Pour venir en aide aux enfants à la rue, des associations s’organisent face aux défaillances de l’État français

Pour venir en aide aux enfants à la rue, des associations s'organisent face aux défaillances de l'État français

The living conditions experienced by homeless children – lack of hygiene, difficulty accessing health services and maintaining a balanced diet, instability due to regularly changing living spaces – take a toll on their physical and mental health.

(Sara Saidi)
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« On voudrait une maison pour se fixer avec les enfants », affirme d’une petite voix, Maria [le prénom a été modifié], maman de quatre enfants. En raison du froid hivernal, elle a été orientée avec sa famille dans un gymnase sportif de la ville de Strasbourg, à la fin du mois de décembre. Six familles y sont provisoirement hébergées sur des lits de camp et sans aucune intimité. Les cris des enfants rythment les soirées. « Ce ne sont pas des conditions pour des gamins. Mais au moins, ils ont un toit », soupire Delphine Bernard, membre du collectif Pas d’enfant à la rue 67, créé en novembre 2021.

Papiers et crayons à la main, à peine est-elle arrivée en ce matin de janvier dans le centre d’hébergement improvisé que les enfants courent dans ses bras. « Est-ce que quand le gymnase va fermer maman sera à la rue ? », lui demande inquiète une des filles de Maria. L’assistante maternelle de 42 ans, également membre de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), est désemparée : « Je suis maman, quand je vois ces gamines qui n’ont rien et qui vont dormir dans la rue, pour moi, c’est intolérable », affirme la bénévole.

Devant le bâtiment, plusieurs hommes logés avec leurs familles, toutes d’origines étrangères, expriment leur colère : « Personne ne nous demande comment on va, on a des documents, mais personne ne les regarde, personne n’écoute notre histoire », explique l’un d’eux, venu des Balkans. « J’ai trois enfants ici, un de 7 ans, un de 3 ans et un de 9 mois, comment je lave mon bébé ici ? », demande-t-il, tandis qu’un autre montre sur son téléphone la Convention des droits de l’Homme. Avant d’être mis à l’abri au gymnase Branly, ces hommes, racontent-ils, dormaient à la gare ferroviaire avec leurs jeunes enfants.

En 2019, la fondation Abbé Pierre, qui lutte contre le mal-logement et l’exclusion, recensait déjà 30.000 enfants sans domicile fixe en France.

Depuis, en raison de la pandémie, aucun autre recensement n’a été effectué. Cependant, les associations qui viennent en aide aux personnes démunies sur tout le territoire constatent une augmentation du nombre de ces enfants, notamment en raison de nouvelles arrivées migratoires, de l’augmentation de la précarité, de la pénurie de logements sociaux et faute de places suffisantes d’hébergement d’urgence.

Dans son rapport au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, présenté en juillet 2020, le Défenseur des droits de l’époque, Jacques Toubon, pointait les manquements de l’État français en matière d’hébergement d’urgence et dénonce notamment une circulaire de 2017 qui permet aux services de l’immigration de pallier la saturation des structures d’hébergement d’urgence en procédant au contrôle de « la régularité des séjours des hébergés ».

À Strasbourg, par deux fois, la police aux frontières a procédé à un contrôle au gymnase Branly. Certaines familles sans autorisation de séjour ont été conduites au Centre de préparation au Retour (CPAR), à plus de 30 kilomètres de Strasbourg, synonyme pour elles d’antichambre d’expulsion du territoire. « Comment voulez-vous que les associations y envoient tranquillement des personnes sans-abris ? Ça ressemble à un piège. Entre nous, on appelle ça une rafle », souligne Delphine, indignée.

« Ne pas se retrouver seul face à la détresse d’autres personnes »

C’est pour dénoncer l’existence de ces enfants à la rue que le collectif Pas d’enfants à la rue a vu le jour. En juin 2021, Yaël Benhayon, 42 ans, enseignante en école élémentaire a découvert qu’un de ses élèves de 9 ans et sa famille était à la rue. L’institutrice avait alors organisé une cagnotte solidaire qui a permis à la famille d’être hébergée jusqu’à fin septembre.

Quelques semaines plus tard, Yaël apprend que la famille est à nouveau sans toit. « Ils vivaient sous des tentes, en novembre, il faisait froid. C’est là que ça m’a pesé. Je me suis sentie isolée », raconte-t-elle. Une réunion est organisée avec d’autres enseignants, des parents d’élèves et des associations : « Ça a interpellé beaucoup de monde. Le collectif s’est fait tout seul », explique-t-elle.

Cependant, Yaël insiste, il n’est pas question de se substituer à l’État ou aux instances compétentes. « L’objectif premier, c’était de ne pas se retrouver seul face à la détresse d’autres personnes », explique Yaël. Un besoin que confirme Cecilia Quintiliani. Cette infirmière scolaire a en effet vu certains élèves venir à l’école avec de la fièvre, après avoir passé la nuit dans des cages d’escaliers ou une voiture.

La motivation des membres du collectif, c’est « l’humain ». « On a tous un parcours qui fait qu’on est sensibilisé », affirme Cecilia, mère célibataire, elle-même issue de l’immigration.

« Mes parents italiens sont passés par des habitats de fortune avant de réussir leur vie. Heureusement, il y a eu du relai et de l’aide. Je me dis que c’est la continuité. Si tout le monde participe et s’engage, on aura plus ces situations-là », s’exclame-t-elle.

Delphine, elle, ne comprend pas comment il est possible de rester insensible au fait que des enfants vivent dans de telles conditions. « Je ne supporte plus de voir que les gens sont aussi indifférents à la misère des autres, moi, j’ai besoin de tendre la main », affirme-t-elle.

Le sous-financement et la lenteur des services publics français poussent les citoyens à s’organiser et à pallier bénévolement les manquements de l’État. « Mettre à l’abri ce n’est pas notre job. Mais on essaie d’agir au plus vite car, pour nous, le plus important, c’est le bien des enfants », explique Delphine. Les membres du collectif interpellent les élus de quartiers, ont écrit une lettre ouverte, appelant les autorités à ouvrir plus d’hébergements d’urgence, à recenser et réquisitionner des logements vides pour des solutions pérennes. « La mairie et la préfecture [c’est-à-dire l’État] se renvoient la balle, et nous, on est bloqué entre les deux. Il y a une vraie volonté de l’État de ne pas héberger ces familles et ça va à l’encontre de la protection de l’enfance », estime Yaël.

Début février, les familles du gymnase Branly ont à nouveau été déplacées : certaines ont été emmenées au CPAR, d’autres ont été hébergés dans des hôtels. Des solutions peu pérennes pour les familles qui repartent parfois vivre dans la rue.

Atteintes au droit des enfants

Troubles anxieux, troubles du sommeil, du langage, fatigue, voire dépression… Les conditions de vie des enfants à la rue - absence d’hygiène, accès perturbé aux soins et à une alimentation équilibrée, instabilité due aux changements réguliers de lieu de vie - ont des conséquences sur leur santé physique et mentale.

L’accès à l’éducation n’est pas non plus toujours acquis, ce qui entrave le développement et l’intégration de l’enfant. Et même quand ils sont scolarisés, la situation ne leur permet pas de s’investir totalement dans l’apprentissage. Enfin, lorsqu’ils sont isolés, certains enfants à la rue risquent également d’être embarqués dans des réseaux de traites d’êtres humains.

Pourtant, la France est le deuxième État européen signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée en 1989 par l’ONU. Celle-ci dote les enfants de droits, tels que le droit à un niveau de vie suffisant, aux soins, à l’alimentation et à l’éducation ainsi qu’un accès à la justice et à la sécurité sociale.

Dans son rapport sur le traitement des migrants enfants et adultes dans le nord de la France, publié en octobre 2021, l’ONG Human Rights Watch constate également une dégradation des conditions de vie des personnes migrantes, due notamment aux expulsions répétées, au harcèlement de la police, aux politiques de restrictions de la distribution de nourritures et d’eau et aux entraves au travail des associations humanitaires.

La France a d’ailleurs déjà été condamnée, le 28 février 2019, par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans l’affaire Khan contre France pour violation de l’Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui établit que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Or, la Cour a constaté que Jamil Khan, un mineur isolé afghan, âgé de 11 ans à l’époque, avait vécu plusieurs mois à Calais dans des conditions inadaptées. La Cour a jugé que l’État français avait failli à sa prise en charge.

Revendications et blocage d’école

En attendant des solutions de long terme, Pas d’enfant à la rue a commencé à recenser tous les enfants qui ne sont pas scolarisés : « L’objectif, c’est qu’ils aillent tous à l’école. Ils gagnent ainsi une journée au chaud, ils socialisent avec d’autres enfants et apprennent la langue », explique Delphine. Le collectif insiste également auprès des pouvoirs publics pour que tous les enfants aient accès à la cantine « pour qu’ils mangent au moins un repas chaud et équilibré par jour ».

Face à une situation qu’ils estiment insoutenable et au manque de réactivité des services publics, le collectif Jamais sans toit, créé en 2014 à Lyon, va encore plus loin. Ses membres mettent à l’abri des familles en occupant les écoles entre les temps scolaires. Une pratique illégale, mais que la municipalité tolère : « Nous prenons en compte l’urgence des situations sans entraver la tenue des classes », explique Raphaël Vulliez, enseignant et membre du collectif. Jamais sans toit représente près de 80 établissements scolaires sur l’agglomération lyonnaise.

« Le blocage d’une école mobilise environ une quarantaine de personnes », explique Raphaël.

Le collectif occupe ainsi entre 6 et 20 écoles en moyenne chaque année – surtout en hiver – et recense entre 250 et 350 enfants à la rue. Un chiffre qu’ils savent bien en deçà de la réalité. Cette année, Jamais sans toit a hébergé provisoirement 53 enfants.

Le collectif strasbourgeois n’exclut pas, lui aussi, de bloquer des écoles. « Un de mes élèves était à la rue et la directrice de l’école a demandé à ouvrir l’école pour les héberger. Avec une de mes collègues, nous avons menacé d’occuper l’école. Ils ne nous ont pas laissé faire. À 16h, ils nous ont proposé une solution d’hébergement », se rappelle Yaël.

Le collectif Jamais sans toit, affirme également que cette pression leur permet d’obtenir des résultats : les familles qu’ils accompagnent sont généralement les premières à être logées. « On demande juste l’application de la loi, ni plus ni moins, - le droit à l’hébergement d’urgence inscrit dans la loi et le droit à la scolarité », conclut Raphaël Vulliez.

This article has been translated from French.