L’Australie abroge la taxe carbone et s’approche en somnambule de la catastrophe

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L’expérience courageuse d’une taxe frappant la pollution due aux émissions de carbone a pris fin, à peine deux ans après avoir démarré.

Le 17 juillet 2014, le sénat australien a adopté par 39 voix contre 32 l’abrogation d’une taxe sur les émissions de carbone de 25,40 dollars australiens par tonne, mettant un terme à une âpre bataille politique qui s’est déroulée pendant quatre ans et a détruit le précédent gouvernement travailliste, mais laissant à présent le pays sans un plan crédible pour lutter contre le réchauffement climatique.

La suppression de ce mécanisme de taxation du carbone intervient juste 12 mois avant que la taxe fixe ne soit remplacée par un système de plafonnement et d’échange entièrement flottant et fondé sur le marché, apparenté au régime d’échange des émissions de l’Union européenne.

Le gouvernement conservateur de Tony Abbott, élu en septembre dernier après avoir mené campagne sans répit contre ce qui a été dénommé « la taxe sur tout », a ainsi respecté son engagement de supprimer la taxe carbone, en dépit de preuves toujours plus nombreuses que cette taxe parvenait effectivement à réduire les émissions et était loin d’entraîner les répercussions négatives annoncées sur les dépenses de base des ménages.

En ce faisant, l’Australie est devenue le seul pays au monde à avoir fait marche arrière dans la lutte contre le réchauffement climatique.

«Alors que le monde entier redouble d’efforts, l’Australie se trouve aujourd’hui dépourvue de toute politique visant à diminuer la pollution», a dit Kelly O’Shanassy, PDG de l’Australian Conservation Foundation.

«Nous n’avons désormais plus aucun système pour empêcher les plus gros pollueurs de revenir aux anciennes pratiques débridées et de traiter l’air que nous respirons comme un égout à ciel ouvert. »

«Ce recul est une honte pour l’Australie à l’échelon international. »

La suppression de la taxe carbone ne s’est pas faite sans lutte, mais a été l’aboutissement de plus de 50 heures de tortueux débats et de négociations dans la chambre haute du Parlement, où la faculté de faire pencher la balance est entre les mains d’un groupe disparate de sénateurs indépendants ou de partis minoritaires.

En substitution à la taxe carbone, le Premier ministre Tony Abbott entend mettre en place un plan « d’action directe », qui prévoir un fonds de 2,5 milliards de dollars australiens pour effectuer des paiements (financés par les contribuables) aux petits et grands pollueurs qui s’engageraient dans des projets visant à réduire leurs émissions.

Or, rien ne garantit que le Parlement australien approuve l’action directe, tournée en dérision autant par les experts scientifiques du climat que par les économistes car elle semble être un terrible gaspillage d’argent qui n’aura, au mieux, qu’une infime incidence sur le niveau des émissions.

Abbott a salué la suppression de la taxe carbone, se félicitant d’avoir rempli l’une de ses principales promesses de campagne.

« Une taxe inutile et destructrice, qui portait atteinte à l’emploi et au portefeuille des ménages sans réellement aider le gouvernement, a enfin disparu », a-t-il dit aux journalistes lors d’une conférence de presse tenue peu après le vote la supprimant.

Curieusement, la suppression de la taxe carbone survient à un moment où le soutien public à cette taxe n’a jamais été aussi haut.

Elle a lieu également à peine quelques semaines après que, aux États-Unis, le gouvernement Obama ait introduit une nouvelle réglementation plus sévère en vue de contraindre le secteur énergétique à réduire rapidement et profondément ses émissions de carbone.

 

Méandres et rebondissements du débat sur le climat

La taxe carbone forfaitaire était entrée en vigueur le 1er juillet 2012, à l’issue d’une longue période de consultations et de débats publics à la suite des élections de 2010.

La genèse de cette taxe remonte à plus loin encore, à avant les élections de 2007, au moment où les deux partis principaux proposaient aux citoyens des politiques visant la mise en place d’un régime d’échange des émissions.

Cette année-là, le parti travailliste l’avait emporté, mais le débat sur le climat a connu de nombreux rebondissements depuis, dans le pays ayant les plus hautes émissions de carbone par habitant du monde industriel et où l’électricité est en grande partie produite à partir du charbon.

Le régime que les travaillistes ont fini par introduire était extrêmement modeste. Il prévoyait des exemptions de tout coût pendant les premières années pour de grandes industries dépendantes des combustibles fossiles telles que le secteur de l’acier et de l’aluminium, et il était accompagné de toute une série de revalorisations des prestations de retraite et de sécurité sociale en vue de protéger les ménages à plus bas revenus contre toute augmentation du coût de la vie.

La taxe, qui était au départ de 23 dollars australiens par tonne, avait atteint au début du mois 25,40 dollars australiens.

Au bout de deux ans, le mécanisme de cette taxe carbone avait rencontré un succès sans réserve : il avait réduit la pollution tout en encourageant la production d’énergie propre, et la croissance économique avait continué.

Quant aux augmentations du coût de la vie, elles s’étaient révélées de loin inférieures aux projections.

Les émissions totales depuis l’introduction de la taxe carbone, rien que pour le secteur électrique, avaient diminué de plus de 10 %, plaçant l’Australie en bonne voie pour réduire ses émissions de 15 % par rapport aux niveaux de l’an 2000, affirme John Connor, président de l’observatoire Climate Institute.

Le recours à du lignite pour la génération d’électricité avait diminué de 9 %, tandis que l’électricité provenant de sources renouvelables avait augmenté de 38 %.

« La taxe carbone n’a pas entraîné les répercussions catastrophiques annoncées par ses détracteurs », a affirmé Connor.

Il a dit que l’Australie est désormais dépourvue de politique climatique crédible alors que la communauté internationale s’apprête à adopter de nouveaux objectifs, plus sévères, de réduction des émissions.

Il a dit aussi qu’aucune modélisation indépendante ne vient étayer la thèse du gouvernement Abbott selon laquelle son plan d’action directe – qui de surcroît doit encore être approuvé par le sénat – permettrait d’atteindre d’ici 2020 l’objectif d’une diminution des émissions nationales de 5 % en dessous des niveaux de l’an 2000, et qu’en fait il se pourrait que les émissions augmentent à nouveau.

Les militants du changement climatique craignent que ceux que le changement climatique laisse sceptiques soient tellement fermement aux commandes de l’ordre du jour du gouvernement, que d’autres piliers importants de la politique environnementale globale, tels que la cible en matière d’énergies renouvelables, ou la banque publique de financement des projets d’énergie verte, ou encore l’Agence australienne pour les énergies renouvelables, ne soient menacés eux aussi de suppression, même s’ils ont été épargnés jusqu’à présent.

 

Inquiétudes

Par ailleurs, même si le secteur minier et les industries des combustibles fossiles étaient parmi les opposants les plus féroces de la taxe carbone, les grands entrepreneurs de ces secteurs qui n’ont jamais soutenu une taxe forfaitaire sont tout autant inquiets de ce que l’action directe va représenter, et ont fait état de leur préférence envers un régime de réduction des émissions essentiellement axé sur le marché.

Loin d’accepter que la taxe carbone soit morte et enterrée, l’opposition travailliste s’est engagée à prendre des mesures en vue de rétablir un régime d’échange des émissions lors des prochaines élections prévues dans deux ans.

Accusant Abbott de « mener l’Australie en somnambule vers la catastrophe environnementale et économique », le dirigeant de l’opposition, Bill Shorten, a dit qu’un régime d’échange des émissions était la meilleure manière de s’occuper du changement climatique sur le long terme.

« Fondamentalement, le parti travailliste croit que le changement climatique est une réalité, et que l’Australie a un rôle à jouer, de concert avec le reste du monde, pour faire face à cette problématique environnementale des plus importantes », a-t-il dit.

« C’est pourquoi nous allons soutenir un régime d’échange des émissions. »

Greg Combet, un ancien dirigeant du syndicat national entré par la suite en politique, et qui en tant que ministre chargé du Changement climatique au sein du gouvernement travailliste avait introduit la taxe carbone, garde l’espoir qu’un régime d’échange des émissions finisse par voir le jour en Australie.

S’adressant à Equal Times, Combet a reconnu que le parti travailliste avait mal géré la politique relative au changement climatique, mais a toutefois insisté sur l’efficacité des mesures qu’il avait adoptées puisqu’elles avaient obtenu les résultats souhaités de réduction des émissions et encadré la transformation de l’Australie afin qu’elle se dote d’une économie de l’énergie propre.

« Ceci n’est qu’un revers temporaire », affirme Combet.

« La taxe carbone ne peut que revenir, puisqu’elle est la manière la moins coûteuse de réduire les émissions dans notre pays, et aussi celle qui a le moindre impact. »

« [L’action directe] est une pure folie du point de vue économique. »

« Je pense que le travail que nous avons réalisé est loin d’être perdu et qu’il reviendra, sous une forme ou une autre. »

Mais cela ne se fera pas avant l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement, ce qui risque de prendre plusieurs années.

Au vu des résultats de nouveaux travaux de recherche scientifique qui ne cessent de paraître, nombreux sont ceux qui pensent que ce délai d’attente est déjà trop long.