Quelles leçons tirer de l’annulation de l’élection présidentielle au Malawi ?

Le 3 février 2020, Charles Kajoloweka était collé à son poste de radio dans son bureau à Mzuzu, ville du nord du Malawi, lorsque les juges ont prononcé ce qui allait être un arrêt historique. Les cinq magistrats du tribunal de grande instance siégeant en tant que Cour constitutionnelle avaient entendu depuis plus de trois mois les avocats des deux principaux partis d’opposition du pays, le Malawi Congress Party (MCP) et le United Transformation Movement (UTM). Ceux-ci ont fait valoir que l’élection présidentielle de mai 2019 avait été truquée, en invoquant l’utilisation sporadique de liquide correcteur blanc pour modifier les feuilles de résultats des bureaux de vote en faveur du président sortant, Peter Mutharika, du Parti démocrate progressiste (Democratic Progressive Party, DPP).

Le gouvernement et la Commission électorale du Malawi (Malawi Electoral Commission, MEC) ont insisté sur le fait que les irrégularités n’étaient pas suffisamment importantes pour modifier le résultat final de l’élection, dans laquelle Peter Mutharika a obtenu 38,57 % des voix, Lazarus Chakwera du MCP 35,41 %, suivi en troisième position de Saulos Chilima de l’UTM, avec 20,24 % du total des voix. Dans un jugement sans précédent de 500 pages invoquant des « anomalies et des irrégularités » qualifiées de « généralisées, systématiques et graves », lu en direct et dans son intégralité à la radio durant 10 heures, la Cour constitutionnelle a annulé le résultat contesté et ordonné la tenue d’une nouvelle élection présidentielle dans les 150 jours. La date du scrutin était fixée au 2 juillet, mais dans le contexte de la pandémie de coronavirus, le président Mutharika a décrété une mise en quarantaine et la MEC a suspendu l’inscription des électeurs.

« Nous avons vécu des moments palpitants », indique Charles Kajoloweka, qui est aussi directeur exécutif de la Youth and Society (YAS), une organisation de la société civile locale. « C’était une manifestation de la réalité sur le terrain, qu’avec de la détermination, tout est possible. »

L’annulation d’une élection marque une étape démocratique importante non seulement pour cette nation du sud-est de l’Afrique, mais aussi pour d’autres pays de la région.

Ainsi, Calum Fisher, chercheur en politique malawienne à la School of African and Oriental Studies (SOAS) de la University of London, a écrit : « Dans un continent où la démocratie reste en grande partie imparfaite et fragile, le jugement du Malawi, dans sa défense de l’indépendance judiciaire, a porté un coup très dur à l’exécutif. »

Après l’indépendance du Malawi de la Grande-Bretagne en 1964, Hastings Kamuzu Banda a dirigé le pays d’une main de fer pendant 30 ans, emprisonnant, tuant et forçant ses opposants à l’exil, s’étant entre-temps proclamé président à vie en 1971. Bien que le Malawi soit devenu une démocratie multipartite en 1994, le pays s’affronte à de nombreux défis, dont une corruption endémique, un manque de transparence et de responsabilité, ainsi qu’une pauvreté et une inégalité généralisées.

Les acteurs de la société civile et les organisations de base multiplient, néanmoins, leurs revendications en matière de responsabilité et de justice. Au cours des mois qui ont suivi l’élection de mai 2019, les principales villes du pays ont été balayées par une vague de manifestations massives qui contestaient le résultat du scrutin et réclamaient la démission de la présidente de la MEC, Jane Ansah.

Peter Mutharika – ancien professeur de droit aux États-Unis, spécialisé dans le droit économique international, le droit international et, ironie du sort, le droit constitutionnel comparé – est arrivé au pouvoir en marchant sur les traces de son frère aîné, le président Bingu wa Mutharika, décédé en fonction en 2012. Accusé de trahison après qu’une enquête a révélé qu’il avait tenté de recourir à l’armée pour empêcher Joyce Banda, vice-présidente dans l’administration de Bingu wa Mutharika, d’accéder au pouvoir suite au décès de son frère, Peter Mutharika a finalement remporté une autre élection contestée en 2014 et est devenu président.

Mais cette fois, les efforts persistants de l’opposition, de la société civile et des organisations communautaires ont débouché sur une issue que peu de gens auraient pu imaginer. Pour Charles Kajoloweka, dont l’organisation appartient à la Malawi Human Rights Defenders Coalition (HRDC), le peuple du Malawi ne méritait pas moins : « C’était une élection chaotique que l’on aurait difficilement pu qualifier de crédible. En tant qu’organisation de la société civile, nous avons la responsabilité de sauvegarder les principes démocratiques, y compris la volonté exprimée par le peuple en se rendant aux urnes. Nous ne pouvions nous contenter de moins », ajoute-t-il.

Leçons tirées

Les observateurs insistent sur le fait qu’il y a d’importantes leçons à tirer de la récente expérience du Malawi sur le plan de la défense de la démocratie.
« Parmi les enseignements que d’autres pays pourraient tirer de l’expérience malawienne, il y a la façon dont la HRDC et d’autres organisations ont réussi, grâce à des mobilisations populaires massives, à maintenir l’attention braquée sur la question des élections. La stratégie semble efficace », déclare Nicholas Cheeseman, professeur de démocratie à l’université de Birmingham et co-auteur du livre « How to Rig an Election » (Comment truquer une élection), paru en 2018. « Voilà probablement l’une des stratégies sur lesquelles les partis et organisations d’opposition d’autres pays pourraient se pencher et dont ils pourraient tirer des enseignements s’ils venaient à être confrontés à une élection douteuse. »

Dans un article paru dans la foulée de l’arrêt, Andrew Harding, correspondant de la BBC Afrique, a écrit : « Les juges [de la cour constitutionnelle] ont soutenu, en substance, que les Malawiens méritent, et devraient aspirer à une élection de “grade A”, peut-être pas parfaite – car qui donc peut prétendre à cela ? – mais pour le moins exempte d’abus systémiques. Ils ne devraient certainement pas s’accommoder de l’élection C+ si familière que certaines nations et institutions semblent encore tolérer ou encourager. »

Lorsque des élections sont contestées en Afrique, les décisions de justice vont rarement à l’encontre des partis au pouvoir. Les cas récents incluent l’élection de 2018 au Zimbabwe. Au Malawi, il y a même eu des tentatives de corruption de juges par des parties dont l’identité n’a pas été divulguée, qui cherchaient ainsi à obtenir un gain de cause pour le président (un banquier renommé a été arrêté ultérieurement dans le cadre de cette affaire de corruption).

Le fait que les juges se soient quand même prononcés contre le gouvernement démontre, selon M. Cheeseman, que le Malawi possède « des institutions démocratiques indépendantes qui – même si elles ne sont pas parfaites – sont probablement plus autonomes que dans d’autres pays africains ».

Le Malawi a suivi le précédent créé par le Kenya en septembre 2017, lorsque les juges de la Cour suprême du Kenya ont annulé la victoire électorale du président sortant Uhuru Kenyatta, invoquant des irrégularités et le non-respect de la constitution du pays dans la conduite du scrutin. La tenue d’un nouveau scrutin dans les 60 jours avait alors été ordonnée. Celui-ci a finalement été remporté par Uhuru Kenyatta. À l’issue du jugement du Malawi, plusieurs références ont été faites à l’arrêt kenyan.

Les décisions des tribunaux du Malawi et du Kenya ont eu et continueront à avoir un impact significatif sur la démocratie et l’État de droit. Tout d’abord, les juges des deux pays ont indiqué qu’un manquement à la procédure devait être considéré comme suffisant pour entacher le résultat d’une élection ; il n’est pas nécessaire de prouver que l’opposition aurait effectivement gagné. De façon plus significative, les deux décisions ont créé un précédent pour la notion selon laquelle il n’est pas nécessaire de connaître le nombre exact de voix perdues ou gagnées pour annuler le résultat. De telles mesures en faveur de l’intégrité électorale envoient un signal fort au monde entier, a fortiori dans un contexte mondial marqué par une succession d’élections et de référendums contestés.

Selon Herman Manyora, stratège en politique et en communication basé au Kenya, l’Afrique se trouve désormais à un stade où le rôle crucial d’un pouvoir judiciaire indépendant a été légitimé et sera démontré au cours des mois et des années à venir – en particulier sur un continent qui abrite six des dix dirigeants les plus anciens du monde.

« Sachant que nous aurons aux alentours de six élections en Afrique cette année, je ne serais pas surpris qu’une ou deux d’entre elles soient annulées. C’est une façon de faire avancer la démocratie, car ceux qui sont au pouvoir sauront qu’ils ne peuvent pas se maintenir en place en recourant à des moyens frauduleux. C’est bon pour la démocratie et c’est bon pour l’Afrique », a-t-il affirmé.

Au Malawi comme au Kenya, toutefois, la décision de la justice se heurte à un certain nombre d’obstacles. « Les tribunaux peuvent prendre des décisions, créer des précédents, et ils peuvent aussi stipuler ce qui doit survenir par la suite. En revanche, les tribunaux ne contrôlent pas la législation et ne peuvent pas légiférer », souligne M. Cheeseman. « Le pouvoir d’exécution dont ils disposent est limité… et ils ne contrôlent pas, non plus, la sécurité, qui leur assurerait que les décisions sont respectées. »

Au Kenya, même si la justice a annulé le premier scrutin, cela n’a pas résolu la crise politique du pays. Au contraire, l’annulation a entraîné une période de tensions et de violences qui ont conduit à un retour aux urnes. « Je pense que le cas du Kenya a démontré qu’à moins que nous fassions preuve de suffisamment d’audace, les décisions de justice ne nous garantiront pas nécessairement des élections de meilleure qualité ou une meilleure démocratie. Il n’en demeure pas moins que nous assistons au commencement d’un processus dans lequel d’autres groupes et organisations devront s’impliquer et se montrer fidèles non seulement à la lettre [de la loi] mais aussi à l’esprit du jugement », a déclaré M. Cheeseman.