Tulkarem: une ville palestinienne à bout de souffle

 

Lorsque l’usine israélienne Gishuri a été implantée dans son village en 1985, Fayez al-Taneeb était loin de se douter de l’impact qu’elle aurait sur sa vie et celle de ses voisins.

[caption id="attachment_4694" align="alignnone" width="530"] Des manifestants devant une usine chimique à Tulkarem (Photo/MK30/Flickr) 

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Autrefois installée à Netanya, en Israël, cette usine chimique fut fermée suite à la décision d’une Cour de justice israélienne car les habitants des environs se plaignaient de la pollution qu’elle causait.

Quelques temps plus tard, Gishuri reprit ses activités en Cisjordanie, en zone C, là où seul Israël détient l’autorité.

Vingt-sept années plus tard, la ville de Tulkarem (Palestine) n’est plus seulement étouffée par le mur de séparation qui l’encercle mais également par onze usines chimiques israéliennes construites entre 1985 et 2007.

Depuis 1985, al-Taneeb, agriculteur de la région et porte-parole de la population, s’est vu confisquer une grande partie de ses terres.

Son exploitation est, en effet, située aux abords directs de la zone industrielle de Tulkarem.

D’autres paysans ont tout simplement été privés d’accès à leur ferme. Pour al-Taneeb, ces nouvelles entreprises qui ont pris des terres palestiniennes, expulsé des habitants et même harcelé certains paysans, se sont comportées comme des colons.

Mais, au-delà de l’occupation économique qu’elle représente, cette zone industrielle fait surtout des ravages sur la santé de la population et l’environnement de la municipalité.

Les problèmes respiratoires, infections des yeux et troubles cutanés qui affectent la population depuis quelques années sont la conséquence directe du nuage de poussière et des gazs qui saturent l’atmosphère.

Dans un article daté de mars 2012, l’Alternative Information Center explique qu’« une étude de l’université An-Najah (Naplouse) a trouvé que des cancers et autres maladies directement liées à la pollution chimique touchent 77 pour cent des Palestiniens habitant dans le secteur. »

L’AIC ajoute encore que « plus de 30 ha de terres agricoles sont contaminés par les émissions des usines ». D’ailleurs, comme l’explique Fayez al-Taneeb, les usines cessent de fonctionner lorsque le vent souffle dans la direction des territoires israéliens, preuve évidente que ces dernières sont conscientes des effets néfastes de leur activité.

 

Une impunité totale

Deux ans après l’installation de l’usine Gishuri, al-Taneeb raconte qu’un groupe d’habitants, fatigué de craindre pour la santé de ses enfants et désespéré de vivre fenêtres fermées, a tenté de saisir un tribunal israélien, mais en vain. Et les manifestations populaires qui ont suivi n’ont pas non plus abouti à un changement.

Depuis cette tentative, la situation n’a fait qu’empirer puisque pas moins de dix usines supplémentaires sont venues s’ajouter au décor enfumé de la zone industrielle.

Toujous selon l’Alternative Information Center, il n’est pas anodin que ces usines aient choisi Tulkarem pour s’implanter :

« Tulkarem est proche de la Ligne verte et du marché du travail israélien…Pour les entreprises israéliennes, les coûts de la main-d’œuvre à Tulkarem sont sensiblement plus bas et le droit du travail israélien n’est pas appliqué aux travailleurs palestiniens (qui tombent sous le droit jordanien de 1964).

Peu de droits, moins de protection. Et finalement, d’énormes exonérations des taxes dues aux autorités israéliennes. ».

En mai 2010, l’organisation Corporate Occupation a recueilli les témoignages de deux travailleurs attestant des mauvaises conditions de travail dans la zone industrielle: salaires souvent inférieurs au salaire minimum israélien, interdiction de s’organiser, insécurité due à la nature des produits manufacturés, etc.

Ils affirmaient également que les syndicats palestiniens n’avaient plus le droit d’accéder à la zone depuis 2008 et n’avaient donc pas la possibilité de constater les abus qui y étaient commis, ni de défendre les travailleurs.

Aujourd’hui, malgré les obstacles qu’il a dû affronter, comme le sabotage répété du système d’irrigation de ses cultures, al-Taneeb a décidé de ne pas baisser les bras et de se lancer dans l’agriculture biologique. En optant pour des cultures sous serre, il espère montrer aux entreprises israéliennes que rien ne l’empêchera de continuer à résister à l’occupation qu’il subit directement chaque jour depuis vingt-sept ans déjà.