Des cabinets d’avocats réputés se joignent au lobby des entreprises sur le TTIP

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Alors que le sixième tour de négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership - TTIP) entre l’UE et les États-Unis avait lieu à Bruxelles mi-juillet, des détracteurs du futur traité de libre-échange ont offert un parcours guidé à travers le quartier européen aux membres du public pour « exposer le lobbying des entreprises sur le TTIP ».

Organisé par le Corporate Europe Observatory (CEO), ce parcours a levé le voile sur de nouvelles offensives des milieux d’affaires, venant cette fois de cabinets d’avocats réputés, dans le lobbying en faveur du TTIP et de sa clause fortement controversée : le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (Investor-State Dispute Settlement - ISDS).

L’ISDS a été à ce point controversé en Europe qu’il a entraîné la suspension provisoire des pourparlers sur le TTIP et forcé la Commission européenne à engager une consultation publique. Face à l’intérêt suscité par cette consultation auprès de plus de mille organisations, associations citoyennes, ONG et syndicats, la Commission a dû se résoudre à repousser la date limite.

Selon le CEO, la signature de l’ISDS entraînerait « une explosion » des procédures juridiques engagées par des entreprises privées devant des tribunaux arbitraux contre des gouvernements.

Déjà à l’heure qu’il est, plus de 500 actions ont été intentées contre 95 pays, le plus souvent aux frais des contribuables, entraînant du même coup un « effet de dissuasion » dans les autres pays où de telles clauses ont été signées.

Selon Tom Jenkins, conseiller auprès de la Confédération européenne des syndicats (CES) : « Il ne fait aucun doute que les milieux d’affaires mènent un lobbying agressif en faveur du TTIP et, plus particulièrement, de l’ISDS. Le fait que les multinationales européennes se servent du mécanisme investisseur-État pour contester des décisions visant à la suppression progressive de l’énergie nucléaire et à l’augmentation des salaires minimums est un motif de vive préoccupation. Il n’est ni transparent, ni démocratique et agit au mépris des droits des travailleurs. Le TTIP doit agir dans l’intérêt du peuple, sans quoi il ne fonctionnera absolument pas. »

Si l’ISDS en venait à être approuvé, « près de 75.000 entreprises en UE et aux États-Unis seraient en droit de recourir aux règlements de différends entre investisseurs et États », d’après Olivier Hoedeman, coordinateur de recherche et de campagnes chez CEO.

 

Conflit d’intérêts

Alors qu’on s’« attendrait », dans une certaine mesure, de la part des grandes entreprises privées qu’elles fassent du lobbying en faveur de tels accords, le ralliement de cabinets d’avocats internationaux de renom est plus surprenant.

Comme le cabinet Sidley Austin, dont le siège est installé à Bruxelles dans le même immeuble que Philip Morris – une entreprise qui a auparavant attaqué en justice l’Australie et l’Uruguay concernant la vente de cigarettes sans marque – juste en face du Parlement européen, à dix minutes de marche de la Commission européenne, et qui mène les négociations pour le camp européen.

« Sidley Austin fait partie des cabinets d’avocats qui aident les entreprises à préparer leurs dossiers et à désigner les « arbitres » ou les juges de ces tribunaux privés, ce qui pose un conflit d’intérêts énorme dès lors que les mêmes cabinets qui représentent les clients désignent aussi les arbitres », explique Hoedeman.

« Bien entendu, le gouvernement qui doit se défendre dans le cadre de telles procédures doit aussi engager un avocat spécialisé. »

Sachant que le tarif moyen de ces cabinets est de 1000 USD de l’heure, les frais encourus par les pays ne tardent pas à atteindre des sommes faramineuses.

Ces parties prenantes « exigent de la Commission de maintenir l’ISDS sous une forme non édulcorée ».

Pour redoubler la pression vis-à-vis des institutions de l’UE, les cabinets d’avocats impliqués dans le « business de l’arbitrage » ont uni leurs forces en mettant sur pied un tout nouveau groupe de réflexion répondant au nom de Fédération européenne pour la loi sur les investissements et l’arbitrage (European Federation for Investment Law and Arbitration, EFILA), qui a pour mission de « contrer les campagnes citoyennes ».

Selon des informations parues dans la presse, l’EFILA a été mise sur pied le 1 juillet 2014 mais il est difficile de trouver des d’informations en ligne à son sujet. L’EFILA ne dispose pas d’un site web propre ; en effet, sa présence sur internet se limite au profil LinkedIn de son secrétaire général nouvellement désigné, Nikos Lavranos.

Selon Hoedeman, le groupe de réflexion « a pour vocation de convaincre les décideurs politiques de l’UE que l’ISDS est indispensable et ne doit pas être édulcoré ».

 

L’agrobusiness – le plus grand lobby

Les statistiques de CEO permettent aussi de voir quel est le secteur qui a été le plus actif dans le lobbying à l’égard de la Commission européenne en faveur de l’accord transatlantique durant la phase préparatoire.

D’après les ONG, l’agrobusiness a été, de loin, le secteur le plus actif dans le lobbying ciblé sur l’exécutif européen en faveur de l’adoption du TTIP, suivi des industries pharmaceutiques et chimiques.

Le rapport du CEO relève, par ailleurs, une prédominance absolue des réunions avec le secteur privé (92%) par rapport à celles tenues avec le secteur public (4%).

Les chiffres montrent aussi que les lobbies industriels comme Business Europe et les lobbies allemands sont les plus actifs dans leur soutien en faveur du TTIP. Sur l’ensemble des groupes qui ont mené un lobbying en faveur du TTIP, 30% sont absents du Registre européen de la transparence, qui opère sur une base volontaire.

Au fur et à mesure que de nouvelles informations surgissent concernant les dangers du TTIP, l’indignation publique s’étend à un nombre de plus en plus important de pays, quoique pour des motifs différents.

Au Royaume-Uni par exemple, la principale préoccupation est liée à la privatisation du service de santé publique national. Début juillet, cette perspective a déclenché, pour la première fois, des manifestations et des actions de masse dans les principales villes du Royaume-Uni contre le partenariat transatlantique, demandant à ce que celui-ci soit « entièrement supprimé ».

 

Traduit de l’anglais par Equal Times.