Face aux dangers des matières plastiques, un traité aux enjeux majeurs est en négociation

Face aux dangers des matières plastiques, un traité aux enjeux majeurs est en négociation

Workers make products at a household plastic company in Fuzhou, Fujian province, China. The question of ‘just transition’ in the plastics sector will be one of the biggest issues during negotiations for a global, legally binding plastics treaty in Nairobi, Kenya next month

(Costfoto/NurPhoto via AFP)

Le mot « plastique » évoque beaucoup de choses : commodité, artifice, économie, chirurgie. Lorsque Shirley Payne pense aux matières plastiques, elle se remémore une lutte terrifiante contre la suffocation en février 2023.

« J’ai cru que j’allais mourir », raconte cette ancienne enseignante de 77 ans, dont le jardin jouxte un complexe de raffineries de matières plastiques d’une superficie de 373 kilomètres carrés (144 miles carrés) à Port Arthur, au Texas, baptisé « cancer alley » (« allée du cancer »).

Shirley venait de se coucher lorsque « j’ai senti que le côté droit de ma langue grandissait », explique-t-elle à Equal Times. « J’ai essayé de déglutir, mais je n’y arrivais pas. Ma langue continuait à gonfler, alors j’ai pris le téléphone et j’ai appelé mon fils grâce à une touche d’appel rapide. Mais je ne pouvais pas lui dire ce qui n’allait pas. Je ne pouvais même pas parler. Il a accouru et m’a emmenée d’urgence à l’hôpital. À ce moment-là, j’étais en état de choc anaphylactique et ma langue était enveloppée dans une serviette. Elle m’arrivait à la moitié de la poitrine ».

Les médecins ont traité Shirley avec de la morphine et de l’éphédrine avant de la diriger vers un allergologue qui, déclare-t-elle, a attribué cette crise à « quelque chose dans l’air ».

Aujourd’hui, Shirley transporte deux inhalateurs d’urgence à l’éphédrine partout où elle va, mais la peur d’une nouvelle crise l’empêche de s’aventurer à l’extérieur plus de quelques minutes.

« C’est comme si je vivais dans une bulle », confie-t-elle à Equal Times par téléphone depuis Port Arthur. « J’ai même peur de m’asseoir sur ma terrasse et de respirer l’air extérieur. La rue est envahie de poussière blanche et chaque fois qu’une voiture passe, elle projette un panache. Lorsque j’ai appelé la mairie, on m’a répondu que l’on ne pouvait rien faire, car la raffinerie était propriétaire de la rue. C’est effrayant parce que je sais que ma vie est en danger ».

Le mari de Shirley, travailleur du secteur de la pétrochimie, est décédé d’un cancer du poumon après avoir souffert pendant des années d’asbestose ; un cas qui exemplifie à lui seul la crise sanitaire qui affecte son quartier.

Les négociations en vue d’un traité mondial juridiquement contraignant sur les matières plastiques, qui ont débuté l’année dernière et doivent reprendre à Nairobi, au Kenya, en novembre, seront l’occasion de s’interroger sur les moyens de garantir que justice soit rendue à des personnes comme Shirley. Pour les communautés comme celle de Shirley, le changement n’arrivera jamais assez tôt.

Vie et mort dans une « ville empoisonnée »

À Port Arthur, pas moins d’une personne sur 53 est confrontée à un risque accru de cancer, selon l’organisation de journalisme d’investigation ProPublica. Ce chiffre est 190 fois plus élevé que le taux acceptable d’une personne sur 10.000 fixé par l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis.

Les habitants de la ville affirment toutefois que les souffrances de Port Arthur ont été largement ignorées par les entreprises présentes dans la ville — notamment ExxonMobil, Texaco/Motiva, Chevron, Valero Refining, Total, Shell et Saudi Refining/Saudi Aramco — ainsi que par les autorités, car les habitants de la ville sont principalement des Afro-Américains et des Hispaniques pauvres qui ont toujours travaillé dans ces usines.

John Beard est un ancien responsable syndical d’United Steelworkers (métallurgistes unis) et le fondateur du Port Arthur Community Action Network (réseau d’action communautaire de Port Arthur). Pendant 38 ans, il a travaillé comme opérateur dans la raffinerie ExxonMobil de la ville.

Il déclare à Equal Times que les cadres de l’entreprise « ne vous connaissent pas. Nous n’allons pas à l’église ensemble. Nous ne faisons pas partie des mêmes cercles sociaux. Nos enfants ne vont pas à l’école ensemble et ne jouent pas dans les mêmes équipes de football ou de basket. Ils ne participent pas à la même équipe de pom-pom girls ou au même club de théâtre amateur. Nous n’avons pas cette relation parce que ces communautés ne se rencontrent pas et ne sont pas en contact les unes avec les autres. »

M. Beard explique qu’en raison de son travail, sa capacité pulmonaire est aujourd’hui réduite, mais que beaucoup de ses collègues ont subi des conséquences encore plus graves.

« Un de mes amis a appris l’année dernière qu’il avait contracté une forme de leucémie », déclare-t-il à Equal Times.

« Un autre collègue de Port Arthur est décédé. Il est tombé malade lorsque notre usine était en grève. Il a subi une batterie de tests et lorsqu’ils ont finalement déterminé qu’il avait un cancer, ils lui ont dit : “Il vous reste six semaines au plus à vivre et nous vous renvoyons chez vous pour que vous puissiez mettre vos affaires en ordre” : En fin de compte, il ne lui restait que quatre semaines à vivre, dont trois sous calmants à cause de la douleur ».

M. Beard récite les noms et les histoires d’autres collègues décédés d’un cancer à la manière d’une rubrique nécrologique d’un journal local. « Je connais des gens qui ont pris leur retraite un vendredi et qui n’étaient plus là le lundi », ajoute-t-il.

« La plupart des gens ne vivent pas plus de cinq ans après leur départ à la retraite. Je suis dans ma sixième année et je me considère donc comme chanceux, mais je connais beaucoup de gens qui ne le sont pas, tout cela parce qu’ils ont travaillé dans une usine et qu’ils ont été exposés à ces substances dans l’air continuellement, tous les jours de la semaine. »

Une habitante de la région, Etta Hebert, qui a survécu au cancer, avait un mari en rémission, une fille, une cousine et une sœur qui ont toutes trois contracté un cancer, un ex-mari qui est mort d’un cancer du foie et un frère qui est mort d’un cancer de la prostate.

« Nous vivons clairement au beau milieu d’un foyer de cancer », explique M. Beard. « Voilà ce que c’est que de vivre dans une ville empoisonnée. Les gens sont sacrifiés et nous en avons assez d’être malades et fatigués. Nous ne voulons plus de nouvelles usines pétrochimiques ».

Produits chimiques toxiques, travail décent et planète en bonne santé

Il est à ce point dangereux de travailler dans ce secteur qu’en 2013, une seule usine chimique de raffinage d’ExxonMobil en Louisiane a déclaré 76 accidents, notamment des incendies et des explosions, qui ont entraîné le rejet dans l’air de « près d’un demi million de livres (226,7 tonnes) de produits chimiques polluants ».

Les travailleurs « en amont » de la production, du raffinage et de la transformation des matières plastiques peuvent être exposés à des additifs chimiques dangereux tels que les phtalates, le bisphénol A (BPA), le plomb, les substances perfluorées (PFAS, également connues sous le nom de « produits chimiques éternels ») et les polybromodiphényléthers (PBDE). Ces substances peuvent être cancérigènes, toxiques pour la reproduction et perturber le système endocrinien. Pourtant, de nombreux travailleurs, peut-être même la plupart, ne disposent pas d’un équipement de protection adéquat, et l’ampleur des montagnes de matières plastiques qui s’accumulent ne permet pas aux travailleurs, à l’industrie et à la planète de s’en débarrasser facilement.

Cependant, pour de nombreux travailleurs, la menace à court terme d’une perte d’emploi peut l’emporter sur la crainte à plus long terme de contracter une maladie mortelle.

Tom Grinter, directeur pour les produits chimiques à la fédération syndicale internationale IndustriAll, déclare : « Tout le monde veut vivre dans un monde où les océans sont propres et sains pour notre planète. À l’avenir, la planète doit être protégée et tout le monde veut coopérer pour trouver des solutions aux problèmes environnementaux, mais évidemment pas au détriment de la protection des droits des travailleurs et des emplois décents ».

Il ajoute : « Pour un travailleur de l’industrie chimique au Pérou qui risque de se faire licencier juste parce qu’il a adhéré à un syndicat, le maintien du droit de former un syndicat l’emporte sur la question de l’économie circulaire dans l’immédiat ».

La question de la « transition juste » — à savoir comment gagner et garder le soutien des travailleurs des secteurs de la production, de la transformation et du raffinage dont les emplois sont en jeu — sera l’un des sujets les plus brûlants des négociations qu’exigera le traité sur les matières plastiques.

Un haut fonctionnaire de l’Union européenne participant aux négociations et s’exprimant sous couvert d’anonymat a déclaré à Equal Times : « Il faut absolument accorder une grande attention à la partie en amont du cycle de vie des matières plastiques, mais peut-être pas de la manière dont certains syndicats le souhaiteraient. Nous sommes en présence d’un secteur de production qui, dans certains cas, peut avoir un impact négatif sur l’environnement. Cela veut donc dire qu’il y aura un impact négatif sur la production et ils pourraient penser que cela aura un impact négatif sur les emplois dans l’industrie. C’est évident. »

M. Beard estime que, pour cette raison, les syndicats doivent être nuancés lorsqu’ils parlent de mettre fin à l’ère des combustibles fossiles ; parce que, de son point de vue : « Ce sont des propos provocateurs », selon ses propres termes.

En lieu et place, il propose un message simple et clair aux travailleurs qui risquent d’être licenciés : « Si votre ancien emploi dans l’industrie pétrochimique se termine le vendredi, le lundi matin, vous intégrez votre nouvel emploi dans le secteur des énergies renouvelables, propre et vert, avec un bon salaire vital et garanti par le syndicat, qui vous permet de ne pas manquer un seul salaire ».

Réduire les matières plastiques pour limiter le réchauffement climatique

Les matières plastiques sont tellement omniprésentes qu’on les retrouve dans tout, depuis les emballages alimentaires et les fœtus jusqu’aux meubles et à la neige fraîchement tombée en Antarctique. En septembre, des microplastiques ont même été détectés dans les nuages.

Or, des études indiquent que la production devra être réduite de 75 % d’ici à 2050, simplement pour respecter l’objectif de l’accord de Paris visant à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C. La tendance est toutefois à une augmentation explosive que l’industrie espère pouvoir absorber grâce à une élimination plus écologique.

La société londonienne Euro Petroleum Consultants, par exemple, a proposé un taux de recyclage des matières plastiques de 75 % pour contourner une hausse de plus de 100 % de l’utilisation des combustibles fossiles par le secteur d’ici à 2050. L’association professionnelle Plastics Europe appelle à un « investissement massif dans les infrastructures de collecte, de tri et de recyclage à l’échelle mondiale ».

Un négociateur du traité a soutenu en privé qu’il faudra couper les ailes à l’industrie dans tout futur traité sur les matières plastiques.

« Il est difficile d’envisager un accord sans imposer des obligations concernant le volume de la production primaire de matières plastiques », a déclaré la source. « Je pense que la discussion porte essentiellement sur la mise en place d’une sorte de limitation de la croissance de la production de matières plastiques. »

Pour autant, les États-Unis prennent la tête des nations qui entendent s’en tenir à des « plans d’action nationaux » volontaires, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi.

La production mondiale de matières plastiques a contribué à la croissance économique de l’après-guerre. Elle a explosé, passant de 2 millions de tonnes par an en 1950 à environ 380 millions de tonnes par an en 2015, produisant un volume cumulé de 6,3 milliards de tonnes de déchets. Si les tendances actuelles relatives à la production et à la gestion des déchets se maintiennent, les déchets plastiques devraient atteindre 12 milliards de tonnes d’ici à 2050. En outre, les émissions du cycle de vie du secteur du plastique représentant 1,3 gigatonne d’équivalent CO2 en 2020, ce chiffre devrait pratiquement tripler à l’horizon 2050 et atteindre 3,2 gigatonnes, ce qui pourrait condamner les générations futures à un changement climatique irréversible.

Residents and workers in the US coastal town of Port Arthur, Texas suffer from high rates of respiratory issues and cancer due to the high levels of pollution emitted by the many petrochemical companies and multinationals operating there.

Photo: SIPA US/Alamy

Avec une valeur marchande mondiale de 593 milliards de dollars US (561 milliards d’euros) en 2021, les matières plastiques sont véritablement du pain bénit pour les investisseurs. Comme l’affirmait la chanson « Barbie Girl » du groupe Aqua : « Life in plastic, it’s fantastic ».

Mais la facture de cette manne pour les investisseurs a été payée par la flore et la faune de la planète — à un coût annuel d’environ 3.700 milliards de dollars US (3.500 milliards d’euros) — ainsi que par les travailleurs de l’industrie et leurs communautés, pour une valeur totale qui n’a jamais été calculée.

À l’heure actuelle, à peine 9 % des matières plastiques sont recyclées, la mise en décharge et l’incinération étant beaucoup plus courantes, et ce, en dépit du coût environnemental. Le reste des déchets défigure les zones côtières, l’air, la terre et nos corps. Des microplastiques, qui peuvent contenir des produits chimiques toxiques et stimuler la libération de perturbateurs endocriniens, ont été détectés dans 75 % des échantillons de lait maternel dans le cadre d’une étude réalisée l’année dernière.

Taxer les multinationales pour financer les services publics de gestion des déchets

Selon Daria Cibrario, chargée de mission à l’Internationale des services publics (PSI), le traité sur les matières plastiques pourrait changer la donne s’il s’accompagne d’une vague mondiale « d’investissements publics adéquats » dans la collecte des déchets municipaux. Elle plaide en faveur de nouveaux efforts législatifs et de solutions entièrement biodégradables.

« Les autorités publiques devraient se montrer audacieuses et ne pas se contenter de sous-traiter ces activités au secteur privé, qui prospère souvent sur le dos de travailleurs vulnérables comme les récupérateurs de déchets tout en prônant les avantages de l’économie de marché », déclare Mme Cibrario. « Lorsqu’une menace pèse sur la survie sur la planète, nous ne pouvons pas compter sur les solutions offertes par le marché. Ce sont ces mêmes entreprises privées non régulées qui sont à l’origine du problème. Il incombe aux États d’exiger des acteurs du monde des affaires qu’ils rendent des comptes et de veiller à ce qu’ils paient leur juste part pour résoudre le problème. »

Elle poursuit : « Nous devons investir non seulement dans les infrastructures de gestion des déchets, c’est-à-dire équiper les pays afin qu’ils puissent assurer la collecte, le tri, le transport et l’élimination des déchets en toute sécurité, mais aussi dans le personnel. Dans le même temps, il est impératif de renforcer les finances des collectivités locales dans le but de créer des infrastructures humaines ». Les fonds nécessaires à cette fin devraient être collectés en taxant les pollueurs multinationaux, ajoute-t-elle.

Gerardo Gabriel Juara, secrétaire à l’environnement de l’Association des travailleurs de l’environnement de Buenos Aires, partage cet avis : « Il est évident que les nations et les entreprises doivent assumer un engagement collectif en faveur d’une transition vers des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans la chaîne du plastique et dans ses tâches auxiliaires », précise-t-il.

Adoum Hadji Tchéré, secrétaire général du Syndicat national des employés municipaux du Tchad (Synacot), appelle les États à encourager les matières plastiques biodégradables et à sensibiliser les populations à la réutilisation, au recyclage et à la réduction.

« La pollution plastique est un risque majeur pour nos membres dans les services de déchets, car elle provoque des infections respiratoires. Par ailleurs, les déchets plastiques entravent l’évacuation des eaux et provoquent des débordements dangereux lorsqu’il pleut : nos membres sont donc obligés d’enlever des bouchons formés de matières plastiques, ce qui augmente leur charge de travail et crée d’autres risques professionnels sur le terrain », explique-t-il.

Aucun travailleur laissé sur le carreau

Selon l’Organisation internationale du Travail, à travers le monde, quelque 15 à 20 millions de personnes travaillent dans l’économie informelle du recyclage et quatre millions supplémentaires dans le secteur formel. Bon nombre d’entre eux tombent malades ou passent leurs journées à travailler sur des montagnes d’ordures qui peuvent s’élever jusqu’à trois mètres de hauteur dans des endroits tels que la décharge de Dandora, à Nairobi, qui a été touchée par une alerte au choléra en 2018.

Les syndicats et de nombreux défenseurs de l’environnement souhaitent que tous les travailleurs du secteur des déchets — y compris les récupérateurs de déchets — bénéficient de conditions de travail décentes, tout en veillant à ce que les travailleurs en amont ne soient pas laissés sur le carreau.

« Nous ne pouvons pas compter sur une armée de travailleurs pauvres pour mettre en œuvre la vision utopique d’une économie circulaire où 100 % des déchets plastiques sont recyclés et où les entreprises peuvent continuer à produire », prévient Mme Cibrario. « Les travailleurs du secteur des déchets travaillent parfois dans des conditions déplorables, sans contrat, sans EPI (équipement de protection individuelle), sans formation ni même sécurité sociale de base. Un grand nombre d’entre eux, qui travaillent dans des décharges illégales, souhaitent conserver leur droit au travail. Nous leur disons : “Vous avez le droit de travailler : vous avez le droit au travail, mais à un travail décent” ».

Les multinationales et les associations de l’industrie du plastique se sont désormais alliées à certains groupes de récupérateurs de déchets, une tendance que les syndicats considèrent comme cynique et porteuse de divisions.

Bert De Wel, coordinateur de la politique climatique mondiale de la Confédération syndicale internationale (CSI), ajoute : « L’accent placé sur les récupérateurs de déchets [dans les négociations] est très important, dans la mesure où il s’agit des travailleurs les plus vulnérables de la chaîne de valeur, mais cette démarche n’est pas neutre d’un point de vue politique. Elle déplace l’attention sur les phases de déchets et de recyclage des matières plastiques, ce dont certaines parties sont très satisfaites, car elles n’ont alors plus à parler de la prévention des déchets à la source. »

La troisième conférence intergouvernementale de négociation (INC-3), qui se tient au siège du Programme des Nations unies pour l’environnement à Nairobi du 13 au 19 novembre, se penchera sur ces questions, après la publication du premier avant-projet de texte de négociation en septembre.

Le nouveau texte ne contient pas de décisions, mais une palette d’options multiples qu’un défenseur de l’environnement a décrit comme rassemblant « tous nos rêves et tous nos cauchemars ». Reste à savoir lesquels l’emporteront.

Le cinquième et dernier cycle de négociations devrait s’achever d’ici à la fin de l’année 2024 et un traité devrait émerger au début de l’année 2025.

Cet accord est censé introduire des mesures juridiquement contraignantes à toutes les étapes du cycle de vie des matières plastiques, depuis le secteur pétrochimique qui assure la production, la transformation et le raffinage en amont, jusqu’aux collecteurs de déchets municipaux et aux récupérateurs de déchets en aval.

Matières plastiques : la solution de repli pour l’industrie des combustibles fossiles

Les produits pétrochimiques sont considérés comme une solution de rechange pour l’industrie des combustibles fossiles en raison de leur capacité à compenser la baisse de la demande dans d’autres secteurs, à mesure que les véhicules électriques se multiplient et que la révolution des énergies renouvelables progresse. Aujourd’hui, les produits pétrochimiques représentent environ 10 % de l’ensemble des combustibles fossiles utilisés.

Daniela Durán González, chargée de campagne juridique principale au Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL), déclare à Equal Times : « À mesure que les négociations avancent, nous constatons de plus en plus la présence d’industries qui considèrent les plastiques comme la solution de repli pour l’industrie des combustibles fossiles : Les États pétroliers commencent à s’opposer et à résister à l’avancée des négociations, et les grands producteurs de polymères et de précurseurs du plastique, ainsi que les entreprises très liées aux producteurs de pétrole et de gaz du monde, sont en train de s’impliquer. »

Une autre membre du CIEL, Jane Patton, a indiqué que lors de la dernière INC à Paris, les géants du pétrole Shell et Exxon ainsi que la société chimique allemande BASF figuraient parmi les entreprises ayant envoyé du personnel pour faire du lobbying.

Mais le fonctionnaire européen qui a discuté avec Equal Times repousse l’idée que les producteurs de matière plastique devraient être exclus des négociations parce qu’ils sont en situation de conflit d’intérêts. « Il est tout à fait normal que ces entreprises soient incluses dans les discussions », déclare la source anonyme. « Cela ne signifie pas que nous sommes d’accord avec tout ce qu’elles disent, mais nous nous inquiéterions beaucoup si elles n’étaient pas présentes, car cela signifierait qu’elles ne prennent pas ce que nous faisons au sérieux ».

L’un des points cruciaux de la négociation portera sur les réductions obligatoires de la production de matières plastiques à base de combustibles fossiles. La proposition se heurte à l’opposition des États-Unis, des pays du Golfe et de certains pays asiatiques.

Une tentative japonaise de limiter le traité à la pollution marine et à l’élimination des matières plastiques a été repoussée l’année dernière. Plus de 150 groupes de la société civile et scientifiques ont par la suite signé une lettre dénonçant le lobbying exercé par l’industrie lors des négociations.

« Il est évident que les pays et les industries dépendant des combustibles fossiles voient d’un très mauvais œil les discussions sur les dispositions affectant les volumes de production des plastiques primaires », prévient le fonctionnaire européen. « Cette question sera un sujet de discussion très difficile ».

Les nations réfractaires soutiennent que la pollution par les matières plastiques peut être endiguée grâce à des programmes de réutilisation, de recyclage et de réduction des déchets qui permettent à la production de continuer à croître. Le plafonnement de la production serait soutenu par un groupe plus ambitieux de 59 pays.

Des questions telles que les subventions publiques à la production de matières plastiques, l’interdiction mondiale des matières plastiques à usage unique et les restrictions sur les produits chimiques toxiques pourraient également constituer des points d’inflexion dans les négociations, selon certaines sources éclairées.

« Nous aurons toujours besoin de matières plastiques »

La question de savoir qui financera les pays opérant une transition qui abandonne les matières plastiques non durables deviendra inévitablement un objet de marchandage, autour de questions comme celle de savoir qui en tirera profit.

Le fonctionnaire de l’UE a décrit cette question comme étant une question « délicate » qui pourrait finalement être résolue par une aide bilatérale par l’intermédiaire d’agences multilatérales, plutôt que par un mécanisme financier soutenu par les gouvernements. Mais « il existe un élément important de transformation industrielle et économique qui nécessitera une mobilisation importante de ressources aux niveaux nationaux dans tous les pays », ajoute le fonctionnaire.

Alors que des groupes patronaux comme Plastics Europe militent pour une « production durable de matières plastiques » pour les décennies à venir, Maike Niggemann, conseillère politique principale du syndicat IndustriAll, affirme que « nous aurons toujours besoin de matières plastiques, c’est une évidence ».

Les défenseurs de l’environnement souhaitent que davantage d’alternatives aux matières plastiques soient introduites dans la chaîne de production, et ce, le plus rapidement possible, mais Mme Niggemann souligne l’énorme gamme de produits qui en dépendent actuellement.

« Il n’est pas possible de remplacer toutes les matières plastiques, donc je ne pense pas qu’il y aura une “élimination progressive” complète », déclare-t-elle. « Il y aura davantage de circularité. Nous chercherons des matières premières différentes et certaines matières plastiques aux propriétés dangereuses devront peut-être être éliminées progressivement, mais un avenir entièrement dépourvu de matières plastiques n’est pas un avenir souhaitable. »

Un négociateur consulté par Equal Times partage le même avis : « Il est difficile de voir, même dans le cadre de scénarios très optimistes, comment nous pourrions parvenir à un accord avec des objectifs de réduction des volumes de plastique. » Il poursuit : « Je pense que la discussion porte essentiellement sur la mise en place d’une sorte de limitation de la croissance de la production de matières plastiques. »

Pendant ce temps-là, à Port Arthur, John Beard évalue les possibilités de voir des tempêtes provoquées par le réchauffement climatique frapper de plus en plus puissamment la côte du Texas, mais son analyse n’est pas la même. « C’est de la pollution et la pollution peut être mortelle », déclare-t-il. « Nous devons couper la tête du serpent, car si ces produits sont nocifs, nous ne devrions pas les exporter, et d’autres ne devraient pas les recevoir. »

Il faudrait dire aux entreprises qui refusent d’assumer la responsabilité des dommages causés par leurs produits : « “Vous n’avez plus de marché pour faire du commerce” », poursuit-il. « Nous n’achèterons aucun des produits que vous produirez. Nous les éliminerons progressivement et vous ferez faillite ».

« Ces entreprises ne comprennent rien d’autre que l’argent », conclut M. Beard. « Si vous leur enlevez la possibilité de gagner de l’argent, ils changeront de comportement. »