Peur et fureur dans la Turquie d’Erdogan

 

La résistance populaire en Turquie entre dans sa troisième semaine.

Depuis samedi 20h00, des heurts soutenus ont opposé protestataires et policiers sur la place Taksim, ainsi que dans beaucoup d’autres quartiers d’Istanbul.

La police a brutalement chargé des manifestants pacifiques pour évacuer le parc Gezi. Elle s’est notamment servie de gaz lacrymogène, de canons à eau chargés de gaz poivré liquide et de balles en caoutchouc.

 

Aux premières heures du vendredi matin, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a rencontré des représentants du mouvement Solidarité Taksim, dont le secrétaire général de la DİSK, Arzu Çerkezoglu, pour trouver une issue aux protestations persistantes.

Le ton du Premier ministre dénotait colère et belligérance ; à peine la rencontre était-elle clôturée qu’il a traité Çerkezoglu d’ « ultra-syndicaliste ».

Plus tard, toutefois, un porte-parole du gouvernement a concédé que le verdict de la justice serait respecté quant à la poursuite ou non du projet de construction d’un centre commercial sur l’emplacement actuel du parc Gezi.

Mais à l’heure qu’il est, cela ne suffit plus.

Une telle déclaration du gouvernement trois semaines plus tôt aurait éventuellement livré une solution. Mais au cours des derniers 21 jours, cinq personnes sont mortes et plus de 7000 ont été blessées. Quinze personnes ont perdu la vue, 50 sont gravement blessées et des milliers d’autres ont été placées en garde à vue.

Aux quatre coins du pays, des millions de personnes ont envahi les rues pour réclamer la démission du gouvernement.

Elles auraient été près de 10 millions, selon la presse, mais leur nombre était probablement plus élevé dans la réalité.

Le gouvernement a, à présent, barré tout accès public au parc Gezi et a, une fois de plus, qualifié les contestataires de « groupes marginaux, illicites ».

Ces mesures ont suscité l’opposition et l’objection des citoyens.

Samedi, le mouvement Solidarité Taksim s’est engagé à ramener dans l’ordre la mobilisation en retirant une partie des barricades et en démantelant une partie des tentes dans le parc.

Cependant, à 20h00, la police armée de bombes lacrymogènes et de balles en caoutchouc a lancé l’assaut sur le parc Gezi, blessant des centaines de personnes et détruisant les structures érigées par les manifestants.

Depuis, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues d’Istanbul pour prendre part à des manifestations spontanées.

Les protestataires ont bloqué la circulation sur la principale autoroute internationale et ont défilé jusqu’à la place Taksim. Ils ont ensuite traversé le pont qui enjambe le Bosphore jusqu’à sa rive asiatique. Partout, des heurts ont opposé manifestants et policiers.

 

Brutalité policière

Les agents de police sont normalement tenus de porter un numéro de matricule sur leur casque, une règle qui a systématiquement été bafouée au cours des derniers jours, leur permettant d’agir en toute impunité.

Ils se sont attaqués à des manifestants dans des centres commerciaux, des domiciles privés et des hôtels cinq étoiles.

La violence policière a été sans bornes et je crains qu’il n’y ait beaucoup plus de morts.

Les heurts se sont étendus à d’autres villes turques comme Ankara, Adana, Izmir et Eskisehir.

Les gens sont descendus dans les rues même dans des bastions progouvernementaux comme Kayseri et Konya.

Dimanche ont eu lieu les funérailles d’Ethem Sarisülük, un manifestant de 27 ans tué d’une balle dans la tête tirée à bout portant par la police.

L’incident a été filmé et diffusé internationalement, ce qui n’a pourtant pas empêché la police d’attaquer le cortège funéraire avec des canons à eau.

Les centrales syndicales turques DISK (Confédération des syndicats progressistes de Turquie) et KESK (Confédération syndicale des travailleurs du secteur public) ont déclaré une grève générale et appelé leurs membres à se rallier aux manifestations antigouvernementales.

La réaction du Premier ministre Erdogan aux mouvements contestataires a consisté à polariser la population et à réprimer la dissension par la violence.

D’autre part, il a mobilisé ses partisans à travers des rassemblements de masse à Ankara et Istanbul, où des fonds publics ont servi à financer la nourriture et le transport des participants.

Erdogan accuse la CNN, la BBC et les autres médias internationaux de diffuser des informations « fabriquées ».

Par ailleurs, il accuse des groupes d’intérêt étrangers et nationaux d’entraver l’accession de la Turquie au rang de puissance internationale.

Ce qui ne l’a guère empêché de convoiter jusqu’il y a peu l’accession à l’UE et à l’OTAN, tout en bénéficiant du soutien des États-Unis.

Erdogan menace les protestataires en les taxant de « pillards » et de « traitres ».

Ce faisant, son intention est de consolider ses bases de soutien. Après avoir remporté près de 50 pour cent des suffrages aux dernières élections, il affirme qu’il continue de bénéficier du soutien de 50 pour cent de l’électorat, tout en menaçant les 50 pour cent qui n’ont pas voté pour lui.

Il est, toutefois, de notoriété générale que le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP) est formé d’une coalition de différents groupes.

Selon les estimations, les islamistes politisés constitueraient 10 pour cent de sa base de soutien.

Le gouvernement AKP est arrivé au pouvoir à l’issue de la crise économique de 2001 qui avait précipité la chute du centre-droit.

Des électeurs qui avaient auparavant voté pour des partis séculiers du centre-droit ont voté Erdogan pour son programme de stabilité économique, un soutien qu’il est désormais susceptible de perdre pour cause de la répression des manifestations de la place Taksim et de son régime autoritaire.

Outre les indicateurs économiques peu brillants de cette dernière année, la livre turque affichait, ce jeudi, son cours le plus bas des 18 derniers mois au terme de plusieurs mois de troubles.

Pour couronner le tout, sa politique aventureuse sur la Syrie lui a valu de se retrouver dans le collimateur des États-Unis.

Il est important de relever que l’économie de la Turquie est fortement tributaire de la dette extérieure. D’où la crainte du gouvernement de voir le tarissement du flux de la dette entraîner l’effondrement de l’économie.

Aussi, en polarisant la nation Erdogan cherche-t-il à consolider son pouvoir et à prouver au reste du monde qu’il continue de jouir du soutien populaire.

Les mobilisations citoyennes massives contre l’usage excessif de violence par les forces de l’ordre au cours des dernières semaines signaleraient toutefois la fin imminente du règne d’Erdogan.

Le peuple turc appelle la communauté internationale à se solidariser à sa cause.

 

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