Les Égyptiens disent « non aux privilèges et à l’oppression »

 

« Nous nous trouvons dans un des quartiers les plus pauvres du Caire, l’un de ceux qui seront les plus affectés par le programme social du gouvernement de Mohammed Morsi une fois que le projet de constitution sera adopté. C’est pourquoi nous avons décidé d’organiser une manifestation ici. »

Amr, 35 ans, ingénieur de profession, se trouvait à la tête d’une manifestation mardi, à Imbaba, un quartier du nord du Caire.

C’est aussi à Imbaba, un des foyers de la révolution, que se disputera le second tour du référendum constitutionnel ce week-end.

Amr arborait une pancarte sur laquelle était écrit « Non à la Constitution de privilèges et d’oppression des Frères musulmans » et distribuait des tracts lors du défilé.

Sous le slogan « Yasqut yasqut hokm el morshed » (« À bas, à bas les leaders ! »), des jeunes militants expliquaient aux habitants du quartier le pourquoi de leur « non » à la nouvelle Constitution et en quoi celle-ci nuirait à leurs vies.

Hormis le caractère islamiste de la Constitution – qui affaiblira une partie des droits et libertés civils fondamentaux, notamment pour les femmes – diverses autres questions suscitent préoccupation, comme la santé, l’éducation, les droits des travailleurs et le logement.

Les opposants ont organisé des manifestations dans différentes parties du Caire et certains d’entre eux ont été impliqués dans des échauffourées avec les forces de l’ordre.

Plus de 2.000 manifestants massés devant le palais présidentiel ont appelé à la démission du président Mohammed Morsi.

Des protestataires se sont aussi mobilisés à la Place Tahrir, lieu désormais iconique de la capitale égyptienne.

« La Constitution ne garantit pas la liberté d’association et le droit de négociation collective pour les travailleuses et travailleurs, ce qui représente une entrave à la revendication sociale, essentielle à nos yeux, surtout quand le gouvernement ne garantit pas de salaires minimums, » affirme Raed, enseignant du secondaire qui a rallié la tente de la nouvelle Fédération égyptienne des syndicats indépendants, érigée au centre de la place Tahrir.

Le Front national du salut, coalition d’opposition, a dénoncé des irrégularités flagrantes lors du référendum de samedi dernier. La commission électorale a rejeté toutes accusations d’irrégularités mais a, néanmoins, promis une enquête en règle.

La plupart des juges égyptiens ont, par ailleurs, accusé les Frères de vouloir porter atteinte à leur autonomie.

Plus de 10.000 juges ont boycotté le premier tour du référendum, le 15 décembre, et le lendemain, un millier de hauts magistrats ont annoncé qu’ils boycotteraient la supervision du second tour, prévu pour samedi.

Le gouvernement a obtenu 57 pour cent de « oui » au premier tour du référendum, un résultat nettement inférieur aux attentes des Frères musulmans.

Le gouvernement du président Morsi a promis aux Égyptiens qu’une fois que la Constitution serait adoptée, des élections générales seraient convoquées pour le début de l’année prochaine pour ramener la stabilité dans le pays.

 

Controverse

Le projet de Constitution n’est pourtant pas le seul enjeu à l’ordre du jour des débats en cours ces jours-ci entre le gouvernement et l’opposition.

Les nouvelles forces syndicales désapprouvent la façon dont le gouvernement a mené les négociations sur un accord de prêt d’une valeur de 4,8 milliards de dollars signé avec le Fonds monétaire international au bénéfice de l’Égypte, en excluant jusqu’ici toute participation de la société civile et des organisations syndicales.

Dans le contexte politique actuel, les syndicalistes estiment que le gouvernement n’a pas suffisamment de légitimité pour signer un accord dont il ne devra aucunement assumer les conséquences, dès lors que celles-ci se verront répercutées sur les gouvernements et les générations à venir.

« Les pouvoirs exécutif et législatif se trouvent concentrés entre les mains du président, en l’absence d’un parlement et d’une constitution qui régule les relations entre les trois autorités et garantisse les droits civils, économiques et sociaux aux citoyennes et aux citoyens de l’Égypte », est-il relevé dans un document diffusé par le Congrès démocratique du travail et la Fédération des syndicats indépendants.

En particulier, il a été annoncé que le prêt dont il est question plus haut servirait à combler le déficit budgétaire, et ce à l’exclusion de tout investissement dans le développement économique et social.

Ceci risque d’entraver la reprise économique dont l’Égypte a cruellement besoin, à l’heure où le chômage atteint 12,6 pour cent et où 78 pour cent des sans emploi ont moins de 29 ans.

Aussi les syndicats soutiennent-ils que la réorganisation des priorités en matière de dépenses publiques ne peut d’aucune manière entraîner une réduction des services.

« Nous devons nous rappeler de ce qu’est advenu du programme entériné par le FMI au début des années 1990, qui prévoyait une réduction des dépenses en matière de services, notamment aux plans de la santé et de l’éducation : Des millions d’Égyptiens ont été spoliés de leur droits aux soins de santé, sans oublier l’effondrement du système éducatif. »

Comme on pouvait s’y attendre, ces politiques ont été à l’origine d’un chômage galopant et de déséquilibres socioéconomiques extrêmes, qui ont figuré au nombre des facteurs-clés à l’origine des soulèvements populaires en Égypte et dans le reste du monde arabe.