Maternité adolescente : quand la vie des fillettes enceintes est dictée par les lobbies religieux au Paraguay

Maternité adolescente : quand la vie des fillettes enceintes est dictée par les lobbies religieux au Paraguay
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Le Paraguay est le pays d’Amérique latine où l’Église compte le plus de fidèles. Cela s’est vu confirmer par 82 % des répondants d’un sondage du Latinobarómetro (la moyenne régionale est de 63 %). Le catholicisme est la principale religion du pays et l’Église occupe une place dominante dans la vie quotidienne et les médias de diffusion massive. En prenant l’autobus, il n’est pas rare de voir la plupart des passagers se signer lorsqu’ils passent devant une église catholique de la capitale, Asunción ; au Paraguay, les affaires religieuses et les affaires publiques tendent à se confondre. Dans ce contexte, une part considérable de la population est réceptive aux discours anti-avortement, machistes et homophobes que les évêques profèrent semaine après semaine depuis leur pupitre.

Pendant ce temps, les Églises évangéliques – tout aussi, voire plus conservatrices – font des adeptes à travers tout le continent – en parallèle ou en substitution de l’Église catholique – et ne ménagent aucun effort pour imposer leur programme par-delà les confins de leurs temples.

Cela a des conséquences directes pour les droits sexuels et reproductifs des femmes dans ce pays d’Amérique du Sud – renforçant les inégalités et perpétuant le cycle de la pauvreté. De fait, le Paraguay – qui a adopté des lois fondées sur des convictions religieuses plutôt que sur des critères scientifiques, au grand dam des organisations de défense des droits humains – interdit et punit l’interruption de grossesse. En 2018, au moins 45 femmes ont été poursuivies en justice pour ce motif et trois ont été incarcérées en 2019.

En juin dernier, une fillette de onze ans a accouché par césarienne à la 37e semaine de grossesse, malgré les recours introduits par l’enfant et sa mère, ainsi que par des ONG de défense des droits humains et leurs avocats, demandant à ce qu’elle soit autorisée à avorter. La fille a été violée par un garçon de 14 ans qui a été mis en examen : selon le bureau du procureur, « il n’y a pas eu consentement et l’acte a été forcé ».

Un incident similaire s’était produit en 2015. L’affaire avait soulevé un tollé médiatique mondial. À l’âge de 10 ans, Mainumby (nom d’emprunt pour éviter la discrimination et le harcèlement dans son quartier) s’est, elle aussi, vue contrainte de mener sa grossesse à terme après avoir été violée, en l’occurrence par son beau-père. Le bureau du procureur l’a séparée de sa mère, l’a poursuivie et l’a accusée en l’absence de preuve, tandis que le violeur a pu s’échapper. Entre-temps, Mainumby a été admise dans un centre pour jeunes filles maltraitées dépendant de l’Église catholique, où, dans un environnement aseptisé et discipliné, les jeunes filles étaient soumises à un processus de normalisation à base de litanies telles que « les filles sont de meilleures mères ».

La législation actuelle du pays est parmi les plus restrictives au monde et n’autorise l’avortement thérapeutique que s’il existe un risque pour le déroulement de la grossesse, lors de l’accouchement ou si la vie de la mère est en danger.

Autant de conditions qui se trouvent réunies lorsqu’une jeune fille de onze ans tombe enceinte, compte tenu des risques pour sa santé et celle du fœtus. Or, même les professionnels de la santé qui s’occupent des mineures s’efforcent de mener les grossesses à leur terme, au mépris de la législation et des critères scientifiques – soulevant un barrage de critiques de la part d’organisations telles qu’Amnesty International et le Comité d’Amérique latine pour la défense des droits de la femme.

Dans le même temps, les poursuites contre les défenseurs des droits humains au Paraguay ont atteint un degré tel que le gouvernement, voulant satisfaire l’Opus Dei, le Centre du culte de famille (Centro de Adoración Familiar) et d’autres lobbies religieux, a interdit quelque chose qui n’existe pas : « l’idéologie de genre », en obligeant à éliminer le terme « genre » jusque dans les textes informatifs du ministère de l’Éducation.

« Ce à quoi nous assistons au Paraguay participe d’un mouvement régional visant à abolir la perspective de genre en qualifiant celle-ci d’« idéologie ». Si les arguments qu’ils invoquent dans leur rhétorique sont homophobes et transphobes, dans la pratique, c’est à l’ensemble des droits des femmes qu’ils s’en prennent. Ils n’apprécient guère que l’on remette en cause le rôle traditionnel des femmes et c’est pourquoi ils ont commencé par l’éducation », a déclaré dans un entretien avec Equal Times l’avocate paraguayenne Mirta Moragas Mereles.

« L’influence de l’Église catholique a toujours dominé, mais à présent, des Églises évangéliques commencent à entrer en scène qui, non seulement, ont un discours très prégnant, mais sont, de surcroît, financièrement puissantes », explique Mme Moragas Mereles. « Les groupes de pression peuvent soumettre leurs demandes, mais c’est à l’État qu’il revient d’y accéder ou pas, et c’est là que la responsabilité de l’État commence à être engagée », explique la juriste.

 

Cette statue représentant un fœtus géant dans le ventre de sa mère domine un carrefour très fréquenté situé devant une église catholique et le cimetière de Recoleta, à Asunción, la capitale du Paraguay. Il en existe des reproductions dans d’autres villes du pays qui s’autoproclament « pro-vie ». Elle commémore la « journée de l’enfant à naître ».

Photo: Santi Carneri

Le Paraguay affiche le taux de fécondité adolescente le plus élevé du Cône sud, ce qui en dit long sur la « normalisation » de ce phénomène : 72 naissances pour 1.000 femmes de 15 à 19 ans, selon les statistiques officielles. Un grand nombre d’entre elles sont la conséquence d’abus sexuels. Cependant, elles sont également imputables à l’absence quasi totale d’éducation sexuelle dans les écoles et au manque de moyens pour se procurer des méthodes contraceptives.

Chaque semaine, onze fillettes de 10 à 14 ans sont admises dans une salle d’accouchement au Paraguay. Toutes les heures, deux adolescentes de 15 à 19 ans se retrouvent dans la même situation. Selon les chiffres officiels, 589 filles et 16.797 adolescentes y ont accouché au cours de l’année 2018.

 

En 2008, on recensait un cas par jour d’abus sexuel sur des jeunes filles et des adolescentes ; en 2020, ce chiffre s’élève déjà à 20 par jour. Les atteintes à la protection de l’enfance et de l’adolescence ont explosé dans le contexte du confinement lié à la pandémie de Covid-19. En deux mois de confinement, deux fois plus de plaintes ont été déposées que durant la même période l’année dernière, selon le ministère de l’Enfance et de l’Adolescence. Au total, quelque 4.700 plaintes ont été enregistrées, dont 327 pour abus sexuels.

Photo: Santi Carneri

En 2008, on recensait un cas par jour d’abus sexuel sur des jeunes filles et des adolescentes ; en 2020, ce chiffre s’élève déjà à 20 par jour. Les atteintes à la protection de l’enfance et de l’adolescence ont explosé dans le contexte du confinement lié à la pandémie de Covid-19. En deux mois de confinement, deux fois plus de plaintes ont été déposées que durant la même période l’année dernière, selon le ministère de l’Enfance et de l’Adolescence. Au total, quelque 4.700 plaintes ont été enregistrées, dont 327 pour abus sexuels.

 

Une fille se promène avec son fils sous la véranda du refuge Casa Rosa María.

Photo: Santi Carneri

Il est environ 10 heures du matin, un jour de printemps. À notre arrivée dans le refuge pour jeunes filles enceintes Casa Rosa María, à Asunción, notre attention est retenue par un grand portrait accroché au mur du hall d’entrée. Celui-ci représente la jeune fille qui a donné son nom au centre. Une femme pieuse d’une soixantaine d’années, les ongles vernis de rouge, un chapelet à la main, est chargée de la gestion quotidienne de ce foyer qui abrite environ 14 jeunes filles victimes de viol, enceintes, et de surcroît seules.

 

Cette photo montre la cour du refuge qui se veut être un « centre d’aide à la vie ». Après avoir accouché, les jeunes filles restent environ un an au centre, jusqu’à ce qu’elles soient accueillies par un membre de la famille ou leurs parents.

Photo: Santi Carneri

« Les risques de mortalité sont plus élevés pour une mère adolescente. Le risque de mourir avant ou pendant l’accouchement est deux fois plus élevé pour une mère adolescente que pour une mère adulte, et quatre fois plus élevé pour une mère de moins de 15 ans », souligne Federico Tobar, conseiller régional du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). Il précise que les grossesses adolescentes touchent surtout les couches plus défavorisées, ce qui a pour effet de perpétuer le cycle de la pauvreté.

 

La chapelle du refuge, où sont disposés des bancs d’église, ainsi que des figures et des icônes religieuses. Le Paraguay reste un pays à majorité catholique.

Photo: Santi Carneri

La criminalisation de l’interruption volontaire de grossesse oblige les mineures, souvent victimes de viol, à mener à terme leur grossesse contre leur gré. Toutefois, selon une étude du centre paraguayen d’études démographiques (Centro Paraguayo de Estudios de la Población, Cepep), réalisée en l’absence de données officielles – 32.237 avortements provoqués – de femmes en âge de procréer, entre 15 et 44 ans – auraient pu avoir lieu en 2012.

 

L’atelier de couture, décoré avec des images de la vierge. Dans le centre, l’encadrement religieux est omniprésent.

Photo: Santi Carneri

Ici, les filles cuisinent, lavent leur linge et prient tous les jours. La seule chose qui varie dans leur routine sont les cours où elles apprennent comment donner à manger à leurs futurs bébés ou les cours de coiffure. La stupeur se lit sur pratiquement tous les regards à l’arrivée des deux parfaits étrangers que nous sommes, nous les journalistes, accompagnés d’une assistante sociale et d’une facilitatrice d’Amnesty International.

 

Les cours de coiffure, le moment préféré des filles du refuge.

Photo: Santi Carneri

L’atmosphère respire la discipline. Face à la pénurie de ressources humaines ou matérielles, certaines filles tentent parfois de s’échapper, et finissent par errer dans les rues, la peur et la faim dans le ventre. Le centre représente pourtant le dernier endroit au monde où elles puissent espérer ne pas devoir affronter quelque chose de pire que ce qu’elles ont déjà subi.

 

Une fille enceinte, pensionnaire du refuge. Ceci est l’un des endroits où le bureau du procureur de l’État envoie les victimes de viol avec l’intention de les aider. Il n’en demeure pas moins que l’unique option envisageable ici est de mener la grossesse à terme.

Photo: Santi Carneri

Outre les séquelles psychologiques pour ces filles, le préjudice économique n’est pas, non plus, négligeable, que ce soit pour les filles elles-mêmes ou pour le reste de la société. Selon un rapport de l’UNFPA, « la grossesse chez les adolescentes engendre des pertes annuelles estimées à plus de 703 milliards de guaranis (100 millions USD ; 85 millions d’euros) en termes d’activité productive des femmes, auxquelles s’ajoutent 64 milliards de guaranis (environ 9 millions USD, 8 millions d’euros) de pertes pour l’État. La grossesse chez les jeunes filles et les adolescentes est le reflet de l’inégalité au Paraguay », a indiqué l’UNFPA.

Cet article a été traduit de l'espagnol.

Ce reportage a été réalisé en compagnie d’une assistante sociale et d’une facilitatrice d’Amnesty International.