La lutte des paysans colombiens pour le droit à la terre

 

Après des années d’indifférence du gouvernement national à l’égard des besoins de l’agriculture et du développement rural, le sentiment d’abandon et de méfiance a grandi parmi les paysans colombiens.

En réponse à cet éternel oubli, le 19 août dernier, plus de 100 000 paysans – principalement dans les départements du Boyacá, Cauca, Caldas, Putumayo, Cundinamarca, Nariño, Huila et Risaralda – sont descendus dans la rue et ont déclenché un mouvement de grève qui les a amenés à bloquer les routes nationales, menaçant ainsi l’approvisionnement alimentaire de différentes régions du pays.

Au-delà des revendications d’ordre économique – telles que l’impossibilité de concurrencer les importations agricoles, la difficulté d’accès aux marchés et le manque de crédit –, les paysans ont pu, grâce à cette action menée dans de nouveaux espaces de lutte, mettre en avant des questions sociales : le droit à une vie digne, au travail et la citoyenneté.

La vague néolibérale qui s’est développée en Amérique Latine depuis les années 90, et en particulier dans le secteur agricole colombien, avait amorcé l’effritement de l’architecture de l’État régulateur, capable dans le passé de prendre en charge les risques liés à la production agricole.

Le modèle de développement s’est depuis lors appuyé sur la déréglementation de l’État, entraînant ainsi une privatisation des services techniques et de crédit et une précarisation des conditions de travail.

Ces politiques ont débouché sur un secteur rural – qui concerne 32 % de la population colombienne – caractérisé par une production agricole orientée vers les cultures intensives, une exploitation des terres contrôlée par les multinationales et une augmentation de la pauvreté et de l’exode rural.

Lors d’une entrevue accordée à ElTiempo.com, le dirigeant des manifestations paysannes dans le Boyacá, César Pachón Achury, a appelé les paysans d’autres régions à s’organiser pacifiquement. En outre, il a identifié les traités de libre-échange avec les États-Unis et l’Union européenne, ainsi que les problèmes qui sont suscités par ces traités, comme étant les problématiques fondamentales à mettre en avant.

Aujourd’hui, cela revient moins cher d’importer certains produits agricoles et denrées alimentaires d’autres blocs économiques – Communauté andine, Alliance du Pacifique, Mercosur – que de les produire en Colombie.

Le président Juan Manuel Santos a tenté de neutraliser le mouvement des paysans, en donnant l’ordre de démanteler les barrages des routes, en affirmant que la guérilla avait infiltré le mouvement paysan et, par la suite, en niant la portée nationale de la lutte.

Ces mesures n’ont cependant pas suffi à mettre un terme aux revendications paysannes qui se sont poursuivies avec le soutien de la population : « Nous sommes tous des paysans ! »

Trois semaines de lutte – accompagnée de manifestations dans plusieurs villes et soutenue par les indigènes, les camionneurs, les étudiants et les mineurs – ont obligé le gouvernement à s’asseoir à la table de négociation du « Pacte national pour l’agriculture et le développement rural ».

En dépit d’un changement dans l’organisation des paysans, leurs revendications demeurent identiques : régler le problème de la distribution des terres et adopter des politiques de développement rural. C’est le constat dressé par l’analyse ¿Quiénes son los campesinos colombianos hoy? (Qui sont les paysans colombiens d’aujourd’hui ?), menée par les chercheurs de l’Institut colombien d’anthropologie et d’histoire (ICANH) et les universités du Rosario et du Cauca.

Un des moyens d’enrayer le phénomène, rendu d’ailleurs encore plus complexe par la présence du conflit armé, est d’améliorer l’accès à la terre tout en rendant l’utilisation des terres plus efficiente.

Germán Zarama, avocat de l’Unidad de restitución de tierras (Unité de restitution des terres), a signalé à Equal Times que « depuis sa constitution en 2011, cet organisme public a restitué – par le biais de 233 jugements – 529 propriétés agricoles à des paysans spoliés par des groupes qui agissent hors la loi, comme la guérilla, les paramilitaires et les trafiquants de drogue ».

Zarama affirme également que « ce n’est pas une politique d’assistanat qui permettra au gouvernement de résoudre les revendications des paysans, mais plutôt une vision à long terme fondée sur une politique de restitution des terres et de redistribution des revenus, ainsi que sur le développement de l’emploi rural, les aides au crédit et la pénalisation de l’improductivité ».

Le gouvernement, pour s’acquitter de sa dette à l’égard du secteur rural, s’est engagé à protéger les produits colombiens en réalisant une révision des importations, en facilitant l’accès aux crédits et en réduisant les tarifs douaniers pour les produits agrochimiques.

À l’heure actuelle, les paysans demandent au gouvernement de respecter intégralement les accords conclus et de mettre en place des mesures concrètes ; dans le cas contraire, un nouveau mouvement de protestation sera envisagé.

 

Un court métrage sur les protestations est sorti récemment. Vous pouvez le voir en intégralité ci-dessous.

OVEJAS TOREADAS de Balaclava Films / IriartePhoto sur Vimeo.