La tragédie de Farmakonisi déclenche un débat sur la politique de l’UE

 

Près de deux mois après la tragédie de Farmakonisi, qui a coûté la vie à neuf enfants et trois femmes d’Afghanistan et de Syrie, le tollé soulevé par cet incident continue de retentir en Grèce et à travers l’Europe.

Conséquemment, un débat public est organisé à Bruxelles cette semaine pour examiner les dispositions envisageables au niveau du Parlement européen et des autres institutions européennes pour améliorer les conditions et le traitement des immigrés en Grèce.

Le 20 janvier 2013, une embarcation ayant à son bord vingt-huit migrants afghans et syriens a fait naufrage au large de l’île grecque de Farmakonisi, dans l’archipel du Dodécanèse, en Mer Égée, alors qu’elle était remorquée par un bâtiment des garde-côtes grecs.

Dans leurs déclarations aux représentants du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) en Grèce, les survivants de la tragédie ont insisté sur le fait que l’incident était survenu alors que les garde-côtes remorquaient leur embarcation vers la côte turque à grande vitesse et en pleine tempête.

Toujours d’après les témoignages recueillis auprès des survivants, les garde-côtes auraient refusé de leur prêter assistance alors que leur embarcation était en train de couler et certains d’entre eux auraient même piétiné les mains des naufragés qui tentaient de s’accrocher au bastingage de la vedette grecque.

Ces accusations ont, toutefois, été démenties avec véhémence par les garde-côtes.

Selon un communiqué officiel, ceux-ci avaient répondu à un signal de détresse et tentaient de remorquer l’embarcation avariée jusqu’à l’île de Farmakonisi – et non vers la Turquie.

D’après le même communiqué, les garde-côtes auraient éteint un incendie qui s’était déclaré sur le bateau avarié et sauvé 16 personnes de la noyade.

Malgré les démentis des autorités grecques, la tragédie a incité le commissaire aux Droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, la commissaire européenne chargée des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, le HCNUR et plusieurs organisations non gouvernementales à demander instamment à la Grèce l’ouverture d’une enquête indépendante.

Début janvier, le commissaire Muižnieks a aussi appelé les autorités grecques à mettre fin aux expulsions collectives de migrants et de demandeurs d’asile qui tentent de rejoindre la Grèce et de « mener des enquêtes approfondies sur tous les incidents signalés ».

Conséquemment, une enquête indépendante a été promise par le ministre grec des Affaires étrangères, Evangelos Venizelos. Ce dernier réfute, néanmoins, toutes accusations de « refoulement vers la Turquie ».

Au lieu de cela, Venizelos a demandé à Frontex, l’agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, de redoubler ses efforts pour empêcher, dans un premier temps, que des embarcations transportant des migrants sans papiers ne quittent l’Afrique du Nord.

 

Débat public

Le débat qui doit avoir lieu à Bruxelles ce jeudi s’intitulera La politique migratoire de l’UE : Un refoulement pour les droits des migrants en Grèce.

Organisé par la Plate-forme pour la coopération internationale sur les sans-papiers (PICUM), en collaboration avec Amnesty International, le Réseau européen des femmes migrantes (REFM), le Réseau européen anti-pauvreté (EAPN), le Réseau européen contre le racisme (ENAR) et Médecins du Monde, le débat abordera les politiques migratoires de l’UE et leur incidence sur les droits des migrants en Grèce.

Nikos Chrysogelos, député européen pour les Verts et modérateur du débat qui aura lieu ce jeudi, insiste sur le fait qu’indépendamment des conclusions de l’enquête, « nous devons demander pardon en tant que pays et en tant que gouvernement car l’incident est survenu et nous devons savoir ce qui est arrivé et qui est responsable ».

Et de poursuivre : « Je dois cependant ajouter qu’il en va de la responsabilité du gouvernement mais aussi de l’Union européenne et de la Commission car si vous demandez à un pays de protéger ses frontières et puis, en même temps, vous affirmez qu’il nous faut une politique migratoire humanitaire, alors il y a contradiction. »

Se faisant l’écho de ces sentiments, l’eurodéputé du Groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (SD), le Grec Kriton Arsenis, lui aussi modérateur du débat aux côtés de sa collègue du SD, l’eurodéputée Maria Eleni Koppa, a demandé la révision du Règlement de Dublin (qui contraint les demandeurs d’asile à demeurer dans le premier pays où ils atterrissent), afin que la pression due à l’immigration en Grèce puisse être amoindrie.

Les morts de migrants et de demandeurs d’asile qui tentent d’atteindre les côtes européennes sont devenues une tragédie récurrente.

La sécurité renforcée le long de la frontière terrestre gréco-turque à Evros, combinée aux patrouilles régulières de la Frontex et la construction d’un mur de métal d’une longueur de 12,5 kilomètres, a dévié les flux de migrants et de demandeurs d’asile irréguliers, y compris ceux qui fuient le conflit en Syrie, vers les îles de la Mer Égée.

Conséquemment, depuis octobre 2013, plus de 150 migrants, majoritairement des demandeurs d’asile de Syrie, ont péri lors d’ « opérations de refoulement » - une politique mise en œuvre depuis que les trafiquants ont commencé à emprunter la périlleuse voie maritime entre la côte turque et les îles grecques, suite à la construction du mur de métal le long de la frontière terrestre qui sépare les deux pays.

Récemment, la mort de plus de 360 migrants et demandeurs d’asile lors du naufrage d’une embarcation au large de l’Île de Lampedusa, en Italie, en octobre 2013, a contribué à recentrer l’attention européenne sur la migration par la mer.

D’après Human Rights Watch, toutefois, les réponses politiques ont été concentrées sur la surveillance et la dissuasion et ont accordé trop peu de place à de nouvelles mesures pour la prévention des pertes de vies humaines basées sur des opérations de sauvetage rapides, l’évaluation et la satisfaction des besoins en matière de protection ou la garantie d’un débarquement prompt et sauf.