En Indonésie, un village insulaire menacé de submersion demande justice

En Indonésie, un village insulaire menacé de submersion demande justice
Voir les photos sous forme de galerie

Pulau Pari est une petite île paradisiaque de 1.500 habitants, à une heure au nord-ouest de Jakarta. Elle vit essentiellement de la pêche et du tourisme. L’année dernière, l’île s’est retrouvée inondée à cinq reprises. Menacée de disparition, la région insulaire lutte depuis plusieurs années contre la montée des eaux qui ont déjà grignoté 11 % de la surface de l’île en une décennie.

Accompagnés par plusieurs ONG, un groupe d’habitants a décidé de porter plainte contre le cimentier Holcim, numéro un mondial du béton, qui fait partie des 50 entreprises émettant le plus de CO2 au monde. Dans un communiqué, de février 2023, les plaignants réclament à Holcim, basé à Zoug en Suisse, « une indemnisation proportionnelle aux dégâts causés par les changements climatiques et une participation au financement des mesures de protection contre les inondations ». Ils exigent également que le groupe suisse réduise rapidement ses émissions de CO2.

« Pour la première fois, une entreprise suisse doit répondre juridiquement de son rôle dans les changements climatiques », soulignent les organisateurs de la campagne Call for Climate Justice, qui estime qu’Holcim en fait « trop peu pour réduire ses émissions de façon à ne pas dépasser le seuil de 1,5°C de réchauffement planétaire ».

Présent en Indonésie jusqu’en 2019, Holcim a vendu ses activités au cimentier local Semen Indonesia, mais aurait rejeté, selon une étude, plus de 7 milliards de tonnes de CO2 depuis 1950, soit 0,42% de l’ensemble des émissions industrielles mondiales et plus du double de ce que la Suisse a émis depuis le début de la révolution industrielle .

 

Sur cette photo aérienne prise le 22 février 2023, on observe un remblai en béton, utilisé pour endiguer l’élévation du niveau de la mer, autour d’une partie de l’île Pari dans l’archipel des Mille-Îles (Kepulauan Seribu en indonésien).

Photo: Bay ISMOYO/AFP

Les écologistes estiment que la majeure partie de l’île de 42 hectares pourrait couler d’ici 2050, en raison de l’élévation du niveau de la mer.

Dans le monde, 58 petits États insulaires en développement (PEID) sont particulièrement menacés par le dérèglement climatique, notamment la montée des eaux, alors qu’ils en sont peu responsables. À eux seuls, ils ne représentent que 1 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

 

Une résidente est assise devant sa maison, en février 2023. On peut lire sur le muret qui la protège de la montée des eaux : « Y a-t-il encore justice pour les résidents ? ».

Photo: Bay ISMOYO/AFP

Depuis des années, les habitants de ces atolls en voie de disparition se battent pour la sauvegarde de leurs terres. À la COP27, qui s’est tenue en décembre dernier en Égypte, les petits États insulaires ont fait part de leur souhait de taxer les multinationales fossiles pour financer l’adaptation des nations pauvres au réchauffement climatique.

 

Des palétuviers ont été plantés par les habitants afin de reconstituer une partie de la mangrove et de protéger la côte de l’érosion.

Photo: Bay ISMOYO/AFP

Les plaignants réclament une indemnisation de 14.000 euros pour les dommages causés. Une somme dérisoire, mais qui pourrait servir à financer la préservation et l’extension de la mangrove. Au niveau international, il s’agit de la seconde procédure intentée par des habitants du « Sud » contre un grand groupe occidental.

 

Au large des côtes de Pari, Sartono et son épouse Asmania vérifient leurs cultures d’algues qui subvenaient à leurs besoins et à ceux de leurs trois enfants, avant d’être contaminées.

Photo: Bay ISMOYO/AFP

Asmania gère une petite boutique et une maison d’hôtes sur l’île. Avec son mari, elle a acheté une partie d’une ferme piscicole. Les inondations ont contaminé avec des « eaux grises » leur ferme piscicole et ont tenu les touristes à l’écart pendant des mois. Pour elle, le changement climatique affecte son avenir et celui de sa famille.

Asmania sait que s’ils veulent continuer à vivre sur leur île, ils doivent s’adapter. Pourtant, les habitants de l’île n’ont pas les ressources nécessaires pour le faire. « Nous avons un besoin urgent d’un système de filtration de l’eau pour les moments où la mer inonde nos puits d’eau salée », explique Asmania.

 

Sur cette photo prise le 22 février 2023, un homme pêche dans les eaux de l’archipel. Au loin, on peut apercevoir des bâtiments situés dans la partie nord de la ville de Jakarta.

Photo: Bay ISMOYO/AFP

La pêche est une des activités principales des habitants de la région. Ils constatent déjà une raréfaction des poissons qui menace cette activité économique. Bobby, un pêcheur impliqué dans la plainte portée contre Holcim, témoigne : « Pendant quelques jours, après les inondations, je n’ai pas pu sortir pêcher. J’ai aussi dû réparer mon bateau. L’eau l’avait emporté sur le rivage et l’avait écrasé contre un arbre. »

 

Edi Mulyono prend soin de ses vélos de location à côté d’un panneau sur lequel on peut lire « Y a-t-il encore un sourire amical pour les gens ? ».

Photo: Bay ISMOYO/AFP

Edi, qui vit sur l’île avec sa femme et leurs trois jeunes enfants, possède deux maisons d’hôtes et propose des activités aux touristes de Jakarta. Après les inondations, de nombreux clients ont annulé et ses revenus en ont souffert. « Nous devons faire plus que simplement construire des digues en béton. Ce n’est pas bon pour l’environnement. Nous devrions planter plus de mangroves », juge-t-il.

 

Edi (à gauche) et Asmania, posent le 11 juin 2023 à côté de l’usine du géant suisse du ciment Holcim à Eclepens, dans l’ouest de la Suisse.

Photo: Fabrice COFFRINI/AFP

En juin 2023, Edi et Asmania ont été choisis par d’autres villageois pour se rendre en Suisse afin de discuter du cas de leur île. Dans leur combat en justice, ils sont accompagnés par 3 ONG : l’Entraide Protestante Suisse (HEKS/EPER), Le Centre européen pour les droits humains et constitutionnels (European Center for Constitutional and Human Rights, ECCHR) et WALHI (le Forum indonésien pour l’environnement).