Les pêcheurs chiliens forcés de mordre à l’hameçon pour les grosses corporations

 

Une nouvelle « loi sur la pêche » a été promulguée au Chili malgré l’opposition des pêcheurs artisans.

Une nouvelle « loi sur la pêche » a été promulguée au Chili malgré l’opposition des pêcheurs artisans.

Depuis le mois de février 2013, les ressources marines du pays sont privatisées pour une période de 20 ans renouvelable et cessible », une mesure qui favorise à outrance les industriels du secteur.

En tout, sept familles se voient privilégiées par la loi « Longueira », qui porte le nom de ministre de l’Économie qui en fut l’instigateur. Les bénéficiaires sont les familles Angelini, Sarkis, Stengel, Cifuentes, Jimenez, Izquierdo et Cruz, qui se partageront pas moins de 3 millions de dollars de profits annuels.

La nouvelle loi vise une restructuration du cadre de développement durable des ressources hydro-biologiques, de l’accès à l’activité de la pêche industrielle et artisanale, de même que la régulation du contrôle et de l’inspection de l’activité économique.

Pour Cosme Caracciolo, pêcheur artisan et membre du Conseil national pour la défense du patrimoine halieutique (Consejo Nacional de Defensa del Patrimonio Pesquero, CONDEPP), « le gouvernement est soucieux de perfectionner le modèle économique en place, partant d’un engagement politique basé sur l’appropriation des ressources halieutiques.

« Cette loi sur la pêche est en vigueur pour une période de 20 ans renouvelable, de telle sorte qu’on impose une propriété sur des poissons qui n’ont pas encore vu le jour, c’est une aberration, l’application du capitalisme à des ressources vivantes », conclut-il.

Il convient de rappeler que jusqu’en 2001, année où furent attribués les quotas de capture individuels, le Chili était doté de 78 entreprises de pêche dédiées à l’extraction du chinchard. Elles n’étaient, cependant, plus qu’au nombre de 26 peu de temps après, sous l’effet de la concentration accélérée des capitaux.

À la suite des dernières fusions, il ne reste plus que quatre grands conglomérats, qui contrôlent ensemble 92 pour cent du secteur de la pêche à niveau national : Orizon (fusion entre SouthPacific Korp et Pesquera San José), Blumar (fusion entre Itata et El Golfo), Camanchaca Pesca Sur (fusion entre Camanchaca et Pesquera Bio Bio) et Marfood (joint venture entre Alimar et FoodCorp).

Caracciolo est emphatique : « Ce que nous avons demandé au sous-secrétaire c’est que le CONDEPP maintienne sa position contre cette loi.

« Cette loi cherche à maintenir les traitements de faveur au bénéfice des industriels et quand une loi est injuste, nous avons le droit d’y déroger. Et si c’est le cas, les industriels vont, à coup sûr, faire appel à la police pour qu’elle nous réprime. »

Au terme d’un intense lobbying au gouvernement et au parlement, les industriels ont finalement obtenu ce à quoi ils tenaient si anxieusement : Disposer d’une loi taillée à leur mesure et portant préjudice aux pêcheurs artisans.

 

« Le gros poisson a mangé le petit »

Avant l’entrée en vigueur de la loi, le pêcheur considéré comme artisan et équipé d’une embarcation de jusqu’à 12 mètres disposait d’une zone de pêche exclusive qui s’étendait jusqu’au cinquième mille marin.

Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les embarcations industrielles qui devaient, auparavant, se maintenir à une distance minimum de cinq milles des côtes pourront désormais aller jusqu’à la limite du premier mille (soit 1840 mètres). Et ce depuis la région de Coquimbo, au nord, jusqu’à la frontière péruvienne.

Le gros poisson a mangé le petit. Et tandis que les pêcheurs de fruits de mer et les pêcheurs artisans, qui travaillent avant tout pour satisfaire à la consommation humaine, ont perdu leur souveraineté sur les espaces marins côtiers qui constituent leur source de subsistance.

« Les industriels concentrés au sein de quatre grandes entreprises continueront, eux, à exploiter la mer pour produire des farines de poisson et se serviront du système de dragage qui, d’après diverses études, est fortement nuisible dès lors qu’il se base sur une capture sans distinction entre les espèces et bouleverse l’équilibre des fonds marin.

« Le principal argument avancé par le ministre Longueira en défense de ce projet est qu’il va promouvoir la durabilité des ressources halieutiques, or une simple analyse du projet montre que ce n’est pas le cas. Ils veulent à présent rehausser le quota pour le chinchard, qui est reconnu comme une espèce menacée d’extinction », signale Cosme Caracciolo, pêcheur artisan.

Un point de vue qui est confirmé par Mauricio Galvez, directeur du Programme pêche durable du WWF Chili, qui souligne que « la décision du Conseil national de la pêche d’augmenter de 11,9 % le quota de capture du chinchard est absolument inacceptable au vu de la surexploitation dont fait l’objet cette espèce. »

Le fait est qu’au-delà des problèmes environnementaux, les répercussions de la « loi Longueira » s’étendent désormais jusqu’au monde du travail.

Suite à la publication de la loi controversée au journal officiel de la République du Chili, d’autres catégories de travailleurs associés aux professions de la mer ont également subi des préjudices.

Le président de la Fédération des travailleurs de la pêche (Federación de Trabajadores Pesqueros, Fetrapes), Juan Montenegro, dénonce le fait que plus de 380 licenciements soient survenus dans le secteur « depuis l’entrée en vigueur de ladite « loi sur la pêche ».

Les derniers licenciements en date ont eu lieu à l’Institut du développement de la pêche (Instituto de Fomento Pesquero, IFOP), où 28 personnes se sont retrouvées sans emploi », alors qu’une des promesses du ministère concerné était justement de renforcer le secteur.

 

Des peuples indigènes

Des recours appuyés par des congressistes ont été introduits auprès du tribunal constitutionnel pour tenter de bloquer la « loi sur la pêche ».

Ils demandaient l’abrogation de la loi dite « loi Longueira » en invoquant un vice constitutionnel lié à la procédure, attendu que le Chili porterait atteinte aux droits des peuples autochtones, à leur droit d’autodétermination, de même qu’à la convention 169 de l’OIT et s’approprierait des ressources vivantes dans un territoire ancestral.

Le tribunal constitutionnel du Chile qui a reçu la motion parlementaire s’est, toutefois, prononcé contre la requête.

D’après Miguel Cheuqueman, dirigeant de la communauté Lafkenche dans la commune de San Juan de la Costa, la situation est comparable à ce qui est arrivé avec l’accès à la terre où, bien qu’on dispose de titres de propriété – Titulos de Merced – l’utilisation productive de ces espaces est rendue impossible.

« En manquant de prendre en compte et de sauvegarder nos droits dans la nouvelle loi sur la pêche, on nous prive aujourd’hui d’une opportunité réelle et concrète pour le développement économique de notre peuple. »

Le peuple Mapuche, pratiquement éteint suite à la mal nommée « Pacification de l’Araucanie » où l’armée chilienne a commis un véritable génocide sans n’avoir jamais été traduit en justice se voit aujourd’hui, une fois de plus, déplacé de ses terres ancestrales, mais cette fois pour des intérêts hydroélectriques, forestiers et, plus récemment, halieutiques, qui cherchent à s’approprier la riche zone marine côtière que constitue le territoire des Lafkenche.

Les dirigeants Lafkenche pourraient porter l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme, en invoquant le non respect de la Convention 169 de l’OIT et de ce qui avait été convenu vers le milieu de 2008 par le gouvernement de l’ancienne présidente Michelle Bachelet avec la promulgation d’une loi dite « loi Lafkenche », qui attribuait aux peuples indigènes des droits sur l’espace marin côtier.

Pour Moises Vilches, dirigeant Lafkenche dans la commune de Carahue, le gouvernement fait preuve de mauvaise foi et, plus particulièrement, le ministre de l’Économie, Pablo Longueira.

« Il fut sénateur et c’est lui qui a approuvé la loi sur l’espace marin côtier des peuples indigènes (loi Lafkenche). Il était parmi ceux qui ont affirmé, alors que nous luttions pour nos espaces, « à la mer, il lui faut un propriétaire ».

« Ce propriétaire, nous l’avons fourni mais à présent ils refusent de nous accorder le droit d’administration et d’usage productif de la mer. Par ses actions, le ministre Longueira va finir par se faire appeler au tableau car il n’est pas possible qu’il nous oblige, depuis son nouveau poste, à hériter d’un conflit pour les générations futures », a-t-il expliqué lors d’une intervention devant l’Institut national des droits humains (Instituto Nacional de Derechos Humanos, INDH).