Le dilemme du gaz de schiste en Roumanie

 

Au cours du premier semestre 2014, une série de référendums se déroulera dans des villes et villages roumains qui, bien que disposant d’importantes ressources en gaz de schiste, sont dans leur majorité opposés à l’exploitation de cette source d’énergie non conventionnelle à proximité de chez eux, pour des raisons environnementales.

Le processus d’extraction du gaz des roches poreuses, appelé fracturation hydraulique, hydro fracturation ou ‘fracking’ en anglais, nécessite l’injection dans le sous-sol de grandes quantités d’eau mélangées à du sable et à des produits chimiques, permettant d’extraire le gaz piégé dans la roche et de l’acheminer vers un puits où il sera récupéré.

Cette technique est utilisée aux États-Unis depuis plus d’un demi-siècle, mais les risques environnementaux qu’elle comporte font froncer des sourcils en Europe. En France, en Bulgarie, en République tchèque et aux Pays-Bas, les gouvernements ont d’ailleurs suspendu les travaux d’exploration du gaz de schiste sur leurs territoires.

L’Agence américaine d’information sur l’énergie (US Energy Information Administration,  EIA) estime à 51.000 milliards de mètres cubes les réserves non prouvées de gaz de schiste techniquement récupérables en Roumanie, soit assez pour répondre aux besoins énergétiques du pays pendant environ 100 ans. La Roumanie a levé son moratoire sur l’exploration du gaz de schiste en mars dernier.

 

Risques environnementaux

De leur côté, les habitants des villages disposant d’un potentiel d’exploration opposent toujours leur véto à la fracturation, contre laquelle ils continuent de protester.

En effet, beaucoup considèrent que les risques environnementaux liés au gaz de schiste font peser une menace directe sur leur mode de vie : ces villages dépendent de l’agriculture de subsistance, et la qualité des sols et de l’eau est donc fondamentale.

Les cas de dommages causés à l’environnement par l’hydrofracturation renforcent leurs craintes.

La plupart de ces villages et communes de Roumanie sont isolés, mais ont accès à l’information internationale: les habitants ont découvert le désormais célèbre documentaire américain, « Gasland », sorti en 2010, dans lequel on voit des flammes provoquées par des fuites de méthane s’échappant des robinets des maisons.

Par ailleurs, les cas de contamination de puits d’eau potable situés à proximité de sites de fracturation en Pennsylvanie (États-Unis), ne favorisent pas non plus le développement du gaz de schiste en Roumanie.

 

Énergie conventionnelle contre énergie non conventionnelle

L’une des premières communes ayant prévu d’organiser un référendum cette année en Roumanie est Sânmartin. Comptant moins de 10.000 habitants, elle regroupe six villages, dont Baile Felix, station thermale réputée.

Le maire de la petite commune voisine de Sântandrei a annoncé, en décembre dernier, qu’il suivrait cet exemple et « réfléchirait » lui aussi à l’organisation d’un scrutin.

Des référendums devraient se tenir tout au long de l’année. L’un d’entre eux se déroulera le 9 février à Puieşti, commune du département de Vaslui, dont les ressources en gaz de schiste sont importantes - ressources dont le géant américain de l’énergie Chevron a acquis les droits d’exploration.

« Il est normal que la population soit consultée sur une question d’une importance aussi capitale pour la communauté. Nous verrons ce que les citoyens décident, » a, selon Ziare.com, déclaré le maire de Puieşti, Costel Moraru, lors d’une réunion de conseillers locaux le 31 décembre 2013.

Mais les tentatives locales de mobilisation de l’opinion publique sur l’exploration du gaz de schiste se heurtent déjà à une opposition farouche.

Le responsable du département de Bihor, Claudiu Pop, a qualifié le référendum d’ « illégal ».

« Un tel référendum outrepasserait les prérogatives des autorités locales, » a affirmé M. Pop aux journalistes de l’agence nationale de presse Mediafax.

Selon lui, la législation nationale prévoit que les ressources souterraines sont la propriété de l’État, et relèvent de l’intérêt national, et non local.

« M. Pop a intenté des poursuites contre le village au sujet du futur scrutin », a déclaré un représentant de la municipalité de Sânmartin à Equal Times. « L’exercice de notre droit d’organiser un référendum est suspendu pour la durée de la procédure. »

Sânmartin espère gagner le procès. L’année dernière, quinze communes ont intenté une action en justice contre le gouvernement pour pouvoir interdire la fracturation hydraulique sur leurs territoires, et trois d’entre elles ont obtenu gain de cause : Șuletea, Pogana et Alexandru Vlahuță.

L’actuelle formulation de la loi roumaine sur les ressources nationales ne mentionne que les sources d’énergie conventionnelles, alors que le gaz de schiste est une ressource non conventionnelle : la loi est donc sujette à interprétation. Cet argument décisif a permis aux communes de gagner le procès, et a fait jurisprudence.

 

Bataille contre un géant de l’énergie

Pungeşti attend également que le gouvernement se prononce sur sa demande d’interdiction de la fracturation hydraulique. Cette commune du nord-est de la Roumanie est désormais célèbre : des centaines de manifestants arpentent les rues depuis octobre 2013, date à laquelle la compagnie gazière et pétrolière américaine Chevron a obtenu un permis d’exploration.

L’année dernière, par deux fois (en octobre et en décembre), Chevron a tenté de réaliser des forages à Pungeşti, mais a été contraint de suspendre ses activités compte tenu des protestations.

Les habitants de Pungeşti demandent eux aussi la tenue d’un référendum sur l’exploitation de leurs ressources en gaz de schiste. Dans cette optique, ils ont réuni les signatures de 1000 citoyens, soit environ un tiers de la population.

Pourtant, un représentant de la municipalité de Pungeşti a informé Equal Times : « La police a identifié des signatures contrefaites et a ouvert une enquête afin de déterminer le nombre réel de personnes demandant un référendum sur le gaz de schiste. »

 

Les tergiversations de l’UE

Le 22 janvier 2014, la Commission européenne a publié un ensemble de recommandations non contraignantes sur l’exploration du gaz de schiste destiné à lever les inquiétudes pour l’environnement et à répondre à la question de la transparence posée par cette pratique non conventionnelle.

Les recommandations de la Commission appellent les États membres à prévoir une « évaluation stratégique des incidences sur l’environnement », et à tenir le public informé des activités de fracturation.

La Commission déclare que la mise en œuvre de ses recommandations contribuerait à « apaiser les inquiétudes de l’opinion publique et à lever l’opposition à l’exploitation des gaz de schiste. »

Elle a également indiqué que si les efforts des États sont jugés insuffisants, l’UE pourra présenter à l’avenir des propositions législatives contenant des dispositions contraignantes afin de réglementer l’exploration de gaz de schiste.

Mais les groupes écologistes sont mécontents.

Ils qualifient le texte d’insuffisant, accusent la Commission de céder au lobby de l’énergie et regrettent que l’UE refuse de réglementer fermement l’exploration du gaz de schiste, laissant ainsi la décision finale à chaque État membre.

« Les entreprises et les gouvernements, obnubilés par les combustibles fossiles, ont « fracturé » la règlementation relative au gaz de schiste. L’insuffisance des recommandations non contraignantes et du système de suivi va engendrer une réglementation de l’activité de fracturation mal adaptée, et les populations locales seront les premières à en faire les frais. L’Europe fait entrer le loup dans la bergerie, » a écrit Antoine Simon, des Amis de la Terre Europe, dans une déclaration.

 

Une nouvelle ruée vers l’or?

La Roumanie se trouve face à un important défi pour 2014, d’autant que les Roumains font peu confiance à leur gouvernement. Ce pays de l’Europe de l’Est est en effet le troisième pays de l’UE le plus corrompu, derrière la Grèce et la Bulgarie, selon l’indice 2013 de perception de la corruption de Transparency International. Il lui faudra donc trouver le bon équilibre entre exploration de son important potentiel en gaz de schiste et dialogue ouvert et honnête avec la population.

Par ailleurs, les éléments incitant l’opinion publique roumaine à accepter le gaz de schiste sont peu nombreux.

Le prix du gaz naturel en Roumanie est déjà l’un des plus bas de l’UE : 0,029 €/kWh (0,04 dollars US) pour un foyer roumain. À titre d’exemple, il est quatre fois plus élevé en Suède.

La situation est très différente au Royaume-Uni, où le gouvernement a récemment décidé que les collectivités autorisant le développement du gaz de schiste pourraient conserver 100 % des taxes professionnelles provenant des sites, contre 50 % aujourd’hui.

Le gouvernement britannique a déclaré dans un communiqué de presse que cet engagement pourrait atteindre 1,7 million de livres sterling (2,8 millions de dollars US) par an pour un site moyen.

La Roumanie pourrait également avoir recours à cette stratégie, mais il en faudra certainement plus à la population pour se laisser convaincre de suivre le mouvement et d’accepter les explorations.

La Roumanie nourrit l’immense espoir de faire partie des plus gros producteurs de gaz en Europe, mais elle doit tout d’abord remporter un défi majeur : gagner la confiance de ses citoyens.