Bhopal : Les actionnaires de Dow demandent justice

Alors que les survivants marquent le 30e anniversaire de la catastrophe chimique de Bhopal, les actionnaires de l’entreprise américaine tenue responsable par la Cour suprême indienne demandent que justice soit enfin rendue.

Durant trois décennies, les groupes de campagne ont demandé que l’entreprise Union Carbide Corporation (UCC) et sa société mère Dow Chemical soient traduites en justice pour ce qui constitue la pire catastrophe industrielle de l’histoire.

Alors que les marches au flambeau, les rassemblements et les veillées nocturnes annuelles se mobilisent à Bhopal, les actionnaires de Dow ont présenté un ensemble de résolutions appelant la direction à accepter la responsabilité pour la fuite de gaz, à pleinement compenser les victimes et à financer la décontamination totale de la zone qui reste actuellement polluée et dangereuse.

Des milliers de personnes sont mortes dans la seule nuit du 2 décembre 1984, quand une explosion dans une usine de pesticides de la firme Union Carbide Corporation, à Bhopal, a provoqué une fuite d’isocyanate de méthyle, un gaz hautement toxique.

Au total, plus d’un-demi million de personnes ont été exposées au gaz. La tragédie aurait fait entre 8000 et 16.000 morts, alors que le nombre de victimes gravement malades ou handicapées à vie avoisine les 40.000.

Une seconde catastrophe est survenue lorsque plusieurs milliers de tonnes de déchets toxiques mis en décharge et abandonnés dans l’usine sous propriété de la firme Union Carbide Corporation ont contaminé la nappe phréatique.

Cette contamination constitue une menace permanente pour la santé des communautés vivant à proximité du site, d’après Amnesty International.

Le Bhopal Medical Appeal affirme que la contamination est à l’origine de l’incidence élevée de cas de déformations congénitales.

Les représentants de Dow ont systématiquement manqué de comparaître devant la justice indienne pour répondre aux charges de culpabilité d’homicide involontaire n’équivalant pas au meurtre.

Dow, qui a bouclé la reprise de l’entreprise UCC en 2001, soutient n’avoir aucune responsabilité dans le désastre.

« Dow Chemicals affirme qu’elle a racheté les actifs d’UCC mais que, pour une raison ou une autre, elle n’en n’a pas racheté les passifs, c’est tout simplement ridicule », dit Simon Billenness du Comité pour des investissements responsables de l’Unitarian Universalist Association (UUA) qui se trouve derrière les résolutions présentées cette semaine.

Dow a systématiquement refusé de prendre en charge l’enlèvement des déchets toxiques du site de Bhopal ou de verser toutes compensations complémentaires aux victimes. Elle soutient que la compensation d’une valeur de 470 millions USD versée par Union Carbide dans le cadre de l’accord de règlement au civil en 1989 était définitive.

Les militants qui réclament justice affirment toutefois que ce montant était « inadéquat » dès lors qu’il ne se basait pas sur le nombre réel de victimes. Partant des statistiques officielles du gouvernement indien, le montant du règlement aurait dû être supérieur à 8 milliards USD.

 

Obstruction

Selon Colin Toogood, directeur de campagne du Bhopal Medical Appeal, le refus de Dow d’accepter la responsabilité pour la catastrophe de Bhopal rend les actionnaires « extrêmement nerveux ».

« Le refus de Dow de régler le dossier commence désormais à nuire à ses intérêts commerciaux », a-t-il déclaré à Equal Times.

« L’Inde constitue un marché émergent gigantesque qui se trouve en ce moment à un stade où toutes les entreprises multinationales cherchent désespérément à y investir le plus possible. »

« À chaque fois qu’elles tentent de construire une nouvelle usine ou de former un nouveau partenariat avec une firme indienne, il y a des manifestations. Nous avons trouvé toutes sortes d’exemples de projets d’investissement en Inde qui se sont soldés par des échecs. »

Dans les résolutions qui ont été présentées, les actionnaires UUA et Calvert Investment accusent le PDG de Dow Chemical, Andrew N. Liveris, de « mauvaise gestion » dans l’affaire Bhopal.

Selon Billenness, les actionnaires estiment que l’entreprise encourt un « risque considérable » en cas de non-résolution du dossier.

« En faisant obstruction ou en refusant de comparaître devant la justice indienne, en refusant d’accepter la responsabilité ou de rechercher un règlement juste et équitable dans cette affaire, le PDG fait preuve de mauvaise gestion de ce passif », a déclaré Billenness.

« Cela ne fait que multiplier les pertes en compromettant l’image de marque de l’entreprise et ce qui est plus grave, en compromettant ses possibilités d’investissement dans les marchés indiens. »

Une chose est sûre, au trentième anniversaire de la catastrophe, Bhopal est une fois de plus à la une de l’actualité.

Comme le fait remarquer une des résolutions, la sortie cette année du nouveau film long métrage A Prayer for Rain basé sur la tragédie de Bhopal, avec dans le rôle principal Martin Sheen incarnant le PDG de Union Carbide, « donne une visibilité renouvelée à la catastrophe de Bhopal » et renforce l’association de la tragédie avec la firme Dow Chemical dans l’œil du public.

Les actionnaires comme les militants concourent à dire que Dow ne mettra pas ses problèmes derrière elle tant qu’elle n’assumera pas sa responsabilité pour Bhopal. Il n’en demeure pas moins qu’au début de cette année Dow a réussi à bloquer une motion similaire présentée par les actionnaires.

Et Billenness de conclure : « La question qu’il faut se poser est à quel stade les dommages encourus par l’entreprise pour refuser de régler cette affaire finiront par lui coûter plus cher qu’un règlement ? »