Mamadou Bah : vers un tournant historique du droit d’asile en Europe ?

Victime de violences racistes en Grèce et contraint de fuir le pays pour sauver sa vie, Mamadou Bah, 40 ans, est arrivé en Belgique en octobre 2013.

Il y bénéficie du statut de demandeur d’asile et prépare son audition qui aura lieu ce 11 février devant le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA).

À la clé, l’obtention du statut de réfugié politique, ce qui serait une première pour une personne en danger dans un pays de l’Union européenne.

Mamadou a fui sa Guinée natale par crainte que son père, un imam influent, le tue dans un crime d’honneur. Il débarque à Athènes en 2006 où il a obtenu l’asile politique. Militant actif, il est devenu premier secrétaire de l’Union des ressortissants guinéens en Grèce (URGG), et œuvra notamment au changement de la loi sur le statut des enfants d’immigrés nés en Grèce.

Mais la crise économique gronde et les groupuscules extrémistes comme Aube Dorée montent en puissance, rendant la vie de plus en plus dure pour Mamadou et les autres immigrés.

 

Les escadrons de la mort

Un soir de mai 2013, il se fait tabasser par ceux qu’il nomme « les escadrons de la mort d’Aube Dorée », des milices qui patrouillent armées de battes de baseball à la recherche de noirs à attaquer. Alors qu’il attend le bus après son travail, il est frappé plusieurs fois à la tête et est abandonné, le crâne ouvert. Sa cicatrice, bien visible, est toujours douloureuse aujourd’hui.

Mamadou ne porte pas plainte auprès de la police, qu’il accuse d’être de mèche avec Aube Dorée. Il a déjà été victime de vol et de discrimination de la part des forces de l’ordre grecques et n’a plus confiance. Mais au lieu de faire profil bas et de garder le silence comme tant d’autres, Mamadou a témoigné dans plusieurs média grecs et étrangers de son agression et des liens entre la police et Aube Dorée.

Des témoignages que n’ont guère appréciés ces derniers. Mamadou est arrêté lors d’un contrôle d’identité en septembre, il est emmené au poste de police, dévêtu et humilié.

« Ils m’ont demandé si je comptais encore parler dans les médias. J’ai répondu que la seule chose qui m’empêcherait de parler serait qu’ils me gardent ici à vie » témoigne Mamadou. « Avant de me relâcher, car ils n’avaient rien contre moi, ils m’ont dit "si tu veux faire de la politique, retourne en Afrique ! La Grèce c’est pour les Grecs ! " »

Suite à cette arrestation et à diverses intimidations d’Aube Dorée qui a découvert où il habitait et travaillait, Mamadou s’est envolé début octobre pour la Belgique pour sauver sa peau, et y demander l’asile politique.

 

Un cas unique

Selon plusieurs juristes spécialistes du droit d’asile, ce serait la première fois qu’un pays de l’Union européenne accorde le statut de réfugié politique à une personne menacée dans un autre pays de l’UE.

« C’est un cas unique mais qui a de bonnes chances d’aboutir, son dossier est très étayé, nous avons de nombreux témoignages sur les menaces à l’encontre de M. Bah en Grèce » commente Olivier Stein, l’avocat de Mamadou en Belgique.

Pourtant, l’Union européenne est très stricte sur les conditions d’attribution du statut de réfugié politique. Il est notamment interdit pour une personne de faire deux demandes dans deux pays différents de l’UE, selon le traité de Dublin II. Or Mamadou a déjà demandé - et obtenu - ce statut en Grèce.

« Dublin II ne s’applique pas dans son cas, car il vient de Grèce, et la situation des immigrés y est catastrophique, cela a été reconnu à plusieurs reprises, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme » commente Maitre Stein. « L’Office des étrangers, qui aurait pu invoquer Dublin II, ne l’a pas fait. M. Bah n’a pas été renvoyé en Grèce et on lui a accordé le statut de demandeur d’asile. »

 

Risque de tensions entre la Belgique et la Grèce

Le cas de Mamadou Bah pourrait en revanche compliquer les relations entre la Belgique et la Grèce, particulièrement au moment où cette dernière assume la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.

« Un cas comme celui-ci peut être très sensible diplomatiquement » prévient un autre juriste souhaitant rester anonyme. « Il faut voir si la Belgique ne risque pas d’offenser la Grèce en accordant le statut de réfugié politique à cette personne ».

Un risque minimisé par Maître Stein. « Lors de l’audition, mon client expliquera les persécutions et les menaces sur sa vie qu’il a subies en Guinée et en Grèce. Nous ferons très attention à bien préciser que la Grèce ne viole pas ses droits fondamentaux mais qu’elle est simplement incapable de le protéger contre Aube Dorée » explique-t-il.

« Si l’issue est positive nous ne saurons pas sur quels arguments le CGRA s’est basé pour accorder le statut de réfugié politique. La décision ne sera pas motivée, cela ne devrait donc pas embarrasser la Grèce et ça évitera toute jurisprudence. »

En attendant l’audition et la décision qui en découlera, Mamadou prépare son dossier le mieux possible entouré de ses soutiens, impatient d’être régularisé et de pouvoir continuer son combat, même à distance, pour les immigrés restés en Grèce.

 

(Vidéo: www.collectif-krasnyi.be)