derniers à réorganiser leurs entreprises pour les rendre meilleures et plus performantes.

Voici une autre citation de l’OIT : « La Low Pay Commission, au Royaume-Uni, a insisté sur l’importance du salaire minimum pour encourager une concurrence basée, à la fois, sur la qualité et le prix ; pour promouvoir l’engagement et la loyauté des employés, pour réduire la rotation du personnel et privilégier l’investissement dans la formation, impulsant, par-là même, la productivité et la compétitivité des entreprises ».

Dans leur empressement aveugle à instaurer une flexibilité salariale débridée à travers l’Europe et la zone euro, les institutions internationales sont en train de négliger ces dimensions et fonctions essentielles de la politique sur les salaires minimums.